Thierry Coulhon (directeur au Commissariat général à l'investissement) : "L'aménagement du territoire n'est pas un critère de sélection du Grand emprunt"

Propos recueillis par Camille Stromboni Publié le
Idex , Labex , Equipex . Les résultats des principaux appels à projets du Grand emprunt tombent un à un, les critiques aussi. Dernière en date et pas des moindres : le président de la CPU (conférence des présidents d'université) a remis en cause le processus de sélection et de répartition des Investissements d'avenir. En charge de ces trois briques clés du Grand emprunt au Commissariat général à l'investissement, Thierry Coulhon répond aux interrogations.

Le processus d’allocation des milliards du Grand emprunt dans l’enseignement supérieur ne manque-t-il pas de lisibilité, comme le dénonce Louis Vogel ?

Je comprends les inquiétudes, il y a un désir d’explication. Mais il était je crois, impossible de faire plus transparent. Tout est public sur le processus de sélection, même lorsque c’est a posteriori comme la liste des membres du jury. Nous faisons exactement ce que nous avons dit qu’on ferait.

"Il était je crois, impossible de faire plus transparent. Nous faisons exactement ce que nous avons dit qu’on ferait"

Cette politique d’impulsion suit, il est vrai, un calendrier compliqué. Les porteurs ont dû travailler très vite. Mais il s’agit d’une opération complexe qu’il est souhaitable de boucler en moins de deux ans.

Certains s’étonnent de ne pas être dans la première vague de pré-sélection des Idex comme Axel Kahn, soulignant un malentendu sur les critères de choix

Les deux critères les plus discriminants sont connus, il s’agit de la force scientifique et de la gouvernance. Chacun a son importance. Quant à la question : y avait-il un modèle préféré ? La réponse est non. Jean-Marc Rapp, président du jury, précisera cela dans les jours qui viennent, avec un rapport général et des recommandations pour chaque dossier.

De même, le nombre d’appels à projets remportés devait conditionner la sélection à l’Idex . Cela ne semble pas avoir été respecté, lorsqu’on compare par exemple les résultats de Montpellier et Toulouse…

Précisons d’abord que la connexion forte se trouve entre les Labex et l’Idex. Mais il ne s’agit nullement d’un lien algorithmique. C’est une appréciation qualitative du jury. Le nombre de Labex ne peut suffire à caractériser la force d’un site. Concernant Montpellier et Toulouse, ce n’est pas un grand secret de rappeler que Montpellier a, pour l’instant, des difficultés à définir la gouvernance de son site.

img title="Labex-carte-des-projets-retenus" src="/static/uploads/tp3/rte/RTEmagicC_labex-carte-projets-retenus_01.gif.gif" style="padding: 8px; width: 300px; height: 299px; float: left;" alt="" />L’excellence est partout, indiquait Valérie Pécresse . La concentration des labels d’excellence sur un nombre de sites restreints ne contredit-elle pas cette assurance de la ministre ?

La concentration est relativement importante, ce qui n’a rien de surprenant. A noter tout de même un grand nombre de projets en réseau. La variable "aménagement du territoire" ne fait en effet pas partie des critères de choix a priori : ce n’est pas le but de l’opération. La carte de l’excellence est ce qu’elle est, mais elle ne se réduit pas aux zones de concentration : il existe des sites à visibilité internationale mais aussi des pépites.

C’est comme si on dévoilait des résultats qui statistiquement, sont des évidences. Evidemment, l’Ile-de-France ou la région Rhône-Alpes sont très représentées, mais il y a aussi Amiens, Limoges, Clermont-Ferrand, Brest, Lille... L’objectif est de reconnaître la valeur là où elle se trouve, grâce justement à cette variété d’appels d’offres. Notre but n’est pas de changer le profil du pays, c’est de donner les moyens, à toutes les échelles, d’aller plus loin.

Le vide du "Grand Ouest" et du Nord n’est-il pas inquiétant ?

Cela nous préoccupe. On pourrait aussi parler de la Lorraine ou de Bourgogne-Franche-Comté. C’est une question qu’il faudra se poser à la fin. Mais le processus est loin d’être fini.

"Plus il y a d’appels à projets et plus le temps passe, plus les inquiétudes seront dissipées"

Pour les Idex, nous n’en sommes qu’à la pré-sélection, tandis que les Labex et les Equipex auront une seconde vague. Je ne dis pas que nous allons inventer une nouvelle carte universitaire, mais cela devrait être, in fine, raisonnablement réparti. Si certains se demandent quand est-ce que leur identité et la qualité de leur travail vont être reconnues : plus il y a d’appels à projets et plus le temps passe, plus leurs inquiétudes seront dissipées.

Enfin, il faut noter concernant les Labex, qu’un milliard d’euros [dotation de cette brique d’excellence] reviendra aux projets qui ne font pas partie d’un Idex, puisque le financement de ces deux appels est exclusif.

Le processus de sélection des 100 Laboratoires d’excellence [Labex] a donné lieu à de nombreuses critiques , notamment sur l’opacité du choix des 17 dossiers notés B, vus comme des projets "repêchés" par le ministère…

Le Labex est un ensemble complexe, qui allie recherche, formation et valorisation. C'est-à-dire un objet nouveau en France, qui exige un projet innovant, mais aussi une structuration assez forte pour atteindre la stabilité. L’objectif est en effet d’aboutir à un paysage de la recherche moins émietté. Cela explique le dialogue qui a eu lieu entre le jury et le comité de pilotage [composé des membres du ministère de l’Enseignement supérieur, de l’ANR et du Commissariat à l’investissement].

"Je veux bien qu’on nous dise que Mathias Fink n’est pas un si grand scientifique que cela, ou que les maths de Paris Centre ne sont pas hors-pair..."

Le jury a noté 83 Labex A ou A+. Il a également indiqué ses regrets sur certains dossiers excellents à qui il manquait un soupçon de maturation ou une vision plus prospective. Nous souhaitions de notre côté récompenser une centaine de lauréats. La liste des 17 Labex [notés B] sélectionnés correspond ainsi à ces projets incontestablement excellents, dont le jury nous disait qu’il ne manquait que quelques précisions pour être pleinement convaincants.

Je veux bien qu’on nous dise que Mathias Fink [Labex "Institut Langevin : ondes et images, du fondamental à l'innovation] n’est pas un si grand scientifique que cela, ou que les mathématiques de Paris Centre ne sont pas hors-pair…

Cette compétition permanente ne provoque-t-elle pas un climat de concurrence accrue , néfaste aux établissements ?

J’ai du mal à comprendre ce discours de l’exacerbation de la concurrence. S’ils connaissent un moyen de répartition plus juste, il ne faut pas hésiter ! La lutte pour la reconnaissance et les financements structure la vie universitaire. La seule nouveauté, c’est qu’il y a cette fois-ci beaucoup de financements.

Les projets, y compris ceux qui ne recevront pas l’intégralité des sommes demandées, ont permis aux établissements de travailler ensemble, notamment avec des partenaires nouveaux, ce qu’il aurait fallu faire depuis longtemps. Tous ont retiré quelque chose du processus. C’est flagrant en province, lorsqu’on observe tous les établissements d’une même ville s’associer. Pour moi, cela va plutôt vers une coopération exacerbée !

Le calendrier des appels à projets

span style="font-weight: bold;">Idex : après la pré-sélection de 7 candidats (sur 17 dossier déposés ) en mars 2011, la sélection devrait intervenir à l’été. Le jury doit rendre public ses préconisations cette semaine (du 4 avril 2011). La seconde vague de sélection aura lieu à l’automne 2011. Le jury pourrait être le même que celui de la première vague.

Labex : la première vague de sélection a retenu 100 projets en mars 2011. Les financements associés à chacun des projets gagnants devraient être connus dans les jours à venir. La seconde vague de sélection devrait intervenir après la deuxième vague d’Idex, début 2012.  Elle sera assurée par un nouveau jury.

Equipex : 52 projets ont été sélectionnés au cours de la première vague. Une seconde vague aura lieu avant la fin 2011.

Un autre président d'université monte le ton ...

Jean-Pierre Gesson , président de l'université de Poitiers et vice-président de la commission des relations internationales à la CPU (conférence des présidents d'université), a lui aussi avancé un point de vue très critique sur le processus des Investissements d'avenir.

"Après l’Opération campus, les projets Equipex, Labex, Idex, la carte universitaire française pourrait être totalement bouleversée. Des sites universitaires sont donc laissés à eux mêmes à côté d’autres fortement dotés. Sans insister sur les conditions d’attribution de ces moyens ayant abouti à des déséquilibres indécents, on peut se demander quel en sera le résultat ? Un échec prévisible car l’augmentation du rayonnement de la recherche française ne sera pas à la hauteur des financements apportés."

Lire la lettre du président (en PDF) ou sur le blog d'un enseignant-chercheur de l'établissement.

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Propos recueillis par Camille Stromboni | Publié le