Une fois n'est pas coutume, c'est un administrateur provisoire, Jean Bassères, qui présente les nouveautés de la rentrée 2024 du 27 rue Saint-Guillaume. Un exercice nécessaire après une année particulière.
2024 a été mouvementée à Sciences po Paris, avec le départ de Mathias Vicherat, le 13 mars, suite à des accusations de violences conjugales, puis avec les tensions et blocages d'étudiants fin avril et début mai, dans le sillage de la guerre Israël-Hamas. Ceux-ci avaient débouché sur l'évacuation de l'établissement parisien par les CRS.
Jean Bassères, ancien directeur général de Pôle Emploi (devenu depuis France Travail, NDLR), qui avait pris ses fonctions en mars pour "gérer les affaires courantes" a donc dû aller un cran plus loin.
Mettre en place des dispositifs pour permettre un débat apaisé
Les nouveautés de la rentrée 2024 ont un objectif : apaiser les tensions et clarifier le cadre. Selon l'administrateur provisoire, la rentrée, "sereine", se passe dans de très bonnes conditions.
"Parallèlement, on sait qu'il y a toujours une volonté de mobilisation de certains étudiants autour de la situation de Gaza. Mais, par rapport à ce que certains pouvaient craindre sur une rentrée avec des interruptions de la rentrée solennelle, ça n'a pas été le cas du tout", explique Jean Bassères, qui concède que, cependant, "dans une université, il peut se passer beaucoup de choses".
Plusieurs mesures sont mises en place pour éviter de nouvelles tensions, en "replaçant la culture et l'éthique du débat au cœur des institutions". L'un des outils sera de pallier les "lacunes" des étudiants sur le sujet du Proche-Orient, via un cycle de conférences ayant trait à ce sujet. Le dispositif de lutte contre les discriminations, l'antisémitisme et le racisme sera renforcé, notamment avec un module en ligne obligatoire pour les tous les étudiants.
Ce mois-ci, tous les étudiants de première et deuxième année suivront également un cours sur la liberté d'expression et son encadrement en France. De plus, les deuxième année seront formés à la résolution amiable des différends et conflits.
Est-ce que l'on doit prendre position sur des conflits internationaux ? Voire sur des conflits sociaux, comme la réforme des retraites ? Ce sujet est compliqué et beaucoup d'universités dans le monde se posent la question (J. Bassères, administrateur provisoire de Sciences po Paris)
Par ailleurs, de nouveaux espaces de dialogue entre les étudiants et l'administration seront créés, à Paris et dans les campus, avec des sessions d'échanges libres et une nouvelle assemblée des "student representatives" du Collège universitaire.
Enfin, le règlement intérieur a été mis à jour pour que les règles imposées aux associations constituées s'appliquent également aux collectifs de fait, mais également pour que le cadre utilisé dans l'espace physique soit valable dans l'espace numérique et les réseaux sociaux.
Jean Bassères confirme également que, depuis cet été, 25 nouveaux élèves de plusieurs campus sont concernés par la section disciplinaire, pour avoir voulu bloquer la tenue des examens. Ils s'ajoutent aux huit élèves déjà concernés, après l'occupation d'un amphi sur le campus parisien. La date des décisions n'est pas connue.
Une mission sur le positionnement de Sciences po Paris
Par ailleurs, l'administrateur provisoire affirme la poursuite du travail de la mission de réflexion sur le positionnement de Sciences po s'agissant de conflits politiques ou internationaux, lancée il y a quelques mois.
Selon Jean Bassères, la question doit être tranchée, puisque l'établissement avait pris position sur le sujet de l'Ukraine, mais pas sur le conflit Israël-Hamas. "Est-ce que l'on doit prendre position sur des conflits internationaux ? Voire sur des conflits sociaux, comme la réforme des retraites ? Ce sujet est compliqué et beaucoup d'universités dans le monde se posent la question."
La mission, notamment conduite par Jeremy Perelman directeur des affaires internationales de Sciences po Paris depuis cet été, doit remettre ses conclusions fin octobre. Sans certitudes de déboucher sur une doctrine, elle a pour but de poser une réflexion, notamment sur les conséquences éventuelles d'une prise de position sur le fonctionnement et les missions de l'établissement.
En revanche, l'administrateur provisoire n'envisage pas de rompre les relations avec les partenaires universitaires en Israël. "Pour nous, c'est un refus absolu. C'est une revendication [de certains étudiants] impossible à satisfaire." Il juge même que cette position est "contraire à l'intérêt des défenseurs" de la cause palestinienne, "sans compter les questions que cela pose sur la liberté académique".
Pas de conséquences sensibles sur l'image et les finances de Sciences po
Interrogé sur les conséquences des tensions pour l'image de l'établissement, Jean Bassères note que la sélectivité et l'attractivité restent "très fortes" en 2024, avec 27.000 candidatures - toutes voies et niveaux confondus -, soit une hausse de 8,7% par rapport à 2023.
"J'ai eu des craintes sur l'attractivité de Sciences po. Mais les chiffres parlent d'eux-mêmes, même pour les chargés d'enseignement : il n'y a pas eu de professeurs qui renoncent à venir. J'ai été rassuré. Les financements étaient ma deuxième préoccupation."
Nous avons essayé de gérer le moins mal possible une situation. Après, on fait des erreurs (J. Bassères)
Côté financement, si certains dons privés ont été coupés, de nouveaux ont été collectés. Enfin, si les régions IÎe-de-France et Provence-Alpes-Côte-d'Azur [l'école dispose d'un campus à Menton, NDLR] ont annoncé vouloir suspendre leurs subventions, Jean Bassères y voit une décision provisoire et un signal adressé au futur directeur. "On va avoir des discussions pour, j'espère rétablir ces financements."
Pour l'ancien inspecteur général des finances, la situation financière de l'établissement de 2024 sera "au même niveau que 2023". Il ajoute, par ailleurs, que l'agence de notation Fitch a attribué la note A+ en juillet à Sciences po, contre A auparavant.
"Préparer l'avenir et prendre des décisions utiles"
En mars, la mission de Jean Bassères consistait à assurer les affaires courantes de l'institution. "J'avais dit que je voulais prendre les décisions utiles pour le fonctionnement de Sciences po, mais aussi pour préparer l'avenir".
De fait, ces quelques mois ont été particulièrement âpres. "Nous avons essayé de gérer le moins mal possible une situation. Après, on fait des erreurs."
Interrogé sur ce point, il indique que "faire venir les forces de l'ordre dans une université, c'est un constat d'échec". "Mais est-ce que je regrette d'avoir fait sécuriser la tenue des examens ? Non, je pense qu'il était important que les examens se tiennent à Sciences po, même si cela a été compliqué".
L'établissement dans l'attente de son prochain directeur
La mission de Jean Bassères devrait bientôt toucher à sa fin : le processus de recrutement du futur directeur se poursuit et la liste de candidats retenus devrait être rendue publique, le 6 septembre. Après les votes du conseil de l'Institut d'études politiques de Paris et du conseil d'administration de la Fondation nationale des sciences politiques, les 19 et 20 septembre, une candidature sera proposée au gouvernement pour nomination.
Par ailleurs, depuis le 1er février, la gouvernance s'est enrichie d'un nouveau secrétaire général, Alban Hautier et d'une nouvelle directrice adjointe de la formation et de la recherche, Anne-Solenne de Roux, nommée en juin.
En revanche, le choix de pérenniser la fonction de directeur de la formation et de la recherche, crée en juillet 2022 pour Sergueï Gouriev et laissée vacante à son départ en janvier 2024, sera laissée à l'appréciation du futur directeur.
Un ajustement des modalités de sélection en 2025
Autre décision prise "pour préparer l'avenir" : la réévaluation de l'importance de l'oral dans le processus de sélection des élèves post-bac.
Mise en place en 2021 à la place du concours écrit (qui pourrait être rétabli en 2026), la procédure via Parcoursup est réajustée pour 2025 : davantage de candidats seront reçus à l'oral et celui-ci représentera la moitié de la note, contre un tiers auparavant.
Pour certains observateurs, cette nouvelle notation permettrait aux grands lycées parisiens privés - dont les élèves ont été moins recrutés depuis trois ans - de retrouver un meilleur niveau d'intégrés. Ce que dément l'administrateur provisoire, qui déclare que "les changements que l'on a faits ne sont pas particulièrement pour adresser cette question".
Il rappelle également que si certains établissements ont perdu en nombre d'admis, il n'existe "aucun ostracisme contre les lycées privés."