Dès l'entrée du campus, une signalétique en carton "faite maison" guide les visiteurs. Techshop, atelier, mediaroom... Du 11 au 13 octobre 2017, Télécom Saint-Étienne a ouvert ses portes à Edumix, se transformant ainsi en immense fablab, jusqu'à en adopter les éléments de langage. À mi-chemin entre le hackathon et le start-up week-end, le concept du "mix" est né en 2011. Le musée des Arts décoratifs de Paris imagine alors le tout premier Museomix. L'objectif ? Permettre aux usagers de repenser les lieux et de participer à la transformation de l'établissement, via des ateliers créatifs.
En 2015, après avoir lancé des remix dans les musées, ainsi que dans une gare ou encore dans une église, la métropole de Lyon, à travers son living lab Erasme, souhaite dupliquer le format dans le secteur de l'éducation. Des échanges naissent avec le réseau des Learning Lab, cofondé par Centrale Lyon et Télécom Saint-Étienne. Le premier Edumix est organisé en février 2017, dans un collège de Vénissieux, en banlieue lyonnaise.
"Très vite, l'ambition a été de mener une telle expérience dans un établissement d'enseignement supérieur", raconte Jean Pouly, chargé du développement de l'Iram (International Rhône-Alpes médias), plate-forme d'innovation numérique rattachée à Télécom Saint-Étienne et porteuse du projet Edumix au sein de l'école. TSE (Télécom Saint-Étienne) a accepté de se prêter au jeu du remix.
Des défis adaptés aux enjeux de l'école
Six mois tout juste après les premières discussions autour du projet, un joyeux bazar organisé règne dans les couloirs de l'école. Entre post-it, maquettes en carton et objets tout juste sortis de l'imprimante 3D, une quarantaine de participants, dont les trois quarts ne sont pas issus du "sérail" Télécom Saint-Étienne, s'affairent sur leur prototype. Ils ont 72 heures à peine pour proposer à l'établissement une solution aux questions qui leur ont été posées. Repenser les évaluations, revoir l'aménagement de l'atrium de l'école, réfléchir aux rythmes d'apprentissage.... Sept groupes ont été constitués pour plancher sur autant de défis.
Pour les établir, Sandra Lalanne, ingénieure pédagogique de l'école, s'est appuyée sur la charte Edumix, qui fixe déjà six grandes lignes directrices. Elle a ensuite interrogé durant deux jours enseignants, étudiants et personnels pour teinter les challenges d'une coloration maison. " Il nous fallait les raccrocher aux problématiques locales, complète l'ingénieure pédagogique. Ces échanges ont permis à mes collègues de faire remonter leurs attentes, leurs besoins." Sans surprise, parmi les thématiques souvent évoquées, l'évolution de la pédagogie à l'heure du numérique figure en bonne place.
Autour de grandes tables recouvertes de Lego, d'ordinateurs ou de carton découpé, les équipes s'affairent à la conception de leur prototype. Le groupe "Synapse", qui a hérité du défi "faire de l'école un organisme vivant", colle un décor de scotch sur le sol de l'atrium, pour matérialiser le futur "hub" de Télécom Saint-Étienne.
"Les étudiants passent dans ce hall sans s'y arrêter, rappellent les membres du projet. Il faut leur donner des raisons de marquer une pause et transformer cet espace en point de connexion". Machine à café, écrans d'information, borne d'échanges de services... Les idées fusent. Pour donner vie à ce comptoir physique, l'équipe a fait appel à Philippe Colantoni, chargé de mission numérique au sein de l'université Jean-Monnet et présent le temps d'Edumix pendant les trois jours. En quelques heures, il a matérialisé l'espace en réalité virtuelle.
Les équipes bénéficiaient de matériel pour créer leurs prototypes. // © C. Authemayou
Pour un public d'initiés
Avec Edumix, Télécom Saint-Étienne s'offre la possibilité de glaner quelques idées d'évolutions. "Dans dix jours, nous allons organiser un comité de direction exceptionnel, pour déterminer ce que nous pouvons rapidement mettre en œuvre, détaille Jacques Fayolle, le directeur de l'école d'ingénieurs. Si certaines propositions sont un tantinet farfelues, d'autres pourraient être appliquées dès le second semestre. À l'image de celle voulant accroître les projets pédagogiques interétablissements. "D'autres sujets demandent une évolution plus profonde de nos modèles, détaille le directeur, mais ils méritent d'être pris en compte." Dès la rentrée 2018, l'école d'ingénieurs pourrait ainsi revoir sa maquette pédagogique pour proposer aux étudiants, dès leur arrivée dans l'établissement, plusieurs semaines en mode projet.
"Je vois deux grands bénéfices à Edumix, poursuit Jean Pouly. De façon très pragmatique, certains prototypes pourront générer des transformations au sein de l'école, voire dans d'autres établissements qui pourront s'en inspirer. Mais de manière plus générale, cet événement permet d'enclencher un processus plus global. Nous sommes dans des institutions lourdes, figées. Il faut faire bouger les lignes, à emporter avec nous les membres du personnel, les enseignants et les étudiants. Et ce n'est pas toujours si simple... Des événements comme Edumix y contribuent."
En tant qu'organisateur d'événements de ce genre, je suis toujours preneur de nouvelles méthodologies, pour rendre les publics acteurs de la transformation.
(J.-M. Gilliot)
Mais l'événement ne prêche-t-il pas des convaincus ? Parmi les 46 participants ayant fait le déplacement jusqu'à Saint-Étienne, tous baignent déjà dans l'innovation pédagogique. Ingénieurs pédagogiques, fondateurs de start-up EdTech, chargés de pédagogie numérique... Une communauté déjà acquise à la cause. C'est le cas de Jean-Marie Gilliot, enseignant-chercheur à l'IMT Bretagne : "En tant qu'organisateur d'événements de ce genre, je suis toujours preneur de nouvelles méthodologies, qui permettent de croiser les profils et de rendre les publics acteurs de la transformation." De quoi lui donner quelques idées pour son propre établissement.
D'ailleurs, il n'est pas le seul. D'ores et déjà, Centrale Lyon a fait part de sa volonté de passer à l'action en 2018. Les équipes de l'École des mines de Saint-Étienne, quant à elles, y réfléchissent sérieusement. Quatre représentants de l'établissement avaient d'ailleurs fait le déplacement à TSE. "Il est essentiel de faire évoluer l'école, en mettant au cœur du processus ses usagers, milite Agnès Crepet, enseignante-chercheuse aux Mines et ingénieure pédagogique. Le concept même du remix, qui s'appuie de l'existant pour nourrir les réflexions, le permet."
Les équipes sont invitées à présenter leur projet aux étudiants de l'école. // © C. Authemayou
Vers de nouveaux Edumix ?
Reste que monter un tel événement nécessite un certain investissement. Jean Pouly évalue à 60.000 euros le budget global déployé sur Edumix, dont la moitié en "temps homme". L'école a pu compter sur une partie de financement ministériel, obtenu dans le cadre d'un AMI (appel à manifestation d'intérêt) décroché par le réseau des Learning Lab. Le département a également mis la main à la poche. Pour le reste, le système D a prévalu : les établissements voisins ont prêté du matériel pour alimenter le techshop, l'école hôtelière du secteur a accueilli les participants et les étudiants en master communication numérique de l'Iram ont assuré la couverture média de l'événement.
Cette première session à peine terminée, Jean Pouly imagine déjà des axes d'évolution pour les prochains Edumix. Parmi eux, la possibilité pour les projets nés durant l'événement de poursuivre leur maturation au sein d'un incubateur. Qu'ils soient portés par les équipes créatrices ou par d'autres, tout ce qui est créé durant un remix étant documenté et laissé en libre accès.
"Le format et le réseau dont nous disposons peut intéresser les investisseurs", assure le chargé de développement de l'Iram. En attendant un possible changement d'échelle, Edumix a déjà fait un peu évoluer Télécom Saint-Étienne. Piano et canapés, utilisés par les participants pour réinventer l'accueil de l'école, ont définitivement trouvé leur place dans le grand atrium.