Un malheur, dit-on, ne vient jamais seul. Trois mois après l’annonce de la suppression du concours infirmier, le gouvernement a dévoilé, le 18 septembre 2018, les grandes lignes de sa réforme du premier cycle des études médicales et paramédicales.
Parmi les principales évolutions : la fin du numerus clausus (nombre d’étudiants admis en deuxième année de médecine, pharmacie, odontologie et maïeutique) dès 2020, et la disparition des quotas limitant l’accès aux formations paramédicales, comme masseur-kinésithérapeute, orthophoniste et psychomotricien.
Les nouveaux modes de régulation devraient être connus d’ici à la fin de l’année. Pour le moment, rien n’est encore acté. Une évaluation continue, sur une ou plusieurs années, serait sérieusement envisagée. Une chose est sûre, il n’est plus question d’un concours unique et stressant, désastreux pour la santé et la motivation des étudiants. Une pression au concours moins forte, des canaux d’accès plus nombreux et peut-être plus larges… Voilà qui, a priori, ne ferait pas les affaires des prépas médicales et paramédicales.
Prépas infirmier, prépas médecine, même combat
Dans une interview accordée à EducPros en juillet dernier, Claude Lopez, P-DG des prépas Cours Galien (20 centres de formation en France) et président de la commission santé de la FNEP (Fédération nationale de l’enseignement privé), affirmait que le remplacement du concours infirmier (épreuves écrites et orales) par un dossier de candidature pourrait entraîner, à plus ou moins long terme, la fermeture de près de la moitié des classes préparatoires concernées.
Trois mois après l’annonce gouvernementale de la fin du concours infirmier, la réforme du premier cycle des études médicales et paramédicales prend des allures de coup de grâce. Faut-il désormais s’attendre à une fermeture massive des prépas santé – la FNEP dénombrant près de 300 établissements concernés ?
"La suppression du numerus clausus et des quotas ne va pas changer grand-chose au degré de sélectivité de ces études", tempère Claude Lopez, avant d’ajouter : "Les prépas vont cependant devoir s’adapter – et cela ne sera pas facile – à une sélection qui, a priori, ne se fera plus sur une seule année."
La suppression du numerus clausus et des quotas ne changera pas grand-chose au degré de sélectivité de ces études.
(C. Lopez)
Un accompagnement au long cours ?
Les "boîtes privées" envisagent toutes les possibilités, afin de jouer un rôle dans le premier cycle et l’orientation progressive des étudiants de la filière santé. Elles pourraient notamment proposer un accompagnement sur deux ou trois ans (et non plus sur une seule et unique année, dans le cadre de la Paces), en prenant en compte le nouveau programme qui intégrerait plus de sciences humaines et sociales.
Quoi qu’il en soit, le marché des cours de soutien privés devrait se dégrader avec la mise en place de la réforme. En effet, un certain nombre d’étudiants pourraient, à juste titre, remettre en cause la légitimité et la plus-value de structures qui la découvriraient et y s’adapteraient comme tout le monde.
"Les deux ou trois premières années – le temps que les prépas se régulent, et que les étudiants constatent que la sélectivité demeure importante – seraient potentiellement difficiles à passer pour les structures qui n’auraient pas su adapter leur modèle et leurs coûts au nouveau système", décrypte le président de la commission santé de la FNEP.
La phase de transition entre le dispositif Paces adapté – qui supprime le redoublement au profit d’une deuxième chance après une licence et est actuellement expérimenté dans quatre facultés –, constitue un autre motif d’inquiétude pour les prépas. Un certain nombre de bacheliers pourraient décider de décaler leur rentrée d’un an afin d’intégrer la nouvelle licence, en apparence plus facile que le redoutable concours de la Paces.
Les classes préparatoires pourraient ainsi connaître une année universitaire 2019-2020 particulièrement calme. Malgré ces obstacles, une partie des prépas affichent une relative confiance en l’avenir. Leur point de vue peut se résumer en une phrase : tant que les études de santé restent très sélectives, la question de l’utilité, et donc du devenir des établissements privés, ne se pose pas.
"La réforme va faire mal aux prépas privées"
Alors, difficile mutation ou véritable catastrophe économique pour les prépas ? Certains acteurs du secteur tirent déjà la sonnette d’alarme. "L’ensemble de mes activités a été chamboulé en moins de trois mois", confie, sous couvert d’anonymat, le directeur de plusieurs centres de préparation aux concours médicaux et paramédicaux.
En cette rentrée 2018, il constate une baisse de l’ordre de 10 à 20 % du nombre d’inscrits en prépa infirmier (l’équivalent, assure-t-il, de sa marge commerciale), et prévoit une année 2019-2020 bien pire. Dans les villes comme Angers, Paris et Brest, qui expérimentent les alternatives à la Paces (dont la nouvelle version du premier cycle devrait s’inspirer), le nombre d’étudiants inscrits en prépa médicale ne cesse de diminuer.
"La réforme va faire mal aux cours privés et tous ne survivront pas, nul doute là-dessus", conclut ce même interlocuteur. Même les poids lourds du secteur ne seraient pas épargnés par la tempête qui s’annonce.
"L’épine dans le pied de la filière santé"
Les prépas regrettent amèrement de ne pas avoir été suffisamment écoutée dans le cadre de la réforme du concours infirmier, qui a pris effet immédiatement après l’annonce gouvernementale. Les établissements privés défendaient notamment le maintien de l’oral d’admission, en plus du dossier de candidature. En ce qui concerne les études médicales, les concertations entre le Gouvernement et les principaux acteurs de la filière devraient débuter aux alentours du 12 octobre. Et les prépas ne sont, cette fois-ci, pas du tout conviées.
L’ANEMF (Association nationale des étudiants en médecine de France) défend ardemment l’idée d’un tutorat personnalisé et obligatoire sur la totalité des études. Une préconisation inscrite dans le rapport final du volet formation de la Transformation du système de santé (qui pose le cadre des principales réformes pédagogiques en cours), et qui aurait de grandes chances de voir le jour en 2020.
Organisé de manière informelle par les étudiants en deuxième année, le tutorat deviendrait alors l’aide officielle, institutionnalisée, des étudiants en médecine, odontologie, maïeutique et sage-femme. Un symbole fort, qui n’émeut pas les prépas : la grande majorité de leurs étudiants suivent d’ores et déjà le tutorat, mais pas toujours de manière régulière.
Ces établissements profitent de la détresse et du stress des étudiants, en proposant des services similaires à ceux du tutorat, en opérant une sélection sociale insupportable.
(C. Bonnavion)
"Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour réduire l’influence des prépas, promet Clara Bonnavion, la présidente de l’ANEMF. Ces établissements profitent de la détresse et du stress des étudiants, en proposant des services similaires à ceux du tutorat [gratuit ou presque, selon les facultés], le tout en opérant une sélection sociale insupportable [le coût moyen des prépas avoisine les 3.700 euros en région]". Un avis partagé par les différentes Conférences.
"Les prépas privées sont l’épine dans le pied de notre filière universitaire, qui se veut équitable, solidaire et vecteur d’ascension sociale", reconnaît Jean Sibilia, le président de la Conférence des doyens de médecine. Le sort du premier cycle devrait être scellé d’ici à la fin de l’année.