Qui sont les précaires du supérieur ?

Marie Bonnaud Publié le
Qui sont les précaires du supérieur ?
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Une loi sur la résorption de la précarité dans la fonction publique devrait être présentée à l’été 2011 devant l’Assemblée nationale. Reste à savoir quels seront ses effets sur les administratifs, les enseignants et les chercheurs contractuels, qui composent aujourd’hui une bonne partie des équipes des établissements du supérieur. ATER, contractuels, post-docs, vacataires : état des lieux de ces précaires du supérieur et de ce qu'ils traduisent de son fonctionnement.

Un an après la promesse de Nicolas Sarkozy de faire disparaître progressivement tous les contractuels de la fonction publique, l’accord signé le 31 mars 2011 par le ministre François Baroin, l’ancien secrétaire d’État Georges Tron et six organisations syndicales fait naître beaucoup d’attentes dans l’enseignement supérieur.

Il devrait déboucher sur la présentation d’une loi cet été qui définira les contours du dispositif : “Nous attendons de ce nouveau cadre qu’il stabilise la situation de nombreux personnels contractuels, reconnaît Sophie Béjean, présidente de l’université Bourgogne-Dijon et présidente de la commission des moyens et des personnels de la CPU. Mais pour cela, il faut aussi que l’État s’engage financièrement et compense les charges supplémentaires que ces ‘CDIsations’ vont entraîner pour les établissements.” Le sujet est d’autant plus sensible que les universités autonomes crient déjà à la disette et à la sous-dotation de moyens.

Précaires : combien de bataillons ?


Dans ce contexte, combien de personnes seront concernées sur l’ensemble des précaires du supérieur ? Bien difficile de faire des paris. Leur nombre est déjà en soi sujet à caution. Alors que l’enquête réalisée en février 2009 par l’intersyndicale avançait la fourchette de 45.000 à 50.000 précaires (soit environ 20 % des effectifs), le ministère tablait plutôt sur 37.000. Et malgré l’obligation faite désormais aux universités autonomes de produire des bilans sociaux, la photographie sur le plan national reste floue.

Cette difficulté tient aussi au fait que les visages de la précarité sont multiples : “Il y a d’un côté des situations que l’on pourrait qualifier de naturelles, celles de l’entrée dans le monde de la recherche à travers le contrat doctoral ou un poste d’ATER, et puis il y a les situations plus complexes où des postes administratifs sont occupés par des contractuels à défaut de l’être par des fonctionnaires, poursuit Sophie Béjean. Même si dans le cadre de la loi sur l’autonomie, les universités ont développé une vraie politique RH en direction de ces contractuels, à la fois en tenant compte de l’évolution des carrières et en leur garantissant l’octroi de primes.”

Là encore, c’est la question cruciale de la répartition de l’enveloppe budgétaire qui est posée, avec, au cas par cas, des choix stratégiques d’externalisation de tâches comme le nettoyage, le gardiennage, la restauration, etc. Ces évolutions se sont d’ailleurs traduites sur le terrain par de fortes mobilisations syndicales, à l’UMPC , à l’ENS ou ailleurs.

Une recherche avec de plus en plus de contractuels


Dans un même mouvement, les syndicats et les collectifs comme SLU ou SLR dénoncent un financement de la recherche de plus en plus arrimé à une logique de “projets”. Sont visés notamment les projets ANR, qui multiplient les équipes hybrides formées autour d’un cœur de titulaires entourés de contractuels, recrutés (pour le projet) sur divers métiers de la recherche : “Ce sont des CDD, voire des activités rémunérées à la tâche, qui sont ainsi multipliés”, écrit le collectif PECRES, qui signe un livre récent “Recherche précarisée, recherche atomisée ”, ajoutant que si l’ANR “ne communique pas le nombre précis de CDD qu’elle crée chaque année”, son bilan social indique pour 2008 que les dépenses de rémunération constituaient la première destination de ses financements (à hauteur de 49,1 %). Les derniers chiffres officiels (2006) sont ceux publiés par l’OST (Observatoire des sciences et techniques) . Celui-ci estime que les enseignants-chercheurs contractuels représentent 23 % de l’ensemble des effectifs des universités (et que trois quarts d’entre eux sont des doctorants).

Mais tout porte à croire que ces cinq dernières années, la recherche contractuelle s’est développée tant à l’université que dans les organismes de recherche. Avec, à la clé, une forte instabilité des débuts de carrière. À l’image du parcours chaotique de Julien H. (alias “Antonin”, cofondateur du collectif PAPERA ). À 36 ans, il est de ces jeunes chercheurs qui, après avoir obtenu un doctorat en neurosciences, s’est retrouvé à enchaîner les contrats de post-docs dans un institut de recherche. Jusqu’au jour où il a claqué la porte, fatigué qu’on ne lui propose aucune perspective de carrière. Aujourd’hui, il est au chômage et s’oriente plutôt vers la recherche dans le privé en France et surtout à l’international : “Un post-doc ne peut pas espérer construire une carrière française en enchaînant les contrats sur plus de quatre ans, car sa candidature est alors immédiatement retoquée aux comités de sélection ou aux commissions de qualification. Le problème est de se retrouver trop isolé et de ne pas publier assez.”

Les vacataires en roue de secours


Dernier chaînon du système : les vacataires, ces “enseignants” (doctorants, professeurs du primaire ou secondaire, journaliste, etc.) appelés à la rescousse pour prendre en charge quelques heures de cours. “Le LMD a introduit une forte élasticité des parcours universitaires, les étudiants pouvant construire leur année à la carte. Voyant que leur cours est très demandé, les maîtres de conférences doivent souvent recruter à la va-vite un vacataire en renfort”, soutient Emmanuel Saint-James, président de Sauvons la recherche.

La plupart du temps, le recrutement se fait par le bouche à oreille ou bien en passant par les réseaux sociaux ou des sites de diffusion – comme la mailing-list de l’Association nationale des candidats aux métiers de la science politique (ANCMSP) – et dans des temps records, parfois une ou deux semaines avant le début du cours. Les syndicats dénoncent régulièrement des conditions de recrutement tout à fait illégales : système de prête-nom pour pouvoir recruter une personne au-delà de 28 ans n’ayant pas d’emploi principal (ce qui est pourtant la règle) ; multiplication des vacations dans différents établissements (ce qui est là aussi interdit) ; sous-traitance à un vacataire d’heures complémentaires facturées à l’enseignant-chercheur en charge du cours et reversées de la main à la main.

Autre inégalité de traitement : la rémunération. Alors que le décret statutaire d’avril 2009 des enseignants-chercheurs établit une égalité de rémunération entre les TD et les TP, ce n’est pas le cas pour les vacataires (pour les TD : 40,91 euros brut de l’heure/TP : 27,26 euros brut ). Une situation régulièrement dénoncée par la CJC (Confédération des jeunes chercheurs), qui craint que ce déséquilibre ne conduise les équipes dirigeantes des universités à mobiliser en priorité les vacataires sur les TP pour des raisons économiques : “Le ministère estime que grâce aux RCE [responsabilités et compétences élargies], les établissements peuvent, sur la base du volontariat, appliquer de leur propre chef l’équivalence de traitement pour les vacataires. Mais faute de moyens, seules quelques universités l’ont fait. La situation reste donc en général très discriminatoire”, précise-t-on à la CJC. Preuve que la lutte contre la précarité doit être un objectif partagé tant par l’État que par des établissements autonomes et responsables.

Vacataires, des situations très précaires

“Les vacations, c’est à la débrouille, résume Julien H. Souvent les vacataires sont très isolés parce que leur seul contact, c’est le MCF qui les a recrutés. Ils viennent juste faire leurs cours et ne connaissent personne.” Et même quand il y a contrat de travail, celui-ci indique le nombre d’heures de présence devant élèves mais pas les heures de réunion ou de jury avec l’équipe pédagogique ni le temps des corrections de copies.

Parfois les situations deviennent à la limite de l’ubuesque, comme dans cette grande université parisienne : “Quand j’ai commencé, mon contrat stipulait 60 heures annuelles de cours, comprenant 50 heures de cours et 10 heures pour tous les à-côtés, payées 36,40 euros nets de l’heure. Puis, à la rentrée 2009, mon service est tombé à 50 heures ! Or si on fait le total entre la préparation des cours, les corrections, les réunions et les cours proprement dits, j’arrivais facilement à 180 heures de travail, ce qui revient à un taux horaire de 13 euros nets ! Le tout payé avec plus de six mois de retard”, explique Ory Lipkowicz, professeur de philosophie titulaire dans le secondaire depuis 17 ans, qui effectuait des vacations jusqu’en février 2011, date où il a démissionné pour protester contre ses conditions de travail.

Marie Bonnaud | Publié le