Réforme du lycée : les coulisses des expérimentations de la rentrée

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Réforme du lycée : les coulisses des expérimentations de la rentrée
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Contre la promesse de 500 équivalents temps-plein, une centaine de lycées devraient expérimenter à partir de septembre 2009 peu ou prou des pans de la réforme que Xavier Darcos avait été contraint de repousser. Retour sur un dossier à rebondissements qui dure depuis février 2009.

Les 16 000 suppressions de postes et la masterisation ne sont pas les seuls dossiers épineux dont hérite Luc Chatel en prenant les rênes de l’Education nationale. A la rentrée 2009, le successeur de Xavier Darcos devra aussi se pencher sur les expérimentations dans les lycées.

Petit retour en arrière… Moins de deux mois après le report de sa réforme, en décembre 2008, Xavier Darcos lance un appel d’offres, via les recteurs, auprès des établissements. S’ils le souhaitent, ceux-ci pourront expérimenter dès septembre 2009 des points du projet repoussé : la semestrialisation, la semaine de bilan et d’orientation de milieu d’année, la mise en place d’un accompagnement individualisé pour les élèves en difficulté, etc. Il suffisait pour cela d’envoyer un dossier à son académie.

Des débuts polémiques

Comme appât, Xavier Darcos promettait - aux établissements qui expérimenteront - une dotation de 500 ETP (équivalents temps-plein), réservée dans son budget annuel. Le ministre s’appuie sur l’article 34 de la loi d’orientation sur l’éducation de 2005, ou loi Fillon, qui autorise l’expérimentation de façon dérogatoire, au nom de l’autonomie pédagogique des établissements.

Passage en force pour les uns, opération de com’ pour « exister » vis-à-vis de Richard Descoings (en plein tour de France des lycées) et Benoist Apparu (en pleine mission parlementaire) pour les autres : l’idée est mal perçue. Néanmoins, début avril 2009, le ministère de l’Education nationale déclare avoir reçu 250 dossiers et établi une liste de 116 lycées expérimentateurs. Fin de l’acte I.

123 établissements pour beaucoup déjà engagés dans des innovations

Officiellement, la liste compte aujourd’hui 123 établissements. « Les expérimentations concernent surtout des lycées confrontés à la difficulté scolaire, au redoublement massif, moins des lycées de centre-ville, qui fonctionnent bien et où l’on ne voit pas pourquoi on changerait. Mais il ne s’agit pas du premier critère pour être sélectionné. Beaucoup d’établissements de la liste étaient déjà impliqués dans un projet politique et pédagogique, une réflexion, une intention de changer, voire une action plus ou moins formalisée. Les équipes sont motivées. On y retrouve donc des lycées pour qui « c’est ça ou la mort » mais aussi des lycées favorisés », explique François Muller, responsable de la mission innovation et expérimentation de l’académie de Paris. A Paris, par exemple, Henri-Bergson et Racine se retrouvent sur la même page.

Micmac des listes : des éliminations d’ordre pédagogique…

Depuis avril 2009, certains noms se sont ajoutés, d’autres ont disparu. Ce fut le cas, assez vite, de quatre lycées de l’académie d’Aix-Marseille. « Dans un premier temps, notre projet était dédié aux étudiants de première année de BTS scientifique, issus notamment de bac pro, qui rencontrent des difficultés dans les enseignements généraux. Le recteur n’était pas vraiment partant...

Entre février et mai 2009, nous avons retravaillé le projet pour l’adapter aux lycéens de la série STL (sciences et technologies de laboratoire), qui arrivent de la voie générale et ont besoin d’une remise à niveau. Finalement, notre dossier a été refusé au niveau national, mais a retenu l'attention au niveau de l'académie, ce qui signifiera moins de moyens au final. Nous attendons cependant une confirmation écrite... », témoigne Maryse Huyghe, proviseur du lycée Marie-Curie de Marseille.

…ou politique

Pour d’autres établissements, le retrait de la liste est plus politique que pédagogique. « Nous étions volontaires à la fin du mois de février 2009 pour expérimenter des dispositifs sur lesquels nous travaillions déjà : des groupes de compétences en langues et des études dirigées en seconde. La publication de la liste, présentée comme la liste de lycées expérimentateurs de la réforme Darcos, a braqué les gens. Les professeurs ne voulaient pas y être associés. Aujourd’hui, nous continuons notre programme. Mais que nous recevions ou non la dotation, ce n’est plus mon problème », lance Yves Boissel, le proviseur du lycée de Chamalières.

Selon le SNPDEN (syndicat national des personnels de direction de l’Education nationale), certains chefs d’établissement auraient également « reçu des pressions » pour expérimenter sans l’accord des équipes pédagogiques, mais le syndicat n’a pu fournir de contacts précis. « Les choix des lycées ont été plus ou moins directifs selon les académies, concède François Muller. Pour moi, ce n’est pas un gage de réussite. Il est hautement souhaitable qu’ils soient volontaires ».

Du reste, le vote du conseil d’administration de l’établissement est obligatoire avant toute expérimentation. « Quand je lis que certains proviseurs ont découvert le nom de leur lycée sur la liste dans la presse, j’ai du mal à le croire », indique ainsi Roland Hubert, secrétaire général du SNES.

L’accompagnement des élèves en ligne de mire

Aujourd’hui encore, être inscrit sur la liste – voire le principe même de liste, considéré comme un label – fait débat dans les établissements. Mais difficile de connaître le nombre exact de désertions puisque le ministère n’a jamais publié de nouveau document depuis « les 123 ». « Les expérimentations ne constituent pas un passage en force de la réforme Darcos puisque de nombreux lycées expérimentaient déjà », assure François Muller (voir encadré).


Le privé plus volontariste ?

« Les lycées privés sont moins soumis aux résistances, à la mobilité des personnels, aux directives nationales », explique François Muller, qui estime que 70 % des dossiers remontés dans les rectorats provenaient toutefois d’établissements publics. Une information contredite par Christian Vallantin, proviseur du lycée privé Sainte-Marie-du-Port.

« Au niveau national, les établissements privés se sont présentés en masse, alors que les publics étaient réticents », assure le proviseur de Sainte-Marie-du-Port. Toujours est-il que seulement une quinzaine de lycées privés figurent dans la liste des 123. « Un certain nombre de candidats n’ont pas été retenus mais ils vont être tout de même suivis, sans être dotés de moyens », indique le proviseur.

Luc Chatel prend connaissance du dossier

Reste une incertitude… Que va faire Luc Chatel ? « Pour le moment, le ministre prend connaissance des nouveaux dossiers. On attend qu’il s’installe. Il serait prématuré d’en parler. Mais il n’y a pas de remise en cause des expérimentations », déclare-t-on au ministère de l’Education nationale. Les syndicats ont demandé à rencontrer le nouveau ministre pour discuter notamment de ce dossier. D’ores et déjà, ils s’interrogent : d’où va-t-il sortir les moyens nécessaires pour financer 500 postes alors que 13 500 vont passer à la trappe en 2009 ?

Les lycées qui n'ont pas attendu Darcos et ses expérimentations

Plusieurs lycées inscrits sur la liste des "expérimentateurs" avaient déjà mis en place des innovations pédagogiques. Les postes promis devraient leur permettre de les amplifier. Le lycée Jean-Jaurès à Argenteuil (95) va profiter de son 1,6 ETP d'ores et déjà accordé pour développer son tutorat et ses options pluridisciplinaires. Mais l’établissement va également créer un temps de rupture dans l’année, « l’autre semaine », pour « faire des choses différentes » : présentation publique des projets réalisés, ateliers méthodologiques, entretiens d’orientation, visites d’entreprise, etc.

Le lycée Louis-Armand de Nogent-sur-Marne (94) avait lui aussi développé l’accompagnement éducatif. Au programme désormais : journée d’intégration des élèves, TP d’orientation (travail d’enquête avec le conseiller d’orientation et le professeur principal, visites de laboratoires et d’ateliers pour découvrir des options) et soutien en petits groupes orchestré par des professeurs référents. « On veut mettre en place un horaire fixe dans l’emploi du temps où tout le monde est disponible », explique Brigitte Gaidou-Khemiri, la proviseur adjointe.

Idem au lycée Sainte-Marie-du-Port aux Sables-d’Olonne (85). Depuis six ans, cet établissement privé sous contrat a adopté un système de cours de 45 minutes, au lieu de 55. Les 10 minutes restantes sont transformées en accompagnement. A la rentrée 2009, le lycée compte développer son dispositif de groupes de compétences en langues et créer des ateliers « enseignement supérieur » en terminale. « Au total, nous avons demandé l’équivalent de treize heures de plus par semaine. Le recteur de Nantes s’est engagé par écrit pour la dotation. Nous attendons… Mais l’objectif n’est pas de décrocher des heures pour décrocher des heures. Certains se sont peut-être précipités pour avoir des moyens, sans avoir de dossier solide sur lequel s’appuyer. Nous espérons bien poursuivre les expérimentations même si nous n’obtenons pas ce que nous avons demandé », assure Christian Vallantin, le proviseur du lycée.

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