Service civique : les associations tirent la sonnette d’alarme sur la qualité du dispositif

Pauline Bluteau Publié le
Service civique : les associations tirent la sonnette d’alarme sur la qualité du dispositif
L'association Unis-Cité, qui accueille de nombreux volontaires du service civique, alerte sur la dégradation possible des missions effectuées. // ©  Xavier POPY/REA
Accueillir toujours plus de volontaires en réduisant la durée des missions, c’est la tendance qui se profile pour l’année 2020 au sein de l’Agence du service civique. Inquiètes de devoir négliger la qualité des missions qu’elles proposent, les associations montent au créneau.

En 2020, l’Agence du service civique doit franchir la barre des 145.000 volontaires, soit 5.000 de plus qu’en 2019. Un chiffre atteignable selon la présidente de l’Agence du service civique, Béatrice Angrand, mais à quel prix ? Le ministère de l’Economie et des finances prévoit une enveloppe budgétaire de 508,2 millions d’euros pour le service civique en 2020. C’est 13 millions d’euros supplémentaires par rapport à 2019.

Trop peu pour poursuivre le développement de ce dispositif dans de bonnes conditions selon les associations. Car en réponse à cela, les structures d’accueil devront réduire la durée des missions des volontaires de 8-9 mois en moyenne à 6 ou 7 mois maximum, dans la mesure du possible.

La qualité du service civique en danger

"On est investi depuis le début sur le service civique, nous sommes les précurseurs de ce dispositif mais aujourd’hui, je ne sais pas comment on va faire. On est en crise, je dirais même que le service civique est en danger", admet Marie Trellu-Kane, présidente d’Unis-Cité. L’association fait partie de celles qui accueillent le plus grand nombre de volontaires : 9.000 en 2019. D’après la présidente, le service civique a véritablement le vent en poupe. L’association reçoit généralement trois demandes pour une place. "De plus en plus de structures veulent s’investir, tout comme les jeunes. L’idéal serait que le service civique fasse entièrement partie de l’éducation, c’est pour cela que l’on souhaite que le dispositif se développe."

Un avis partagé par tous les acteurs du service civique qui n’ont qu’une idée en tête : augmenter le nombre de volontaires en 2020. Mais cela pourrait se faire au détriment de la qualité. C’est ce qu’explique Christophe Paris, président de l’Afev (association de la fondation étudiante pour la ville). L’association, qui compte environ 1.300 volontaires, propose principalement des missions en lien avec l’éducation. La durée est donc calculée en fonction des besoins des écoles mais pas seulement. "Aujourd’hui, nous accueillons les volontaires 8,23 mois en moyenne. Ils interviennent dans les établissements scolaires, souvent dans des zones prioritaires où les enfants ont besoin de stabilité. Réduire la durée des missions à six mois, en plein milieu de l’année scolaire, est donc inconcevable si l'on veut que le dispositif reste qualitatif."

Mais comme le rappelle le ministère de l'Education nationale et de la jeunesse, cette "diminution de la durée des missions n'est pas uniforme." D'après lui, une liberté est laissée aux structures d'accueil pour moduler cette durée selon le public accueilli. "Peut-être qu'un jeune en décrochage scolaire aura besoin de plus de temps pour s'adapter, contrairement à un étudiant ou un volontaire en année de césure. Sept mois, c'est une moyenne."

Une logique des chiffres insupportable

Pour les associations, cette logique du nombre est difficilement soutenable à terme. À l’Afev, Christophe Paris pointe du doigt le manque de discernement du ministère de l’Economie. D’après lui, l’objectif des missions en service civique est double : partager des expériences personnelles et professionnelles et avoir un impact social sur la société. "Bercy imagine que réduire de deux mois une mission n’est pas si grave si cela peut permettre d’accueillir plus de jeunes mais quand on est sur le terrain, on se rend compte que c’est du bon sens. On travaille dans l’humain, rogner sur la durée des missions a de fortes conséquences sur l’objectif du service civique. Le dispositif doit à tout prix rester qualitatif, or cet objectif de chiffres le fragilise." Les associations ont notamment la crainte que ces missions se transforment en "travail" déguisé puisqu'elles n'auront plus le temps de former les jeunes.

"On ne peut pas être dans une logique de coût, de durée et de nombre de volontaires." C. Paris

Pour Marie Trellu-Kane, il ne faut pas oublier que le coût du service civique n'est pas anodin pour les structures d’accueil. "Il ne nous rapporte rien, au contraire, ce sont des coûts qu’il faut assumer quotidiennement", assure la présidente d’Unis-Cité. À titre d’exemple, un volontaire en mission au sein d’Unis-Cité coûte environ 10.000 euros. Si l’Etat couvre 60% des dépenses, l’association doit encore prendre en charge les 4.000 euros restants pour que les volontaires soient formés correctement et qu'ils puissent commencer leur mission du bon pied. "On les trouve grâce aux entreprises, au mécénat, aux collectivités mais c’est difficile", insiste la présidente de l’association.

Malgré les craintes, la présidente de l’Agence du service civique se veut rassurante. Tout l’enjeu de cette année sera de réussir à faire coïncider cette "cible" de 145.000 jeunes et l’enveloppe budgétaire "qui n’a jamais été aussi importante". "Je comprends qu’il y ait des interrogations parce que c’est un changement important pour les structures d’accueil, les tuteurs vont devoir adapter leur encadrement et c’est à nous de les accompagner, assure Béatrice Angrand. On va les conseiller davantage et former plus de tuteurs, donner des idées sur les missions, proposer des programmes différents…"

Une rivalité croissante avec le SNU

Tout cela en un minimum de temps car le service civique pourrait encore prendre de l’ampleur avec le service national universel (SNU). Lancé en juin 2019, le SNU vise à favoriser l’engagement des jeunes dès leurs 15 ans. Après une période obligatoire de cohésion et une mission d’intérêt général au sein d’une association, d’un corps en uniforme ou d’une collectivité territoriale, les jeunes sont encouragés, en troisième lieu, à effectuer un service civique. Le SNU permettrait donc, à terme, d’augmenter le nombre de jeunes à bénéficier de ce dispositif. "On ne s’est jamais opposé au SNU de manière frontale car on pensait que les deux dispositifs étaient complémentaires, admet Marie Trellu-Kane. On savait qu’il y avait des risques, on l’a dit mais cela n’a pas suffi."

"Aujourd’hui, il faudrait une augmentation de 20% du budget par an et non 3% pour poursuivre notre dynamique." M. Trellu-Kane

Car le budget consacré au volet "jeunesse et vie associative" est maintenant divisé entre le service civique et le SNU. En 2020, ce dernier doit recevoir 30 millions d’euros pour accueillir 30.000 jeunes. "On ne peut pas accepter que le gouvernement puisse mettre plus d’argent pour le SNU, poursuit la présidente d’Unis-Cité. Aujourd’hui, il faudrait une augmentation de 20% du budget par an et non 3% pour poursuivre notre dynamique."

Optimiste, Béatrice Angrand reste tout de même mobilisée. D'après elle, 2020 est une année de transition. "Je suis convaincue que le SNU générera des vocations pour le service civique. Nous aurons plus de jeunes sensibilisés à l’engagement et c’est une bonne chose. J’espère que les moyens permettant son développement continueront d’augmenter au cours des prochaines années."

"Il n'y aura pas d'effet de substitution entre le service civique et le SNU. Au contraire, le succès du service national universel se mesurera aussi au nombre de jeunes accueillis en service civique. Le budget de ce dernier a déjà augmenté de 125 millions d'euros depuis 2017, c’est très significatif et cela va se poursuivre, avance le ministère. Nous resterons très attentifs à la qualité des missions proposées et des formations dispensées aux jeunes volontaires."

Pauline Bluteau | Publié le