Une année à l'Espé : le tronc commun, un casse-tête à organiser

Erwin Canard Publié le
Une année à l'Espé : le tronc commun, un casse-tête à organiser
La gestion de classe fait partie des cours plébiscités en tronc commun. // ©  erwin canard
IMMERSION. Épisode 3. Parmi les enseignements dispensés aux enseignants-stagiaires à l'Espé, figurent les cours de tronc commun. Interdisciplinaires, réunissant des professeurs de différents niveaux, leur déploiement est compliqué pour un résultat encore insatisfaisant.

Laïcité, égalité filles/garçons, psychologie de l'enfant, ou encore "apport des sciences cognitives dans les apprentissages scolaires"... Au total, près d'une centaine de thématiques sont proposées par l'Espé (École supérieur du professorat et de l'éducation) de Paris à ses étudiants de M1 et M2 MEEF (Métiers de l'enseignement, de l'éducation et de la formation).

Elles sont étudiées dans le cadre des enseignements de tronc commun, au cours desquels sont mélangés des stagiaires du premier degré, du second degré, des CPE (conseillers principaux d'éducation) et des Psy-EN (psychologues de l'Éducation nationale), et représentent un quart de la formation de deuxième année.

Si les thèmes peuvent différer d'une Espé à une autre, chacune propose des cours de tronc commun. "Nous répondons à une demande du ministère de l'Éducation nationale d'une formation commune pour tous", déclare Anne-Sophie Molinié, chargée de mission de ces cours à l'Espé de Paris.

L'objectif ? "Un enseignant doit maîtriser sa discipline, avoir des qualités pédagogiques, cela est admis, mais il y a aussi d'autres compétences à acquérir, comme la transmission des valeurs de la République, les questions de handicap, etc. Toute sorte de problématiques auxquelles il sera confronté au cours de sa carrière et pour lesquelles il doit être formé", détaille Alain Frugière, directeur de l'Espé parisienne.

Un "appel d'offres" pour trouver des partenaires

Au cours de l'année de M2, à Paris, le tronc commun prend plusieurs formes. En début d'année, tous les enseignants-stagiaires suivent un module de gestion de classe et d'entrée dans le métier. S'ensuivent, le reste de l'année, deux options (chacune au choix du stagiaire, parmi une cinquantaine de possibilités) et un "projet de classe", également sur un sujet au choix.

Comme, à l'Espé de Paris, la volonté est de proposer des cours de tronc commun de 25 ou 30 élèves avec un effectif total d'environ 1.000 stagiaires en M2, il s'agit, pour l'établissement, de pouvoir proposer de nombreux thèmes et créneaux horaires différents. "Le premier module nous pose beaucoup de contraintes d'organisation. Pour que ce soit efficace, cela doit être mis en place très tôt dans l'année : il s'agit de l'entrée dans le métier. Mais cela demande de mobiliser de nombreux formateurs fin août, ce qui est très compliqué…" assure Anne-Sophie Molinié.

Dès lors, comment l'Espé parvient-elle à proposer plus d'une centaine de thématiques différentes à ses étudiants ? "Pour monter ces cours, je passe un appel d'offres auprès de nos universités partenaires, d'associations (MGEN, association d'égalité homme-femme, etc.), d'enseignants de l'Espé… Cela prend beaucoup de temps et c'est un peu artisanal", admet celle qui est aussi maître de conférences en histoire de l'art de la Renaissance.

Plus de propositions que de créneaux disponibles

Autre difficulté : faire travailler les enseignants-stagiaires de manière interdisciplinaire et décloisonner les enseignements entre niveaux. "Cela implique de trouver des formateurs parvenant à concevoir des formations intéressantes et mêlant les besoins de tous ces profils différents. En outre, motiver des universitaires à proposer ce type de cours est parfois complexe", poursuit Anne-Sophie Molinié. Les cours doivent notamment répondre aux thématiques de l'arrêté d'août 2013.

Il n'empêche que l'Espé reçoit plus de propositions de cours que nécessaire. Pour faire le tri, chacune d'entre elles passe devant une commission, rassemblant des représentants d'universités et de l'Espé. "Nous sommes obligés de restreindre les choix, notamment en fonction de la pertinence pédagogique. Les propositions sont parfois peu concrètes ou trop déconnectées des besoins des stagiaires", souligne Anne-Sophie Molinié.

Pour être vraiment efficace, ces cours devraient être beaucoup plus denses.
(A.-S. Molinié)

Un temps restreint

Des besoins qui, malgré cela, ne sont pas toujours comblés. Ainsi, faute de places, les stagiaires sont parfois placés dans des modules par défaut, éloignés de leur besoin ou de leur intérêt. En outre, l'objectif de mixer les profils n'est que partiellement rempli. "Mon groupe comprenait essentiellement des profs de lettres, avec un prof de philo, ce qui reste assez proche. Je n'ai pas côtoyé de prof du premier degré", assure Maëli, en M2 MEEF Lettres modernes, qui travaillait sur un projet autour de l'enseignement de la Shoah. "Mon groupe compte un prof de collège, mais tous les autres sont en lycée", ajoute Théo, dans la même promotion, dont le sujet était "Une autre ville est-elle possible ?" "Brasser tous les publics est impossible : tous ne sont pas à l'Espé en même temps", justifie Alain Frugière.

La question de l'emploi du temps, surchargé, revient aussi beaucoup. "Les cours de tronc commun s'inscrivent dans un parcours de master où le temps est restreint. En M1, les étudiants sont obsédés par le concours. Comme celui-ci n'a pas d'épreuve sur le tronc commun, ils optent souvent pour une stratégie d'évitement. En M2, leurs cours sont tellement différents, ajoutés à leur mi-temps en classe, que c'est compliqué", souligne le directeur de l'Espé de Paris. "Pour être vraiment efficace, ces cours devraient être beaucoup plus denses", poursuit Anne-Sophie Molinié. Une équation difficile à résoudre.


Quelles sont les options préférées des stagiaires ?
Parmi les nombreuses thématiques proposées, certaines sont plébiscitées par les stagiaires. Il en est ainsi des cours autour de la gestion de classe, de l'enseignement en milieu sensible, du travail sur la voix, ou encore de la préparation de cours en relation avec l'art. En revanche, "la laïcité lasse les étudiants, note Anne-Sophie Molinié. Ils sont déjà beaucoup sensibilisés au sujet."


EducPros en immersion à l'Espé

Comment l'Espé et ses formateurs accompagnent-ils les enseignants-stagiaires durant une année de M2 MEEF, réputée lourde et difficile ? Toute cette année universitaire 2017–2018, EducPros vous emmène au cœur de la promotion 2018 du M2 MEEF Lycée option Lettres modernes de l'Espé de Paris, sur le campus Molitor (XVIe arrondissement).

Lire la version l'Etudiant de l'immersion :
- Épisode 1 : "Je suis impatient d'être devant mes élèves"
- Épisode 2 : "On voit qu'on patine un peu tous"
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Épisode 3 : "On est débordé"
- Épisode 4 : "J'ai pris confiance en moi"
- Épisode 5 : "Je ne m'attendais pas à ce qu'enseigner me plaise autant"
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Épisode 6 : Le tronc commun, "intéressant mais chronophage"

Erwin Canard | Publié le