Quotas de boursiers dans les grandes écoles : « Il y aura un concours pour les riches et un pour les pauvres »

Propos recueillis par Camille Stromboni Publié le
Quotas de boursiers dans les grandes écoles : « Il y aura un concours pour les riches et un pour les pauvres »
Hakim El Karoui // © 
Des quotas de boursiers dans les grandes écoles ? La polémique a été relancée depuis la prise de position de la CGE (Conférence des grandes écoles) contre l’instauration d’un quota de 30 % de boursiers dans ses établissements. Valérie Pécresse avait cité comme objectif ce chiffre lors d'une conférence à Sciences po le 10 novembre 2009. Depuis, les réactions contre la CGE se multiplient. Luc Chatel s'est déclaré « profondément choqué ». Richard Descoings , le directeur de Sciences po Paris, a dénoncé une « réaction antisociale dans toutes sa franchise » . Une opinion que ne partage pas Hakim El Karoui, président et fondateur du club du XXIe siècle, qui réunit les élites issues de la diversité. Ce normalien souligne la complexité du débat et la nécessité d'agir en amont.

Que pensez-vous des quotas d’élèves boursiers dans les grandes écoles ?

Il faut aller vers plus de boursiers en grandes écoles, c’est une évidence. Mais je ne suis pas favorable aux quotas. Si l’on veut 30 % d’élèves boursiers à HEC, l’ENA ou Polytechnique, avec la méthode des quotas, cela signifie de fait qu’il faut mettre en place un concours parallèle.

Par exemple, Polytechnique garderait les 400 premiers reçus à son concours et irait chercher ensuite les boursiers dans les rangs suivants. Il y aura donc un concours pour les riches et un pour les pauvres, fondé en outre sur un critère assez fluctuant : celui des bourses.

Les établissements devront sinon remettre totalement en cause le concours, en créant de très nombreuses voies d’entrée différentes, comme l’a fait Richard Descoings à Sciences po Paris.

Modifier le contenu des concours d’entrée aux grandes écoles serait une autre solution pour atteindre les 30% de boursiers…

Il serait très difficile de repenser toutes les épreuves des concours des grandes écoles pour gommer les biais sociaux à l’entrée d’établissement comme l’X ou l’ENS. En sciences dures d’ailleurs, ce qui est en jeu n’est pas forcément la culture familiale et peu de choses changeraient en supprimant l’épreuve de français, plus discriminante socialement.

A l’inverse, les épreuves de l’école normale supérieure sont surdéterminées socialement. Mais il est impossible de les adapter car tout est « culture générale ». L’établissement a pourtant été un endroit d’insertion sociale pour des élèves très tôt repérés dans le système scolaire.

Plutôt que de niveler un système vers le bas, il faut travailler plus en amont. L’Education nationale doit remplir sa mission et s’interroger sur sa capacité à repérer et faire prospérer les boursiers de talents.

Le principe du « concours républicain » serait donc intouchable ?

Il ne faut pas toucher au cœur des épreuves des concours. Mais sur certaines matières, plus déterminées socialement que d’autres, comme les langues vivantes – tout le monde ne peut pas envoyer ses enfants à l’étranger - ou la culture générale, il est possible de donner un coup de pouce aux boursiers en changeant la pondération des notes. Plutôt que de mettre des épreuves plus faciles, ajouter des points supplémentaires aux boursiers dans ces matières serait une solution intéressante.

"Cela sous-entend que les élèves boursiers seraient des crétins"

Directeur de l’IEP de Lille, Pierre Mathiot souligne lui aussi les risques d’une adaptation des concours des grandes écoles aux boursiers, hypothèse émise par Luc Chatel le 6 janvier 2010.

Le responsable lillois dénonce un discours "paternaliste", qui voudrait que les élèves boursiers aient des épreuves adaptées à ce qu’ils seraient capables de faire. « Cela sous-entend que ce sont des crétins », résume-t-il.
Outre quelques ajustements techniques, comme la limitation des thèmes pour une épreuve de culture générale très discriminante socialement ou la mise en place d’un oral, il estime prioritaire d’accompagner en amont les lycéens défavorisés vers le concours, « pour changer les choses dans la durée ». Notamment avec une prépa gratuite comme celle mise en place dans son établissement (PEI ).

Propos recueillis par Camille Stromboni | Publié le