Suppressions de postes : comment elles sont vécues dans les lycées

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Suppressions de postes : comment elles sont vécues dans les lycées
Manifestation du 27 mars 2008. // © 
Le lycée ancienne version est peut-être en train de vivre sa dernière année scolaire en l'état. Retardée de plusieurs semaines, la présentation de la réforme du lycée devrait avoir lieu début novembre 2008, devant quelque 600 élèves. Avant les enseignants. Sur le terrain, proviseurs et enseignants témoignent de leur quotidien dans le contexte actuel des suppressions de postes et des heures supplémentaires.

Environ 11 200 postes d’enseignants non renouvelés, dont 8 000 dans le secondaire, plus 13 500 suppressions programmées en 2009, dont 7 500 dans le secondaire. Sans oublier une réforme à venir des lycées, contestée sur le timing comme sur le fond… Si le cocktail de la rentrée 2008 était censé être explosif, officiellement, elle « s’est très bien passée », dans des « conditions presque meilleures que l’an dernier », selon les termes du ministre de l’Éducation nationale.

Or sur le terrain, le malaise est tangible. En allant à la rencontre de proviseurs et d’enseignants dans une quarantaine de lycées de France, petits et grands établissements, en région parisienne et en province, l’impression d’une irrésistible dégradation des conditions d’enseignement s’impose. Heures sup, temps partagés, effectifs dans les classes, gestion des options, des remplacements… Ambiance sur les tendances lourdes de la rentrée 2008.  

Moins de postes, moins de souplesse

Premier constat : pour amortir les effets des suppressions de postes – et en application du fameux « travailler plus pour gagner plus » –, la rentrée a été marquée par une inflation d’heures sup : 76 600 heures pour 4 200 suppressions nettes de postes. « Techniquement, la rentrée s’est déroulée normalement, note Jean-Michel Cabanis, proviseur du lycée Gide, à Uzès (30). Seulement, on ne peut pas se réjouir d’emplois du temps plus lourds, de classes plus chargées, de plus de fatigue et de moins de marges de manœuvre dans l’organisation quotidienne. »

Calculette en main, chaque chef d’établissement fait ses comptes. « Je n’ai pas à me plaindre, estime pour sa part José Fouque, proviseur du lycée Vauvenargues, à Aix-en-Provence (13). Parce que dans un grand lycée comme le mien, les suppressions de postes sont plus faciles à lisser avec les heures sup. »

Du côté des « petits » lycées, la situation est particulièrement délicate, comme en témoigne Corinne Delvallet, proviseur du lycée Lavoisier, à Auchel (62), et membre du bureau national du SNPDEN (Syndicat national des personnels de direction de l’Éducation nationale) : « On peut convaincre les enseignants de faire des heures supplémentaires sur une année exceptionnelle. Mais si l’exception devient la règle, on n’est plus crédible. Dans mon lycée de 300 élèves, j’ai très peu de marge de manœuvre : dans chaque discipline, je ne peux répartir les heures que sur un ou deux enseignants. Et en plus, sur la trentaine d’enseignants de mon établissement, une partie est en temps partagé. » Même constat au lycée Arnaud-Daniel à Ribérac (24), au cœur de la Dordogne, qui compte moins de 400 élèves : « La rentrée n’a pas été facile avec trois postes supprimés sur 38, estime son proviseur. Il a fallu répartir les heures et on a perdu en souplesse de fonctionnement. »  

La pression des heures sup

Dans les salles des profs, la question des heures supplémentaires fait évidemment débat, au risque de créer un malaise entre ceux qui les acceptent et ceux qui les refusent. Le SNES-FSU, principal syndicat d’enseignants, a appelé à leur boycott pour préserver des postes. Il a été diversement suivi. « Je ne vois pas pourquoi je refuserais trois heures supplémentaires, souligne Philippe, jeune prof de maths depuis deux ans dans l’académie de Créteil (94). Je me sens capable d’assumer cette charge de travail, et j’avoue qu’à raison de 30 euros l’heure plus une prime annuelle de 500 euros, ce n’est pas négligeable. »

Pour Julien Sergène, professeur d’histoire et de lettres au lycée professionnel Eugène-Delacroix, à Drancy (93) « ceux qui n’acceptent pas les heures sup subissent des pressions et se retrouvent avec les pires emplois du temps ». « Dans mon lycée, précise cet enseignant, c’est grâce à la mobilisation des profs qui ont refusé les heures sup que l’on a pu garder un poste complet. C’est le poste que j’occupe aujourd’hui. Sinon, je me serais retrouvé comme plein de mes collègues en temps partagé sur plusieurs établissements. »  

Profs partagés, moins disponibles

Le temps partagé est une autre tendance de cette rentrée. « En arrivant en septembre dans mon lycée, je n’avais plus que huit heures de cours par semaine et j’ai dû accepter de faire mes dix autres heures dans un autre établissement à 50 kilomètres de mon domicile », note Arnaud, jeune professeur de philosophie dans l’académie de Lille. Dénoncées par les syndicats, ces situations ont fait l’objet de quelques mouvements de grève.

Certains enseignants, nommés hors de leur zone de référence, envisagent même d’engager des recours auprès des tribunaux administratifs. C’est le cas d’Hervé, un prof d’électronique de l’académie de Lille qui, en plus d’être hors zone, se retrouve hors discipline sur un poste de technologie au collège : « J’ai appris mon affectation trois jours avant la rentrée pour un poste auquel je n’ai jamais été formé. On met un prof devant des élèves sans se poser de questions. » Mais là encore, pas de scandale, plutôt une impression de gâchis.

« Certes, les conséquences ne sont pas désastreuses, mais je regrette que ces mesures économiques n’aient pas été l’occasion de mieux répartir les moyens là où il y en a le plus besoin », note José Fouque, du lycée Vauvenargues à Aix-en-Provence. « Si un prof faisait quinze heures de cours et non pas dix-huit, il ne glandait pas pour autant les trois heures restantes de son service, s’emporte Yves Giovanini, proviseur du lycée Pasquet, à Arles (13). Il faisait du soutien scolaire, prenait en charge des classes en petits groupes… Bref, de quoi avoir une approche un peu plus individualisée des besoins des élèves. Aujourd’hui, ce n’est plus possible. » Corinne Delvallet dresse le même constat : « Sur un poste partagé, un enseignant est moins disponible pour assurer le suivi des élèves, pour rencontrer les parents, et ça lui est plus difficile de s’investir dans un projet d’établissement. »  

Effectifs des classes : la limite du raisonnable

Autre sujet qui fâche, la rentrée 2008 n’évite pas la question récurrente des effectifs en classe. À entendre les enseignants et les proviseurs, cette année ne semble pas marquer de rupture, plutôt la poursuite d’une tendance lourde. « Une classe à 35 élèves devient la règle, note Marc Demeulemeester, proviseur du lycée Jean-Bart à Dunkerque (59). Certes, on a perdu des élèves, mais la structure pédagogique s’affaiblit plus vite encore. On commence alors à toucher du doigt les limites de ce qui est raisonnable. »

Philippe Achart, professeur de maths au lycée Frédéric-Mistral de Fresnes (94), raconte : « Je suis dans un lycée réputé qui attire de plus en plus d’élèves, mais les moyens ne suivent pas. J’ai fait l’an passé l’expérience d’une classe en filière STG à 17 élèves. Ça change tout. Les élèves sont moins sous pression. Le travail d’accompagnement individualisé devient possible, et les résultats suivent. » Les surcharges de classes concernent tout particulièrement les options quand elles n’ont pas été supprimées. « En langue vivante 2, je me retrouve avec une classe de 35 élèves qui est composée de L, de ES et de STG, de la première à la terminale, explique par exemple Catherine Benazeraf, professeur d’anglais au lycée Turgot, à Paris. Non seulement ce ne sont pas les mêmes niveaux, mais en plus, ils ne préparent pas les mêmes épreuves au bac : les uns ont des oraux, les autres de l’écrit. Le pire, c’est qu’on s’habitue à la pénurie. »  

Tension sur les remplacements

En matière de pénurie, les craintes concernent aussi le volant des profs remplaçants dont le ministère a voulu optimiser la gestion. « C’est la première fois que je ressens le problème des remplacements de façon aussi aiguë », estime Guy Savelon, proviseur du lycée Corot, à Douai. Pour cette rentrée, il a manqué d’un CPE (conseiller principal d’éducation), d’un documentaliste, de plusieurs surveillants et s’est contenté d’un prof de maths vacataire pour remplacer un congé maladie. Selon les syndicats, cette situation tient au fait que les brigades de profs remplaçants, les TZR (titulaires de zone de remplacement), ont été dégarnies pour que ces enseignants soient affectés sur des postes dès la rentrée.

« En période de vaches maigres, il est normal que chacun à l’Éducation nationale prenne ses responsabilités et participe à la réduction de dépenses, souligne Jean-Michel Cabanis, proviseur du lycée Gide, à Uzès. Mais je crains que toutes ces restrictions fassent l’effet d’une bombe à retardement. » Pour sa part, Marie-Ange Henry, proviseur du lycée Jules-Ferry à Paris, résume un sentiment général sur la rentrée prochaine : « La tension sur les effectifs est aujourd’hui telle que pour la rentrée 2009, il va falloir nous dire ce qu’il faut supprimer. On va devoir toucher au programme sur le bloc général comme sur les options. » Autant dire que dans le débat actuel sur la réforme des lycées, enseignants et proviseurs ne se font guerre d’illusions : sous couvert de discours pédagogiques, l’argument budgétaire sera, une fois de plus, au tout premier plan. Une fois de trop ? 

Profs : l’impossible comptabilité !

Difficile de s’y retrouver dans la bataille de chiffres et d’indicateurs à laquelle se livrent les syndicats d’enseignants et le ministère de l’Éducation nationale à chaque rentrée scolaire. Le plus troublant est sans doute le fameux « taux d’encadrement », qui n’affiche pas plus de 12 élèves par prof. Comment est-il calculé ? Tout simplement en divisant le nombre total de lycéens par le nombre d’enseignants du secondaire. Or, le ministre le reconnaît, cette donnée n’a aucune réalité tangible. Parce qu’au lycée et au collège, chaque classe a plus de trente heures de cours par semaine avec plusieurs professeurs qui comptent chacun entre quinze heures (pour les agrégés) et dix-huit heures de service (pour les certifiés), heures supplémentaires non comprises.

L’effectif moyen par classe est officiellement de 29 élèves dans les lycées généraux et technologiques, et seule une classe sur cinq compterait 35 élèves. Ces chiffres sont contestés par les syndicats, qui estiment que le ministère a surestimé la baisse démographique. Quant aux 30 000 professeurs qui ne seraient pas devant des élèves et aux 50 000 affectés aux remplacements qui ne seraient mobilisés qu’à 80 %, là encore, le débat reste ouvert, car ces chiffres auxquels Xavier Darcos a fait référence sont sujets à controverse. Qui a dit qu’il fallait reprendre les fondamentaux : lire, écrire… compter ?    

Une réforme des lycées très… économique

Officiellement, la réforme des lycées actuellement en discussion et qui devrait entrer en vigueur dès la rentrée 2009 pour les classes de seconde a trois objectifs : « mieux préparer les lycéens aux études supérieures », « assurer la réussite scolaire de tous les élèves » et « permettre à chacun de mieux choisir son orientation ». Aujourd’hui, moins d’un étudiant sur deux inscrits en licence parvient en troisième année sans redoubler, et plus de 20 % d’entre eux interrompent leur cursus au cours des deux premières années. Pour le ministre, le « mal » prend racine au lycée, où les élèves ne sont pas assez préparés à travailler de façon autonome. Dans l’idéal, réformer le lycée contribuerait à atteindre l’objectif de 50 % de diplômés de l’enseignement supérieur. De plus, près de 15 % des élèves redoublent la seconde. Beaucoup d’autres abandonnent en cours de route. « Entre 16 et 18 ans, on perd 150 000 élèves par an. Il faut une seconde stimulante, moins oppressante », clame Xavier Darcos, qui souhaite notamment apporter un coup de pouce aux élèves les plus défavorisés.

Un lycée aux filières moins cloisonnées, avec des enseignements généraux et des modules de spécialisations choisis parmi quatre familles de disciplines (humanités et arts, sciences, sciences de la société et technologies), des passerelles pour construire un parcours en fonction de ses goûts : tel est le lycée rêvé de du ministre de l'Éducation. Le tout dans le but de réduire les erreurs d’orientation, donc l’échec dans le supérieur, et avec en filigrane un effet collatéral très attendu : grappiller des crédits sur les postes économisés.  

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