Il n'y a aucune raison pour qu'on ne puisse pas concilier la politique des Idex et celle du gouvernement en matière de regroupement. L'État se doit d'être cohérent. C'est sur cette logique que j'ai conçu mon rapport." Jean-Richard Cytermann, chef du service de l'IGAENR (Inspection générale de l'administration de l'Éducation nationale et de la Recherche), défend ainsi son rapport, baptisé "Simplification des instruments de coordination territoriale et articulation avec les initiatives d'excellence" et remis à Thierry Mandon, le secrétaire d'État à l'Enseignement supérieur et à la Recherche, le 14 novembre 2016.
les exigences du PIA, "seul levier de l'État"
De fait, le constat dressé est clair : "Les exigences du Programme d'investissement d'avenir (PIA), telles que validées par le gouvernement, donnent de la force à la notion de regroupement voulue par la loi Fioraso de 2013, puisqu'elles sanctionnent les regroupements à gouvernance faible, peu intégrée et à compétences limitées, est-il noté dans le rapport. [Ces exigences] sont, pour l'instant, et on peut d'ailleurs le regretter, le seul levier dont dispose réellement l'État pour mettre en œuvre les dispositions de la loi de 2013."
Partant de cette analyse, l'IGAENR recommande la mise en place de deux voies "symétriques", visant à renforcer la capacité d'intégration des regroupements.
Plusieurs pistes pour faciliter la fusion
La première voie pousse à la fusion entre établissements, en garantissant tout de même à certains membres des regroupements – les grandes écoles, notamment – "le maintien d'une certaine visibilité et autonomie", et ce malgré la perte de leur personnalité morale.
Jusqu'à présent, à l'exception de l'Université de Lorraine, aucune fusion entre universités et grandes écoles n'a eu lieu : celles-ci se sont faites exclusivement entre universités ou entre écoles... Concrètement, afin de ménager des marges de manœuvre aux membres d'un établissement fusionné, ce dernier pourrait prendre le statut de grand établissement si "l'un de ses membres au moins n'est pas une université." Une façon, pour l'IGAENR, de rassurer les membres fusionnés tout en donnant "un signal d'intégration plus clair aux producteurs de classement internationaux."
Cette solution pourrait s'appliquer à des situations "particulièrement complexes comme Lyon, Paris Sciences et Lettres ou Paris-Saclay", argumente Jean-Richard Cytermann dans son rapport.
de possibles dérogations pour les "cas complexes"
Toujours dans l'optique de la fusion, deux autres pistes, notamment, sont avancées par l'inspection. D'une part, il s'agirait de consolider les dérogations dont peut déjà bénéficier, pour une durée limitée de cinq ans, un établissement nouveau, en prévoyant qu'elles puissent être pérénisées par décret, après évaluation du Hceres.
D'autre part, consciente que la perte de la personnalité morale dans la nouvelle entité "bloque ou risque de bloquer l'aboutissement de certains dossiers (Paris-Est, Paris-Saclay) et de remettre en cause la confirmation de certaines initiatives d'excellence", l'inspection envisage, pour "les cas les plus complexes", le maintien de la personnalité morale pour certains membres du nouvel ensemble fusionné, pour une durée transitoire et sous réserve d'une évaluation a posteriori par le HCERES (Haut conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur)." Une solution qui ne pourrait s'appliquer que dans l'hypothèse où la fusion intègre un grand établissement ou une ENS (École normale supérieure).
Cette piste intéresse particulièrement Paris Sciences et Lettres, qui fait partie des trois dossiers Idex (avec Paris-Saclay et Sorbonne Universités) dont la période probatoire a été rallongée en avril 2016. "Cette possibilité permettrait le maintien de deux niveaux de personnalité morale, ce que nous souhaitons depuis le début", note Thierry Coulhon. Le président de la PSL tient cependant à rappeler que pour sa Comue, pas question de fusionner.
Vers une intégration plus forte au sein des Comue
Dans les cas où la voie de la fusion est totalement écartée, l'IGAENR plaide en faveur d'une intégration plus forte des membres sur certains pans de la gouvernance (budget, ressources humaines, délivrance des diplômes ou encore recherche). Autant d'éléments pouvant apparaître au jury du PIA "comme des preuves suffisantes d'une intégration réelle", ajoute l'inspection.
Ce serait déjà une avancée importante si nous disposions, au sein de la Comue, des informations budgétaires de l'ensemble des membres...
(G. Bloch)
Du côté de Saclay, ces pistes sont examinées avec attention. "L'option de la fusion, même dans le cadre d'un grand établissement étant, pour nous, écartée, toutes les propositions visant au renforcement l'intégration dans le cadre de la Comue nous intéressent, indique Gilles Bloch, président de l'Université Paris-Saclay. Tous les curseurs ne sont pas calés : au niveau budgétaire, nous avons par exemple évacué l'option d'une dotation unique, qui nous paraît extrême, et nous sommes plutôt sur une ligne de transparence. Ce serait déjà une avancée importante si nous disposions, au sein de la Comue, des informations budgétaires de l'ensemble des membres..."
Le ministère suit les propositions de l'IGAENR
Khaled Bouabdallah, président de l'Université de Lyon, fait également part de son intérêt pour ces propositions et juge particulièrement "pertinent" le constat sur lequel elles se fondent : "On a voulu que l'objet Comue s'applique partout de la même façon au lieu de laisser les acteurs s'organiser entre eux, en fonction des spécificités locales. Or, la mise en place des Comue a été tellement lourde qu'elle a pris toute l'énergie des acteurs, ce qui nous a fait perdre du temps sur le projet..."
Reste donc à savoir lesquelles, parmi ces propositions, seront concrétisées. S'exprimant lors d'un colloque sur la politique de site le 14 novembre 2016, le secrétaire d'État à l'Enseignement supérieur et à la Recherche, Thierry Mandon, a annoncé que le ministère travaillait "autour des deux voies" proposées par l'IGAENR. Si ces dispositifs conviennent, le ministère ne "perdra pas de temps pour mettre en œuvre ces changements réglementaires."
Philippe Raimbault, président de l'Université fédérale de Toulouse-Midi-Pyrénées, salue des avancées significatives présentes dans le rapport IGAENR. "Le schéma de grand établissement – noyau fusionné et associations à ce noyau – est une bonne idée. Maintenant, je me demande si ce rapport se traduira en acte politique avant l'échéance qui vient." Le site toulousain est en effet prié de rectifier la copie de son projet Idex d'ici à la fin janvier 2017.
Le 10 novembre 2016, les membres du site toulousain ont été reçus au ministère. Ils y ont reçu un message clair : le scénario présenté n'offre pas de perspective d'intégration suffisante, et la possibilité d'une fusion, même partielle, de Toulouse 2 avec Toulouse 3 — sans Toulouse 1 – a été soutenue. Une solution envisageable ? "Il n'y a pas de tabou à aller vers la fusion si l'enjeu est de récupérer l'Idex", répond sans ambiguïté Jean-Pierre Vinel, président de Toulouse 3-Paul-Sabatier.