Réforme du lycée : c’est l’histoire de la fin de l’histoire en Terminale S

Fabienne Guimont Publié le
Luc Chatel va présenter sa réforme du lycée au conseil supérieur de l’éducation le 10 décembre 2009. Un an exactement après que Xavier Darcos a suspendu la sienne sous la pression des lycéens. Cette fois-ci, ce n’est pas la « rue » qui attaque la réforme, mais des intellectuels, qui s’insurgent contre la suppression de l’histoire des matières obligatoires en terminale S . Défense corporatiste à l’heure où chaque discipline veut tirer à elle la couverture ? Déclassement d’une matière considérée comme une « passion française » ? Manoeuvre politique en marge du débat sur l’identité nationale ? Attaque en coin contre Richard Descoings, directeur de Sciences po, et sa réforme ? Nous avons cherché à en savoir plus sur les dessous de cette levée de boucliers.

L’histoire commence le 29 novembre 2009. L’association des professeurs d’histoire-géographie (APHG ) lance un appel « pour le maintien d’un enseignement obligatoire d’Histoire et de Géographie en Terminale scientifique », somme toute de bonne guerre alors que les disciplines se sentant lésées par la réforme essaient de tirer à elle la couverture. Cette pétition, partie du très élitiste lycée Saint-Louis, a recueilli en moins de dix jours, quelque 19 000 signatures. De quoi faire pâlir les SES (sciences économiques et sociales), elles aussi en lutte .

Le buzz des historiens

Un appel relayé par une autre pétition parue dans le Journal du dimanche , le 6 décembre 2009, exigeant elle aussi l’annulation de cette mesure dénonçant un « utilitarisme à courte vue ».

Des signataires de renom – Benjamin Stora, Michel Winock, Alain Finkielkraut, Jacques Le Goff, etc. - qui ont provoqué un vrai buzz, très vite relayé dans la presse – comme la Une de libération mardi 8 décembre 2009 sur « L’histoire en phase terminale » - à la radio, à la télé… La mayonnaise a pris. De quoi glaner des soutiens artistiques, politiques, parti socialiste en tête et jusque dans les rangs de l’UMP avec Dominique de Villepin, se sentant l’âme d’un croisé pour défendre cette passion bien française.

Derrière les déclarations fracassantes sur le déclassement de l’histoire-géographie, au point de « rejoindre les langues dites mortes » (dixit Benjamin Stora), ou sur la nécessité de cette matière dans la formation du citoyen et dans la culture générale des élites, de quoi parle-t-on ?

L'histoire sort du giron du tronc commun

Initialement, les promoteurs de la réforme du lycée avaient purement et simplement exclus l’histoire-géographie en terminale S. Avec l’objectif explicite d'attirer dans cette classe exclusivement les « vrais » scientifiques et de casser cette filière d’excellence pour bons élèves, qu’ils se destinent à des études scientifiques ou pas.

Prévenant la levée de bouclier disciplinaire, le projet de réforme a réintégré la matière en Terminale S sous forme d’option (2 heures). L'histoire-géographie perd ainsi sa place dans le tronc commun et devient, comme le français, évaluée pour le baccalauréat en fin de Première, dans une épreuve anticipée.

Côté volume horaire, la discipline n’est pas non plus sacrifiée. Les 2h30 actuellement au programme en Première et en Terminale S seront remplacées par 4 heures, en Première uniquement. Un alignement sur le nombre d'heures dispensées dans les séries L et ES en Première. Cela constitue une heure de moins par semaine pour les terminales S ne prenant pas l’option, une de plus pour les volontaires. 

L'enjeu du rééquilibrage des séries

« Du CP au bac, les élèves font en moyenne 1100 heures d’histoire-géographie actuellement. Si un élève de Terminale S ne prend pas l’option histoire-géographie, il n’aura que 36 heures en moins dans cette matière sur toute sa scolarité ! Les élèves vont perdre un peu de l’approche thématique sur la culture européenne, par ailleurs critiquée. En revanche, ils auront davantage de cours sur la naissance de la IIIème République, essentielle dans la constitution de l’identité nationale justement », s’étrangle Julien Maraval, responsable du suivi de la réforme du lycée au SE-Unsa et par ailleurs professeur d’histoire-géographie. Ce syndicat enseignant défend la réforme actuelle du lycée. Celle-ci permettant selon lui un rééquilibrage entre les séries.

Un point de vue partagé par Claude Thélot sur son blog . « Que la filière scientifique soit plus scientifique et moins générale est une condition capitale du rééquilibrage des séries, et notamment de l’émergence d’excellences littéraire, économico-sociale, technologique industrielle de gestion, etc. Si l’on peut « tout » faire en filière scientifique, il n’y a plus de filière scientifique il n’y a qu’une filière de bons élèves et la diversification des excellences n’est qu’un mot creux », écrit celui qui a mené le grand débat sur l’avenir de l’école .

Il remarque opportunément que la suppression de l’histoire en son temps dans la filière STI n’avait, elle, suscité aucun débat… d’universitaire de renom ou d’autres.

Sauver les filières d'élites ?

Autre argument des signataires de la pétition : l’histoire-géographie serait nécessaire à de plus en plus de candidats « à certaines formations supérieures de haut niveau ». Cette formulation assez obscure désigne-t-elle Sciences Po (voir le blog d’Emmanuel Davidenkoff ) ? Les classes prépas économiques ?

Ces filières de prestige ne représentent pourtant pas, en volume, les débouchés les plus importants des bacheliers scientifiques. Leur orientation entre 2000 et 2007 (derniers chiffres disponibles) montre ainsi que les poursuites d’études en classes prépas sont restées stables sur la période (20% d’entre eux). Ils désertent les sciences à l’université.

A l'inverse, ils se dirigent massivement et de plus en plus vers les facs de médecine (la proportion de bacheliers scientifiques s’y orientant est passée de 12% à 21%). Une discipline où l’histoire-géographie est pour le moins secondaire pour réussir.

Reste Sciences po dont les effectifs ont certes crû, mais restent marginaux sur l’ensemble des poursuites d’études. Richard Descoings , son bouillonnant directeur et artisan de la réforme du lycée, semble presque avoir anticipé la mise en place de la réforme, en changeant le concours d’entrée de son IEP en octobre 2009.

Ce dernier comprend désormais une épreuve à option, adaptée à chaque série du bac général. Dont une épreuve de mathématiques pour les scientifiques. Richard Descoings argumente d’ailleurs de l’utilité d’alléger de l’histoire-géographie la classe de Terminale S, à la fois pour sauver les filières universitaires en sciences et la série L (à lire sur son blog et dans une tribune du Monde daté du 10 décembre 2009).

Au final, ce rééquilibrage entre séries ne se fera pas sans les filières du supérieur et un changement dans leur façon de « recruter » leurs candidats. « Il n’est pas logique que les classes prépas littéraires accueillent 25 % de terminale S, argumente Julien Maraval, contre les pétitionnaires. Nous sommes dans un système où l’on recrute les candidats supposés avoir le meilleur niveau et non ceux ayant les pré-requis nécessaires à la formation. La moitié des bacheliers ont un bac S : c’est le symptôme d’un dysfonctionnement ».

Une affaire politique ?

Alors pourquoi tant de beaux esprits s’enflamment-ils ? Serait-ce une manœuvre plus politique ? Par dépêches AFP interposées, deux des conseillers de Nicolas Sarkozy ont donné des avis divergents sur la question, le 8 décembre 2009.

Son conseiller spécial, Henri Guaino, voulait ainsi remettre la réforme de Luc Chatel en débat. Il a déclaré sur Europe 1 que "l'enseignement de l'histoire est quelque chose de très important. Nous ne devons pas fabriquer des scientifiques qui n'ont aucune culture humaniste et des littéraires qui n'ont aucune culture scientifique".

De son côté, Raymond Soubie, conseiller social du président a tenté de calmer la polémique en affirmant que ce n’était « pas une bonne querelle ». De quoi placer Luc Chatel, lors de sa présentation de la réforme du lycée le 10 décembre 2009, dans une position délicate…  

Fabienne Guimont | Publié le