Les tiers-lieux, des laboratoires d'idées en évolution permanente

Pauline Bluteau Publié le
Les tiers-lieux, des laboratoires d'idées en évolution permanente
Le Catalyseur : un espace de co-working, un fablab et un showroom au cœur du campus de Rangueil à Toulouse. // ©  Le Catalyseur
Entre espace de coworking et terrain d’innovation, les tiers-lieux permettent aux étudiants, aux chercheurs ou encore aux enseignants d’enrichir leurs compétences afin de mener à bien leurs projets.

Proto204, UL factory, La centrif’, Ludomaker, UBee Lab, Idcampus ou encore La fabrique de l’innovation… autant d'appellations pour désigner ces tiers-lieux académiques qui fleurissent un peu partout à proximité des écoles et des universités. "Aujourd’hui, tous les établissements souhaitent avoir leur tiers-lieu", assure Nicolas Delcey, coordinateur des actions au Catalyseur à Toulouse.

Encore hybrides, ces espaces de travail collaboratif réunissent étudiants, entrepreneurs, jeunes diplômés, doctorants, enseignants et entreprises, avec pour seul but celui de réaliser des projets innovants.

(Re)créer du lien social

L’un des premiers objectifs des tiers-lieux ? Favoriser les échanges. "On constate qu’il existe de moins en moins de lieux de socialisation, tout est segmenté, déplore Clément Marinos, maître de conférences à l’université Bretagne-Sud. D’où l’apparition des espaces de coworking, des fablabs… Ce sont de nouveaux lieux de travail qui se construisent grâce et autour d'une communauté."

Ainsi, les tiers-lieux conviennent aussi bien aux enseignants qui cherchent à partager leurs expériences avec des pairs qu’aux étudiants en quête d'un réseau pour leur future vie professionnelle. Quant aux jeunes indépendants, ils peuvent sortir de l'isolement dont ils peuvent parfois souffrir.

Ce sont de nouveaux lieux de travail qui se construisent grâce et autour d'une communauté.
(C. Marinos)

"Ces lieux permettent à des acteurs, jeunes, professionnels, habitants des alentours, qui ne se fréquentent pas d'habitude, de se rencontrer", confirme Jérôme Sturla, directeur du développement urbain à l'Afev (Association de la fondation étudiante pour la ville), qui vient d’inaugurer Med’In, le nouveau tiers-lieu niçois de l’Université Côte d’Azur.

De plus en plus de bibliothèques universitaires se dotent également de salles de travail ou de réunion pour répondre aux évolutions des besoins de leurs usagers. "Les étudiants ne viennent plus dans les bibliothèques uniquement pour trouver un document, mais pour travailler en groupe. Cette évolution répond à un intérêt social", constate Michel Briand, acteur des réseaux coopératifs à Brest.

Un sas entre les mondes académique et professionnel

Quel que soit leur forme, les tiers-lieux ont vocation à créer un espace de transition entre l’université et la vie professionnelle. À l'université de Nice, le tiers-lieu est aussi bien un espace d’innovation sociale, où les passerelles entre les étudiants et les quartiers sont encouragés, qu'une plate-forme d’orientation, d’insertion professionnelle et d’engagement. "Il existait un vide entre les étudiants et les jeunes travailleurs. Ces espaces d’échanges permettent de le combler", déclare Clément Marinos.

Le tiers-lieu de l’université de Toulouse 3-Paul-Sabatier s'affiche, lui, comme un pré-incubateur. "Dans le cadre du PIA (programme d’investissement d’avenir), nous avons souhaité offrir une alternative aux étudiants par rapport aux formations classiques. Nous les accompagnons au sein du campus pour favoriser leur insertion professionnelle", justifie Katia Fajerwerg, vice-présidente du Catalyseur.

Nous accompagnons les étudiants au sein du campus pour favoriser leur insertion professionnelle.
(K. Fajerwerg)

Rencontre avec des professionnels, réalisation de maquettes, conseils en matière juridique ou numérique… De nombreux ateliers sont proposés aux porteurs de projets pour les aider à avancer dans leurs démarches.

Même les tiers-lieux non-académiques font de plus en plus de place aux futurs diplômés. À Lorient, La Colloc, qui accueille principalement des créateurs d'entreprise, fait tout pour attirer les étudiants, en organisant des conférences ou des ateliers de coworking pour leur présenter des professionnels. "Ces jeunes représentent les travailleurs de demain. C'est important de les avoir parmi nous si l'on veut qu'ils puissent innover", glisse Virginie Texier, directrice opérationnelle de La Colloc.

Un tremplin pour les enseignants

En tant qu’espace de fabrication et d’innovation, les tiers-lieux attirent également les professionnels de l’éducation, les chercheurs et les doctorants. Certains leur sont même réservés. "Ils viennent y chercher l’inspiration pour développer leurs méthodes pédagogiques", souligne Jean-Charles Cailliez, vice-président chargé de l'innovation à l’université catholique de Lille.

En juin 2018, le 110 bis a également vu le jour au sein du ministère de l’Éducation nationale, rue de Grenelle, à Paris. Le but de ce laboratoire d'innovation ? Favoriser les liens entre les acteurs. "Un réseau entre professeurs de classes dédoublées s’est mis en place : ils partagent leurs savoir-faire et revoient leur pédagogie de manière plus large", relève Somalina Pa.

D’après la responsable du 110 bis, la curiosité pour ce type d'expériences ne cesse de grandir : "Certains avaient déjà un projet en tête en venant, d’autres étaient plus réticents. Mais ils sont prêts à changer leurs méthodes de travail même si cela prend parfois du temps."

Apprendre à travailler différemment

Pour autant, un long travail de sensibilisation et de communication reste nécessaire. "Ai-je vraiment envie de me rendre dans un espace de coworking où je suis susceptible de trouver des étudiants qui pourraient me solliciter sur le cours que je viens de leur donner ? Ce n’est pas si évident", reconnaît le maître de conférences Clément Marinos. "D’où l’importance de se rassembler dans un lieu à part, où le design ne ressemble en rien à celui de l’université, pour sortir de ce schéma traditionnel", réplique Nicolas Delcey.

"Le principal frein des tiers-lieux, c’est la culture française : le travail coopératif n’est pas valorisé. les métiers évoluent, les gens sont amenés à travailler en groupe et ont besoin de compétences qui ne s’apprennent pas à l’école. Les pratiques ne sont plus les mêmes, il faut s’adapter", tranche Michel Briand.

Le principal frein des tiers-lieux, c’est la culture française : le travail coopératif n’est pas valorisé.
(M. Briand)

Un avis partagé par Jean-Charles Cailliez : "Dans un tiers-lieu, tout est inversé : on expérimente de nouvelles façons de travailler, de nouvelles postures à intégrer. C’est d’ailleurs ce qui fait peur aux élèves et aux enseignants, qui sont très bien adaptés au système classique, où tout est plus individualiste. Le but d’un tiers-lieu est de redonner le goût au travail collectif pour renforcer le système académique."

C’est en tout cas le message que tente de diffuser Le Catalyseur auprès des étudiants de l’université de Toulouse 3-Paul-Sabatier. Les organisateurs se rendent directement dans les amphis pour détailler le fonctionnement et démontrer l'intérêt de leur tiers-lieu. Un travail qui paie : le nombre d’étudiants porteurs de projets est passé de 10 à 25 entre 2016 et 2018.

Une dynamique à maintenir

Mais encore faut-il maintenir son dynamisme sur la durée. "Les universités offrent un cadre alors que les étudiants ont aussi besoin d’autonomie. Il faut procéder pas à pas, en proposant un espace plus ouvert et moins rigide qu’un incubateur", estime Clément Marinos à l’université de Bretagne-Sud.

Un processus qui, d’après le VP innovation à l'UCL, peut prendre jusqu’à cinq ou six ans, le temps de constituer un noyau solide de membres ayant les mêmes intérêts. "Il faut instaurer une autre philosophie vis-à-vis du travail et donner envie aux membres de l'adopter", insiste-il.

Cela peut passer par des animations – cours de théâtre, d’éloquence, chorale –, une salle de sport, des afterworks… "C’est important de créer une dynamique pour inciter les anciens à rester, tout en accueillant de nouveaux venus", conclut le coordinateur des actions au Catalyseur.

Dans les mois à venir, tout l’enjeu sera donc de démocratiser les tiers-lieux, tout en les faisant connaître à un plus large public pour qu’ils essaiment sur l’ensemble du territoire "et pas uniquement dans les métropoles".

Pauline Bluteau | Publié le