Sur la mixité sociale, l'enseignement privé signe un protocole sans contraintes

Malika Butzbach Publié le
Sur la mixité sociale, l'enseignement privé signe un protocole sans contraintes
Le protocole signé entre l'Education nationale et l'enseignement catholique vise à doubler en cinq ans le taux de boursiers dans les établissements privés. // ©  arrowsmith2/AdobeStock
Après des semaines d'attente, un accord entre le ministère de l'Éducation nationale et l'enseignement catholique privé intervient enfin mais prévoit des mesures non contraignantes. Si le privé s'engage à doubler son taux de boursiers en cinq ans, cela concerne seulement les établissements où les familles pourront recevoir les mêmes aides sociales que dans le public.

C'est un texte à caractère incitatif qui a finalement été signé le 17 mai entre le ministère de l'Éducation nationale et le secrétariat général de l'enseignement catholique (SGEC). Ce protocole d'accord décrit "une trajectoire et un plan d'action partagé en vue de renforcer la mixité scolaire et sociale". En 2020-2021, on comptait 12,1% de boursiers dans le secteur privé contre 29,5% dans le public.

Initialement prévu le 20 mars, cet accord a été signé après l'annonce de mesures en demi-teinte concernant la mixité sociale dans les établissements publics.

Doubler le taux de boursiers, un objectif sous condition

L'enseignement catholique, qui représente 95% des établissements privés, s'engage donc "à augmenter, au minimum de 50%, en cinq ans, le nombre d'établissements proposant des contributions familiales modulées en fonction des revenus". Aujourd'hui, seuls 30% des établissements du SGEC pratiquent une grille tarifaire établie en fonction du quotient familial.

L'accord prévoit aussi de doubler sur cinq ans, le taux d'élèves boursiers, mais seulement dans les établissements où les familles "bénéficient d'aides sociales égales à celles dont elles bénéficient quand elles scolarisent leur enfant dans un établissement public correspondant".

Cet objectif du taux de boursiers est donc conditionné au fait que les familles obtiennent les mêmes aides sociales que dans le public, notamment en termes de transport et de restauration – aides qui ne sont pas ouvertes au privé, actuellement.

Pour cela, le SGEC demande la contribution des collectivités locales. Le ministère s'engage à "sensibiliser les collectivités aux objectifs de plus grande mixité, à ouvrir aux élèves des établissements d'enseignement privé les mesures sociales dont bénéficient les élèves des établissements publics dès lors qu'ils concourent à la mixité sociale".

Etendre les aides sociales au privé pour plus de diversité ?

Aux yeux de Philippe Delorme, secrétaire général du SGEC, cette revendication se veut d'abord pragmatique. "Ce protocole vise à permettre aux familles plus défavorisées de nous rejoindre si elles le souhaitent. En ce sens, on ne peut leur demander de payer des repas à 7 euros alors qu'elles payaient 1,50 euro dans le public."

Une base de données devrait être créée afin que les familles puissent connaître notamment le coût de la cantine et le taux de boursiers de chaque établissement.

C'est tout gagnant pour le privé : on lui donne de l'argent sans l'obliger à augmenter son taux de boursiers, puisque cet accord n'est pas contraignant. (J.-R. Girard, Snalc)

Cette condition ne passe pas auprès de Jean-Rémi Girard, du Syndicat des personnels de l'Éducation nationale (Snalc). "C'est tout gagnant pour le privé : on lui donne de l'argent sans l'obliger à augmenter son taux de boursiers, puisque cet accord n'est pas contraignant. Et combien de collectivités vont jouer le jeu ?", s'interroge-t-il.

Le ministre Pap Ndiaye - qui avait annoncé que ce protocole comporterait "des objectifs précis" - précise toutefois qu'un "simple objectif de fixation d'un pourcentage de boursiers ne doit pas aboutir à ce que les établissements privés sous contrat aillent chercher dans le public les meilleurs élèves boursiers".

Pour Philippe Delorme, il faut d'abord et avant tout éviter les procès d'intention. "Certains de nos établissements, comme dans le public à l'image d'Henri-IV, ont une tradition de recrutement élitiste. Mais d'autres accueillent d'ores et déjà des élèves fragiles scolairement et continueront."

Quelle efficacité pour un accord peu contraignant ?

De manière générale, "ce protocole, qui est le fruit d'un travail régulier avec le ministère, me paraît très équilibré, se réjouit Philippe Delorme. Nous avions fait connaître les lignes rouges à ne pas franchir, notamment dans le quotas de boursiers, et nous avons été entendus."

Mais la plupart des syndicats de l'Éducation nationale regrettent un accord peu contraignant. Dans son communiqué, le comité national d'action laïque (Cnal) s'interroge sur "l'efficacité" de l'accord qui permettra aux établissements privés de "jouir sans entraves de la possibilité qui leur est conservée de sélectionner leurs élèves, essentiellement sur des critères sociaux", tout en "exigeant davantage de moyens publics".

De leur côté, tout en saluant l'effort de la rue de Grenelle pour relancer le sujet de la mixité, le Sgen-CFDT et la FEP-CFDT jugent que les mesures du protocole "ne suffiront pas à accroître la diversité sociale des élèves".

Les syndicats demandent que les dotations des établissements d'un bassin de formation, publics comme privés, soient modulées en fonction de l'écart par rapport à l'indice de position sociale (IPS) moyen du territoire.

Par ailleurs, une proposition de loi, déposée le 3 avril par le sénateur communiste Pierre Ouzoulias, propose de conditionner les financements des établissements privés à des critères de mixité sociale.

L'épineuse question du changement législatif

En effet, "tant que le législatif ne sera pas changé, on peut signer tous les protocoles du monde sans que ceux-ci aient le moindre impact", regrette Jean-Rémi Girard.

S'il est vrai que ce protocole n'a qu'une valeur juridique limitée et que chaque établissement du SGEC demeure autonome, "notre signature nous incombe de le respecter, car nous tenons à notre éthique", souligne Philippe Delorme.


Augmenter les Sepga et les Ulis

Par la signature de ce protocole, le SGEC s'engage également à renforcer l'accueil des élèves à besoins éducatifs particuliers. L'enseignement privé catholique devra donc développer ses sections d'enseignement général et professionnel adapté (Segpa) et d'unités localisées pour l'inclusion scolaire (ULIS) pour les élèves handicapés alors qu'aujourd'hui, 95% de ces sections sont dans le public.

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