Réforme de la voie professionnelle : les syndicats regrettent le manque d'ambition scolaire

Marine Ilario Publié le
Réforme de la voie professionnelle : les syndicats regrettent le manque d'ambition scolaire
Emmanuel Macron lors de son déplacement à Saintes le 4 mai 2023, a dévoilé les contours de la réforme de la voie pro. // ©  Dominique Jacovides/pool-REA
Après les annonces d’Emmanuel Macron sur les changements qui vont s’opérer dans les lycées professionnels, les syndicats n’ont pas tardé à réagir et regrettent le manque d’ambition scolaire pour les élèves.

Zéro décrocheurs, 100% d’insertion professionnelle et une meilleure reconnaissance des enseignants. Lors de son déplacement au lycée Bernard Palissy de Saintes, en Charente-Maritime (17), jeudi 4 mai, Emmanuel Macron a détaillé la réforme de la voie professionnelle. Si les trois axes de cette réforme font consensus, les moyens pour y arriver ne mettent pas tout le monde d’accord.

"Brutale", "encore floue", etc. Les syndicats n’ont pas tardé à réagir sur cette réforme qui va occasionner de nombreux changements, pour certains dès la rentrée 2023.

Les élèves manquent de temps scolaire en lycée professionnel

Pour Sigrid Gérardin, co-secrétaire générale du Snuep-FSU, la réforme de la voie professionnelle ressemble à "un renoncement de l’ambition scolaire". L’entreprise est mise au cœur des enjeux alors que les enseignants en lycée professionnel manquent surtout de temps scolaire. "Ils veulent faire de nos lycées professionnels non plus des établissements où les jeunes apprennent un métier, mais des centres de formation à l’emploi. Les jeunes deviennent alors une main d’œuvre immédiatement employable", regrette-t-elle.

Même sentiment pour Pascal Vivier, secrétaire général du Snetaa-FO, qui reconnaît que les élèves n’ont pas besoin de temps en stage supplémentaire mais de temps scolaire, d’autant plus s’ils souhaitent s’insérer directement après l’obtention de leur bac.

Toutes les entreprises disent que les titulaires du bac pro sont de bons professionnels. En revanche, ils rencontrent des difficultés d’écriture, de lecture, de compréhension, d’intégration et de socialisation. (P. Vivier, Snetaa-FO)

"Toutes les entreprises disent que les titulaires du bac pro sont de bons professionnels qui maitrisent les technologies liées à leur métier. En revanche, ils rencontrent des difficultés d’écriture, de lecture, de compréhension, d’intégration et de socialisation. Des compétences qui s’acquièrent davantage sur le temps scolaire", estime le secrétaire général.

Deux voies en terminale professionnelle

En terminale professionnelle, les lycéens se retrouveraient scindés en deux groupes : ceux qui veulent s’insérer professionnellement et ceux qui souhaitent poursuivre leurs études.

Frederic Marchand, secrétaire général de l’Unsa Éducation, attend de voir comment ce système va s’articuler. Mais pour lui, cela pourrait "permettre aux élèves qui souhaitent poursuivre leurs études de bénéficier d’heures de cours en plus petits groupes".

Une chimère pour Pascal Vivier puisque "80% des jeunes bacheliers pro passent par Parcoursup. Ils souhaitent très majoritairement faire des études surtout qu’ils sont souvent encore mineurs quand ils obtiennent leur bac".

Un bouleversement du calendrier des épreuves à venir

Cette transformation de l’année de terminale implique, de facto, un bouleversement de son calendrier, avec des épreuves du bac qui devraient se tenir dès le mois de mars. "Un peu comme ce qui se fait en lycée général" compare Sigrid Gérardin qui évoque les mêmes craintes : "on se demande comment on va pouvoir boucler les programmes parce qu’on ne sait pas si le contenu de la formation va être revu".

Sans compter le risque de voir bondir l’absentéisme, notamment pour les élèves qui veulent poursuivre leurs études. "Parce qu’à 17 ans, une fois les épreuves passées, je les imagine mal revenir en classe pour approfondir leurs connaissances".

On se demande comment on va pouvoir boucler les programmes parce qu’on ne sait pas si le contenu de la formation va être revu. (S. Gérardin, Snuep-FSU)

Pour Pascal Vivier, ces bouleversements calendaires sont techniquement impossibles. "Les élèves font souvent le choix de poursuivre ou non leurs études en fonction de leurs résultats sur Parcoursup. Comment scinder les élèves en deux groupes dès le mois de mars alors que les résultats de Parcoursup interviendront plus tard dans l’année ?"

Sans compter que le bac pro s’obtient majoritairement en CCF (contrôle en cours de formation) qui ont lieu entre le mois de mars et le mois de juin. "Si les élèves sont en stage, quand pourront-ils les passer ?" s’interroge le secrétaire général du Snetaa.

Une difficulté de trouver des stages de qualité

Les stages sont l'un des gros chantiers de la réforme. Si leur augmentation de 50% a été abandonnée, c’est tout de même plus de stages que devront effectuer les élèves qui font le choix de ne pas poursuivre leurs études.

Or, nombreux sont les syndicats à rappeler la difficulté à trouver des stages de qualité. En voie professionnelle on parle de périodes de formations en milieu professionnel. "Cela signifie que l’on n’est pas dans un stage de découverte mais dans un stage où l’entreprise devient formatrice" précise Pascal Vivier. Or, "plus de la moitié des élèves affirment s’ennuyer quand ils sont en stage".

Pour assurer des stages de qualité, j’aurais aimé que la réforme prévoit un engagement des entreprises mais ce n'est pas le cas. (P. Vivier, Snetaa-FO)

Sigrid Gérardin le remarque aussi. Faute de trouver mieux, beaucoup d’élèves font des stages "bidons". "Dans la filière HPS (hygiène propreté stérilisation, ndlr), les élèves sont censés travailler en hôpitaux, Ehpad ou laboratoire d’analyses. Mais souvent, ils se retrouvent dans la grande distribution à faire du nettoyage et de la mise en rayon, ce qui n’a rien à voir avec leur filière".

Pour assurer des stages de qualité, "j’aurais aimé que la réforme prévoit un engagement des entreprises mais ce n'est pas le cas" déplore Pascal Vivier.


Une gratification des stages en lycée pro

Lors de son allocution, le chef de l'Etat a annoncé la gratification progressive des stages, à partir de la rentrée 2023 : 50 euros par semaine en seconde, 75 euros en première et 100 euros en terminale.
Une bonne nouvelle pour Pascal Vivier qui aurait pourtant préféré une revalorisation des bourses, pour des élèves qui cumulent souvent études et emploi "ou qu’on augmente le Pass culture car ce sont les jeunes qui y sont le plus éloignés". Sigrid Gérardin aurait souhaité, quant à elle, la mise en place d’une allocation d’étude pour compenser les frais liés aux études en lycée professionnel "comme l’achat de matériels ou d’outils par exemple".

Un bureau des entreprises… déjà existant ?

Pour aider les lycéens à trouver leur stage, Emmanuel Macron a annoncé la mise en place d’un bureau des entreprises. "Un joli nom" pour Pascal Vivier qui s’étonne de cette annonce alors que cette mission est déjà remplie par le directeur délégué aux formations professionnelles et technologiques (DDFPT). "Il est présent dans tous les lycées ! martèle-t-il. Son rôle à temps plein consiste à être en lien avec les entreprises, trouver les lieux de stage, gérer les conventions et s’assurer que les stages sont conformes aux référentiels".

Un rôle "central" pour Frederic Marchand qui s’étonne que ces personnels n’aient même pas été mentionnés lors de l’allocution du chef de l’Etat. Un oubli "vexant" pour Pascal Vivier qui rappelle le travail monumental qu’ils exercent. "Ils gèrent les stages de tous les élèves d’un lycée. Imaginez dans les gros établissements !"

Calquer l'offre de formation aux besoins du territoire, un risque ?

En plus des DDFPT, les CREFOP sont aussi les grands oubliés du discours du président de la République. Ces instances régionales se réunissent trois fois par an pour discuter de la carte des formations et l’améliorer. Or, dans son discours le chef de l’Etat a annoncé la nécessité d’une refonte de cette carte visant à supprimer celles qui ne permettent pas une bonne insertion professionnelle et/ou la possibilité de poursuivre des études. Pour cela, il en appelle… aux régions !

En voulant calquer l’offre de formation aux besoins d’un territoire, les syndicats craignent de tomber dans un "adéquationnisme" trop poussé. Un risque selon Sigrid Gérardin "d’assigner socialement et géographiquement les jeunes à un métier". D’autant plus que fermer et ouvrir des formations va prendre du temps. "Personne n’est en capacité de bouger suffisamment vite pour s’adapter aux besoins d’un territoire. En général trois ans sont nécessaires pour faire évoluer une carte des formations" prévient Frédéric Marchand.

Sans compter les conséquences sur les enseignants en cas de fermeture de filières. "On va être sur des reconversions forcées" s’insurge Sigrid Gérardin qui craint aussi une perte de compétences des enseignants. "La majorité des professeurs en lycée professionnel sont d’anciens salariés ce qui apporte une plus-value aux cours". Une plus-value perdue en cas de changement radical de filière.

D’où la nécessité d’accompagner les enseignants dans ces reconversions. Mais Frédéric Marchand reste méfiant sur le suivi qui sera mis en place pour les personnels.

Une réforme qui doit s’insérer dans un tout

Pour Pascal Vivier, la réforme du lycée professionnel ne peut fonctionner qu’avec une réforme du collège et de l’enseignement supérieur. "Au collège on doit déceler chez les élèves des talents autres que les talents académiques pour leur faire découvrir des métiers qui pourraient leur convenir".

Et pour favoriser la réussite des élèves en BTS il rappelle l’importance d’ouvrir des classes au sein même des lycées pro, encadrées par des professeurs de ces lycées "qui connaissent les difficultés auxquelles sont confrontées les élèves qui ont alors deux fois plus de chance de réussir parce qu’ils sont mieux encadrés".

Marine Ilario | Publié le