Traduire une formation d’ingénieurs en compétences : les propositions de l’association Pasc@line

Propos recueillis par Sylvie Lecherbonnier Publié le
Traduire une formation d’ingénieurs en compétences : les propositions de l’association Pasc@line
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Comment traduire une formation d’ingénieurs en compétences ? Qu’apporte l’approche compétences aux étudiants ? Aux écoles ? Aux recruteurs ? Alain Ayache, directeur de l’ENSEEIHT-INP Toulouse (photo de gauche), et Noël Bouffard, directeur délégué de Sopra Group (photo de droite), se sont penchés sur ces questions au travers d'un l ivre blanc sur l’approche compétences publié par l’association Pasc@line . Cette dernière réunit des entreprises et des établissements d’enseignement supérieur centrés sur les technologies de l’information et de la communication. Les auteurs de l’étude nous en détaillent les principales conclusions.

Pourquoi vous êtes-vous intéressés aux compétences que doivent acquérir les étudiants ?

Alain Ayache. Même si écoles et universités françaises ne semblent pas s’en être rendu compte, le processus de Bologne impose de traduire tous les cursus en portefeuilles de compétences dès 2011. La CTI (Commission des titres d’ingénieur) presse également les établissements sur le sujet. Aujourd’hui, une majorité d’écoles ne sont pas encore passées à l’approche compétences, mais y travaillent. Les plus avancées : l’École des mines de Nantes et Polytech Tours. Au sein de la commission « formations spécialisées de Pasc@line », nous avions mené une première étude sur l’évolution des formations d’ingénieurs dans les TIC. Des réflexions qui nous ont tout naturellement conduits à aborder la question de la compétence.

Noël Bouffard. Au sein d’une société, l’approche compétences est déjà très présente. L’entreprise évalue d’abord un salarié en fonction de ce qu’il sait faire, de ce qu’il a démontré. Ses connaissances sont considérées comme des prérequis. Or, qu’attend une entreprise d’un chef de projet, par exemple ? Une maîtrise des techniques, des équipes, savoir gérer une relation clients, savoir tenir compte de la qualité, des coûts, des délais, des compétences avant tout comportementales.

Comment traduire un cursus en compétences ?

AA. La bonne approche n’est pas de partir d’un référentiel de métiers très précis, mais de définir un portefeuille générique. Pour chaque diplôme, il s’agit de préciser entre 20 et 30 compétences générales (la maîtrise de l’anglais, la mobilité internationale…), dont une dizaine seraient communes à tout diplôme d’ingénieur (la capacité d’apprendre à apprendre, la gestion de projet…). Une fois ce portefeuille établi, il faut voir comment le cursus apporte ces compétences. Dans mon école comme dans beaucoup d’établissements, nous nous sommes rendu compte que certaines compétences n’étaient pas couvertes, en savoir-être notamment, alors que nous accordions trop d’importance à certaines matières théoriques, dont nous avons, de ce fait, réduit les horaires.

Avec le portefeuille de compétences, chacun deviendra unique, donc plus intéressant, en un mot plus employable

Vous préconisez donc un renforcement de l’enseignement du savoir-être dans les écoles d’ingénieurs. Mais comment apprendre un comportement ?

AA. Les écoles d’ingénieurs n’ont aucun problème à transmettre le savoir, elles sont plutôt bonnes pour enseigner des savoir-faire, mais elles ne savent pas bien comment s’y prendre avec le savoir-être. Il faut utiliser des jeux de rôles, des mises en situation et des outils de compréhension de la personne. Il s’agit avant tout de sensibiliser les étudiants à l’importance de leur attitude.

N’avez-vous pas peur de mettre les gens dans des cases en mettant l’accent sur le savoir-être ?

AA. C’est exactement ce que nous ne voulons pas faire. Il ne faut absolument pas être destructeur. Pasc@line n’a pas voulu mettre au point une méthode, chaque école devant trouver sa voie. À l’ENSEEIHT, nous avons choisi de partir des métiers. La plupart des étudiants veulent être chefs de projet, mais beaucoup n’en ont pas les qualités, tout du moins à leur entrée dans l’école. Il faut leur montrer le chemin à parcourir. Nous sommes très prudents sur ces approches et nous commençons sur la base du volontariat.

Qu’apporte alors l’approche compétences aux étudiants ?

AA. On constate un manque grandissant de motivation chez les étudiants qui intègrent nos écoles. Ils ont besoin de comprendre pourquoi on leur enseigne des maths ou de la physique pour s’investir. Sinon, ils zappent. L’approche compétences leur permet de devenir acteur de leur formation. Ils peuvent construire leur projet professionnel en connaissant les compétences qu’ils doivent acquérir. Aujourd’hui, tous les étudiants d’une école possèdent le même diplôme. Avec le portefeuille de compétences, chacun deviendra unique, donc plus intéressant, en un mot plus employable.

Et aux entreprises ?

NB. Cette approche compétences facilitera l’intégration du jeune diplômé dans l’entreprise. Il en comprendra les codes. Auparavant, le temps d’intégration pouvait prendre plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Avec cette approche, elle se fait plus vite. L’étudiant doit commencer à acquérir son portefeuille de compétences dès l’école. Il l’enrichira au fur et à mesure de son expérience.

Reste une question essentielle : comment évaluer ces compétences au sein du cursus ?

AA. Évaluer des compétences est une véritable révolution dans l’enseignement supérieur. Pour le moment, nous ne savons pas faire. Un major de promotion n’est aujourd’hui pas forcément adapté au monde professionnel, et inversement. Aujourd’hui, nous partons de la connaissance pour ensuite la mettre en situation. Avec l’approche compétences, il faudra peut-être inverser et partir de la situation. Dans mon école, nous envisageons une double évaluation : d’un côté, l’évaluation à travers des notes ; de l’autre, celle des compétences avec des niveaux à acquérir (débutant, confirmé, expert). Un équilibre sera à trouver entre ces deux types d’évaluation.

Propos recueillis par Sylvie Lecherbonnier | Publié le