Peu de Français ont réussi à intégrer le corps professoral de ce graal universitaire. Michel Anteby en a conscience, et il s’excuserait presque d’être ici, de bénéficier de ce vaste bureau tapissé de bibliothèques, donnant sur les jardins et bâtiments anciens de brique rouge de la Havard Business School. “Il y a peu d’experts en sociologie du travail dans les écoles de gestion aux États-Unis, c’est en partie comme cela que je me suis distingué”, se justifie-t-il.
Professeur à Harvard depuis 2005, cet ancien élève de l’ESSEC, de l’EHESS et de la New York University a utilisé son quotidien bostonien comme terrain d’étude, et publié un livre fin 2013, “Manufacturing Moral” – sorti aux États-Unis, sa traduction en français est en cours.
Une plongée dans la très riche Harvard Business School, un “monde étrange” où les professeurs sont plus qu’ailleurs soumis au diktat du “publish or perish”. Un monde où les enseignants sont notés chaque semestre par des étudiants exigeants, qui ont par ailleurs de fortes attentes en termes de disponibilité et d’échanges avec leurs professeurs.
Relativisme par conviction ou frilosité ?
Mais c’est sur le contenu de ses cours que Michel Anteby focalise son attention. Il montre comment HBS a institutionnalisé une forme de neutralité dans son enseignement, qui se traduit par une absence de valeurs ou de morale communes. Si Harvard forme ses professeurs à une manière précise d’enseigner (chacun reçoit des instructions sur la façon de séquencer un cours, de l’animer, et les plans sont définis de façon collective), aucune direction générale, aucun but (comme créer de l’emploi, susciter de la croissance, etc.) ne doit être cité comme “meilleur” ou normatif. Ce qui prime, c’est d’exposer les élèves à la multiplicité des points de vue, de façon très pragmatique.
“J’ai été élevé à l’école publique, dans un pays où les notions de liberté-égalité-fraternité restent des références partagées. Ici, c’est un vrai choc culturel. À Harvard, on est réticent à avoir des valeurs universelles. C’est encore plus fort au niveau licence, où il y a une vraie volonté de dépolitiser les sciences sociales, dans un effet de retour de balancier par rapport aux années 70.”
À Harvard, on est réticent à avoir des valeurs universelles
Michel Anteby raconte ainsi dans une récente tribune comment ses élèves avaient été déstabilisés, puis avaient cessé toute discussion, quand il avait pris position sur un sujet. “Ce jour-là, j’ai appris une leçon : pour un professeur, émettre un avis normatif était apparemment peu utile. L’éthique doit être multiple, et plus elle contient de variations, mieux c’est”, écrit-il. Car HBS possède depuis longtemps des cours d’éthique managériale, obligatoires. “Il ne s’agit pas de stabiliser les choses. Il existe un vrai désir d’éthique, mais certainement pas de modèle unique”, assure-t-il.
D’un point de vue personnel, il estime cependant que les business schools devraient prendre davantage position – par exemple sur les scandales à Wall Street ou sur la place des minorités à l’école. “Finalement, ce silence et ce relativisme servent les intérêts de certains groupes, au détriment d’autres, plus minoritaires.” Une neutralité “amplifiée”, selon lui, par le modèle économique de Harvard Business School, qui dépend beaucoup des dons des anciens. Toute prise de position comporte un risque de couper l’école d’une partie de ses revenus.
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