Réforme du bac : la baisse des maths au lycée général, une réponse à la pénurie de professeurs ?

Thibaut Cojean Publié le
Réforme du bac : la baisse des maths au lycée général, une réponse à la pénurie de professeurs ?
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Trois ans après la réforme du bac, le nombre d'heures assurées par les profs de maths en lycée a baissé de près de 20%. Une perte de vitesse qui ne surprend pas Sébastien Planchenault, président de l’association des professeurs de mathématiques de l’enseignement public (APMEP), selon qui la réforme du bac s'est en partie adaptée aux pénuries d'enseignants de mathématiques. Décryptage.

Les mathématiques sont-elles rentrées dans un cercle vicieux ? Depuis la mise en place de la réforme du bac au lycée général et technologique, les professeurs de mathématiques enseignent de moins en moins. Entre 2018 et 2020, ils ont en effet perdu 18,7% d’heures de cours, passant de 183.870 à 150.330 heures par an, selon une note publiée par la Depp, le service statistiques du ministère de l'Education nationale, en novembre 2021.

La cause directe de cette baisse ? La suppression des mathématiques du tronc commun de première et de terminale générale, remplacées par l’enseignement scientifique. Une nouvelle matière assurée très majoritairement par les professeurs de SVT et de physique-chimie, et qui n’a laissé que 6,5% de ses heures aux professeurs de maths en 2020.

Pallier le manque de professeurs de maths ?

Mais la cause indirecte de cette suppression, est plus floue. Interrogé par EducPros en septembre 2021, le ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer, expliquait que "la réforme considère que c'est à la fin de la classe de seconde qu'on doit avoir donné un socle mathématique puissant." Dans le même temps, il estimait que la pénurie de professeurs de maths n'était "pas un sujet" au lycée et que la réforme a justement été pensée pour "remuscler les mathématiques", en offrant plus de choix aux élèves.

Une vision loin d’être partagée par Sébastien Planchenault, président de l’association des professeurs de mathématiques de l’enseignement public (APMEP). Selon lui, "il y a toujours le problème de la pénurie de candidats au concours [en mathématiques]", qui "ne pourvoit plus tous les postes depuis quelques années". Et si "à la suite de la réforme du lycée, il y a moins de tension pour trouver des remplaçants en maths", c'est bien car il y a moins d'heures de maths à assurer dans les lycées.

Il y a toujours le problème de la pénurie de candidats au concours [en mathématiques]. (S. Planchenault, APMEP)

Pour le professeur de mathématiques, "le choix délibéré de retirer les maths du tronc commun d'une grande partie de la population" répond donc avant tout à des "problématiques RH", soit au manque de professeurs de mathématiques.

Problème d'attractivité du métier d'enseignant

Cette pénurie s'explique en partie par un problème d'attractivité, que les récentes revalorisations des salaires des enseignants ne devraient pas résoudre. Hors prime, un professeur titulaire débutant gagne entre 1.435 et 1.485 euros nets par mois en 2021, selon le Snes-FSU. Or, "après un bac+5 en maths, on arrive facilement à des salaires de 2.600, 2.700 euros nets pour un débutant", relate Sébastien Planchenault.

Il lui paraît donc plus probable que le ministre ait adapté sa réforme du bac aux effectifs d'enseignants de maths. Selon le président de l'APMEP, le ministre n'a pas suivi la recommandation du premier rapport de Pierre Mathiot façonnant la réforme du bac : créer un cours de mathématiques-informatique dans le tronc commun de première générale.

"Comment justifier qu’un niveau en maths soit suffisant en seconde alors qu’on n'a aucun examen pour l’attester ? En français, on arrête en première avec une épreuve", poursuit Sébastien Planchenault, pour qui un examen terminal de maths pour tous les élèves serait "logique".

Créer des spécialistes en mathématiques

En outre, la disparition des maths du tronc commun pourrait aggraver une situation déjà inquiétante. "On voit dans la population et même chez les politiques, que la connaissance mathématique n'est pas suffisante", regrette Sébastien Planchenault.

Si la crise sanitaire a récemment mis en avant l'intérêt d'avoir un socle scientifique minimal permettant de comprendre des notions, des courbes et des graphiques (et de s'armer face aux fausses informations), les mathématiques peuvent aussi être utiles dans la vie quotidienne, que ce soit pour "acheter un bien", comprendre "les nouvelles technologies" ou, dans une actualité très marquée par les sondages, "savoir ce qu'est un échantillonnage".

Or, en dehors du tronc commun, l'apprentissage des mathématiques en spécialités ne répond pas forcément à ces problématiques. D'abord parce que tous les élèves ne la choisissent pas, mais surtout parce que "l'objectif de la spécialité est de créer des spécialistes en mathématiques". Et "avec un programme dense, les enseignants n'ont pas d'autre choix que d'aller assez vite", observe le porte-parole.

Près de 43% des élèves ont abandonné la spécialité maths en terminale

Ce qui n'aide pas les élèves qui prennent des maths pour leur culture générale : le taux d'abandon de la spécialité souligne ces difficultés. Selon la Depp, 42,8% des élèves ayant pris la spécialité en première en 2020-2021 ne la poursuivent pas cette année en terminale.

Cet autre sujet pourrait-il créer un cercle vicieux d'une baisse générale du niveau en mathématiques ? Le porte-parole lance l'alerte : "Comme il y a moins d’élèves qui suivent les maths en voie générale, on va avoir encore moins de candidats au concours de l'enseignement d'ici cinq ans."

Thibaut Cojean | Publié le