Réchauffement climatique : comment l'enseignement supérieur prépare sa transition

Thibaut Cojean Publié le
Réchauffement climatique : comment l'enseignement supérieur prépare sa transition
Le 20 octobre, l'université de Bordeaux accueillait un séminaire autour du rapport de Jean Jouzel et Luc Abbadie. // ©  Thibaut Cojean
Le ministère de l'Enseignement supérieur a promis la mise en place en 2023 d'un "pôle national de ressources" pour accompagner l'adaptation des formations à la transition écologique. Face aux nombreux enjeux, les établissements du supérieur attendent des dispositifs concrets.

L'enseignement supérieur français est-il prêt à unir ses forces autour de la transition écologique ? La question ne fait plus débat : écoles et universités doivent se transformer et adapter leurs programmes pour préparer les étudiants face au réchauffement climatique et à l'effondrement de la biodiversité. Autre certitude : cela concernera l'enseignement supérieur dans sa globalité, et nécessitera une stratégie nationale.

"Il y a quelques années, tout ce qui était développement durable et transition écologique était pris comme un élément de différenciation. On le construisait en avantage concurrentiel, se souvient un responsable d'école d'ingénieurs. On n'en est plus là aujourd'hui. On doit se battre ensemble, on doit partager les bonnes pratiques pour avancer plus vite."

Réunis par la rédaction d'EducPros le 25 octobre dernier, ce dirigeant et une quinzaine d'autres ont échangé sur le sujet avec Jean Jouzel, auteur du rapport "Sensibiliser et former aux enjeux de la transition écologique et du développement durable dans l’enseignement supérieur".

Formation systémique et approche par compétences de la transition écologique

Les représentants d'universités et de grandes écoles (de commerce de d'ingénieurs) ont affiché la volonté commune de transformer leurs maquettes pour y inclure la transition écologique. Et pour cause : "Cette transition se fera, a balayé Jean Jouzel. Elle ne peut pas ne pas se faire." Le climatologue a l'habitude de marteler ce message. Quelques jours plus tôt, le 20 octobre, à l'université de Bordeaux, il tenait le même discours lors d'un séminaire organisé par le ministère de l'Enseignement supérieur (MESR) autour de son rapport.

"Ce que dit le Haut conseil pour le climat (HCC), c'est que cette transition est partout, soutenait Magali Reghezza-Zitt, géographe et membre du groupe de travail du rapport. L'idée est d'adapter nos formations au changement climatique." Bonne nouvelle, selon la membre du HCC : "On ne mesure pas à quel point il y a déjà des compétences dans les universités."

On ne mesure pas à quel point il y a déjà des compétences dans les universités. (M. Reghezza-Zitt, géographe)

Un message également transmis par Luc Abbadie. L'écologue et co-auteur du rapport Jouzel considère en effet que "l'enseignement supérieur est une mine d'or de compétences".

De quoi faciliter cette adaptation qui passera par "deux types de formation". D'abord, "la formation au raisonnement systémique", soit "donner [aux étudiants] le panorama de la complexité de la situation" et "la capacité à se projeter dans le futur". Puis la formation par compétences, avec pour but de "renforcer l'explicitation des liens de sa spécialité avec la transition écologique".

Forte demande de pilotage national

"Transformation" et "systémique" ont été deux des principaux mots clés de cette journée, qui affichait l'objectif d'apporter une réponse à la principale préconisation du rapport : former tous les étudiants jusqu'à bac+2 à la transition écologique. Une ambition déjà affichée par de nombreux établissements, tant les exemples de dispositifs existants n'ont pas manqué. A l'inverse, l'absence d'un pilotage national ou d'un outil de cadrage s'est fait criant.

Un manque qu'a bien identifié la ministre de l'Enseignement supérieur. Dans son discours de clôture, Sylvie Retailleau a répondu présente en annonçant la formation de tous les étudiants jusqu'à bac+3 à la transition écologique d'ici 2025. Et pour cela, "un cahier des charges sera proposé dès 2023 afin de permettre aux établissements de construire des unités d'enseignements ou modules qui pourront s'appuyer sur un pôle national de ressources pédagogiques".

La mise en place de ce dernier fera l'objet de "trois ateliers réunissant différents acteurs représentatifs dans l'enseignement supérieur et de la recherche, de la gouvernance des équipes pédagogiques, des référents DD et RS, du public étudiant mais aussi des associations, des ONG et des think-tank." Sans donner plus de précisions de budget ou de calendrier, la ministre a également soulevé l'éventuelle création d'un "groupement d'intérêt scientifique".

Accompagner concrètement les enseignants dans la transition

Si ces annonces ont été accueillies chaleureusement par le groupe de travail du rapport, leurs contours encore flous n'ont pas permis de répondre à toutes les interrogations des formations. "Un enseignant qui cherche à savoir ce qui existe, ce n'est pas simple pour lui", a concédé Jean Jouzel.

"C'est compliqué d'inciter les enseignants à repenser complètement leurs matières, a exprimé une représentante d'écoles de commerce. La grande difficulté, c'est d'enlever des choses et de faire renoncer à un enseignant une partie de ce qu'il pense fondamental pour survivre dans l'entreprise."

C'est compliqué d'inciter les enseignants à repenser complètement leurs matières. (représentant d'une école de commerce)

Pour un dirigeant d'écoles d'ingénieurs du numérique, le champ disciplinaire sera un enjeu. "On a fait les premières actions de sensibilisation mais si on veut passer au cap suivant, il faut accompagner les enseignants sur leurs problématiques disciplinaires. En tant qu'établissement, on est demandeurs de structures de réflexion, de mise en commun de ressources, d'échanges entre pairs, qui soient nationales et par champ disciplinaire."

Avoir une structure pérenne de partage des ressources

Les établissements pourront, a priori, s'appuyer sur le ministère de la Transition écologique. Le 20 octobre, son ministre Christophe Béchu a en effet annoncé mettre à disposition "des contenus utiles à la formation de tous, des ressources destinées à transmettre nos savoirs (…) et des matériaux pédagogiques qui soient utiles aux besoins" des enseignants.

Une réponse partielle, car comme le rappelle Jean Jouzel, la demande de son groupe de travail était celle d'une "structure pérenne, pas simplement un site internet, mais des gens avec qui un enseignant puisse interagir". Il a notamment glissé l'idée de mise à disposition, par le MESR, "d'ingénieurs pédagogiques", ce qui représentaient "quelques postes supplémentaires" à budgéter.

Assurer la continuité entre le secondaire et le supérieur

En attendant de voir les promesses du ministère se concrétiser, l'enseignement supérieur anticipe de nombreuses autres problématiques créées par son adaptation au réchauffement climatique. Par exemple, la transition entre enseignement primaire, secondaire et supérieur, qui est "à renforcer", selon les mots prononcés par Pap Ndiaye, également le 20 octobre.

Le ministre de l'Education nationale a de son côté annoncé que le conseil supérieur des programmes s'est vu confier "une mission spécifique" pour "renforcer significativement les apprentissages liés au développement durable dans le premier et le second degré".

Vers une transition avec les étudiants

Parmi les autres enjeux, exprimés autant par les auteurs du rapport que par les dirigeants des formations, l'exemplarité des établissements, la rénovation du bâti énergivore, le "surservice" des enseignants-chercheurs et le temps dédié à la recherche seront au cœur d'une adaptation réussie.

Enfin, le rôle des étudiants n'est pas oublié. Lors du club de la rédac' d'EducPros, une école d'ingénieurs, fière d'un virage déjà bien entamé, a estimé que "cela n'a pas été si difficile, parce que nos étudiants étaient majoritairement demandeurs". Aussi, alors que de nombreux enseignants font état de la montée de l'éco-anxiété dans les amphis, l'adhésion, la volonté et la créativité des étudiants sont autant d'éléments clés à considérer.

Thibaut Cojean | Publié le