Une campagne de recrutement des profs : à quoi ça sert ?

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Sitôt lancée, la campagne de recrutement du ministère de l’Éducation nationale a fait grand bruit : affiches détournées (par les Jeunes Socialistes, notamment), décryptage sémantique et visuel du message publicitaire sur Rue89... Beaucoup de bruit pour rien ? Une campagne de recrutement : à quoi ça sert vraiment ? Donne-t-elle envie d’être prof ? Fait-elle bouger les préjugés sur le métier ?

Décrypter le jargon ÉducNat ?"

"Comment faire savoir que l’on recrute, quand on lit partout qu'on supprime des postes et ferme des écoles ?" J. Théophile

« Nous sommes le seul employeur dont les effectifs sont supérieurs à 850.000 et qui ne communique pas ! » souligne Josette Théophile, la DRH du ministère de l’Éducation nationale. Pour cette ancienne DRH de la RATP, qui a travaillé aussi dans le privé (Bull), il était temps de mener une campagne de communication, à l’instar de celles des grandes entreprises, afin d’attirer les jeunes diplômés. « Personne ne lit les décrets et les arrêtés avec les postes à pourvoir, poursuit-elle. Comment, dès lors, faire savoir que l’on recrute, quand on lit partout que l’Éducation nationale supprime des postes et ferme des écoles ? »

Une campagne s’imposait donc. Surtout, il fallait la faire maintenant. À un moment où les postes aux concours sont pratiquement divisés par deux, où la réforme de la formation des enseignants plonge les candidats potentiels dans l’attentisme et où les dates d’inscription des concours ont changé (elles ont été avancées de six mois depuis l’an dernier). Résultat : jamais le nombre de candidats n’a été aussi bas. Ce tarissement du vivier de candidats aux concours touche aussi l’enseignement catholique. Sauf que celui-ci communique depuis déjà trois ans. « Nous avons été convaincus de la nécessité de lancer une campagne de recrutement pour remplacer de nombreux départs à la retraite », explique Gilles du Retail, le directeur du service information au secrétariat général de l’Enseignement catholique.

Une campagne à grands traits

Le message est passé : le nombre de postes offerts (17.000) par le ministère a été repris partout. Mais attention, ce dernier ne recrute pas 17.000 enseignants mais 14.600 seulement (dont 13.000 sur concours et 1.600 comme vacataires contractuels). Il reste 2.400 postes à pourvoir pour des personnels administratifs, techniques ou sociaux. Le ministère peine, par exemple, à recruter des médecins de prévention scolaire et des infirmières. Pas sûr que la campagne actuelle permette de saisir ce message !

Dernier bémol : quand le ministère recrute des enseignants avec l’aide de Pôle emploi , il n’a pas besoin d’investir dans une campagne de communication pour trouver des postulants. Le bouche-à-oreille suffit.

Recruter des candidats avant de recruter des profs ?

Curieusement, pour les trois campagnes de recrutement (celle du ministère et les deux campagnes de l’Enseignement catholique), jamais on ne voit de professeur devant des élèves ou dans une classe. Pour un publicitaire, ce choix n’est pas surprenant. « Tout le monde connaît le métier, cela n’apprendrait rien de nouveau », considère Benoît de Laurens, vice-président de Lowe Stratéus, l’agence qui a conçu la campagne du ministère. Il y a dix ans, la campagne orchestrée par Jack Lang n’était pas si différente dans l’esprit. Voici ce qu’en disait le directeur de la création de Publicis Étoile, l’agence à l’origine de la campagne TV , Dominique Chevallier, interrogé par Libération : « Nous avons ressorti l’enseignant de sa salle de classe. On a parfois le sentiment que les professeurs sont hors de la société ; or, ils sont au cœur de celle-ci. Nous avons voulu les y intégrer. »

"La campagne vise à faire passer un message simple : des jeunes passionnés qui veulent devenir profs, ça existe" J. Théophile

La DRH de l’Éducation nationale, Josette Théophile, avance, elle, une explication plus prosaïque : « On ne peut pas promettre directement un emploi puisqu’il faut réussir un concours. C’est pourquoi nous montrons des candidats, en amont du recrutement. Montrer un prof devant sa classe, c’est une image qui fonctionne pour recruter des contractuels. » Mais il n’est pas nécessaire de voir des profs devant des élèves, selon Josette Théophile, pour « faire taire le débat délétère sur la dévalorisation du métier et la soi-disant perte de vocation. La campagne vise avant tout à faire passer un message simple : des jeunes passionnés qui veulent devenir profs, ça existe. » La preuve en images avec la campagne du ministère.


« Pour renverser les préjugés sur le métier d’enseignant, il faut travailler sur le long terme, au minimum cinq ans, avec une campagne qui va lever tous les freins récurrents, comme les salaires pas assez élevés », estime Benoît de Laurens.

Pour Josette Théophile, « aucune publicité ne peut faire comprendre que le métier d’enseignant est en pleine évolution. Ce qui, à la fois, attire de nouveaux candidats et en repousse d’autres. Un étudiant passionné par sa discipline et l’envie de transmettre peut avoir des réticences à enseigner quand il pense passer une partie de son cours à confisquer des téléphones portables. Et, pourtant, l’essentiel du message à faire passer est là : un prof, c’est aujourd’hui quelqu’un qui travaille en équipe, et se doit de faire réussir chaque élève dans des classes hétérogènes. »

Faire du buzz ?

La campagne de communication de l’enseignement catholique du Nord est volontairement provocatrice : elle a été conçue pour déclencher des réactions. Celle du ministère de l’Éducation nationale est conventionnelle. Parmi les projets présentés, l’un deux prévoyait de laisser en suspens le nom de cet employeur qui propose 17.000 postes… Pour le révéler dans un second temps. Mais l’idée n’a pas été retenue. Ce que tout le monde a vu, ce sont donc les deux affiches, celles de Laura et de Julien.
Ces deux visuels ont immédiatement donné naissance à des détournements (telle la représentation de Luc Chatel, les mains dans les poches, avec un poste de rêve, celui de ministre de l’Éducation nationale, qui consiste à supprimer 16.000 postes) . Un argument repris également par les Jeunes Socialistes : « Laura avait trouvé le poste de ses rêves » (voir affiche ci-contre).

Les Chiennes de garde se sont également exprimées sur ce sujet. À lire sur le blog de l’une d’entre elles : « Laura est montrée de la tête aux pieds, dans la lumière et la clarté, en train de lire dans une position tout à fait inconfortable. Julien est photographié buste et visage, dans la pénombre, il pianote sur un ordinateur portable. [Étrangement, il est vêtu d'une chemise bleu police et la fenêtre a des barreaux]... » En résumé, déclare-t-elle : « Encore des fonds publics qui propagent des stéréotypes sexistes (aux femmes le rêve, aux hommes les ambitions). » Stéréotypes également relevés par une journaliste de Rue89 . L'univers de Laura, écrit-elle, « est dans les tons crème et lin, bois clair, zen et féminine attitude. Le thé vert est hors champ, Laura écoute France-Musique, elle aime aussi dessiner et fait du yoga. » Avec Julien, qui a des ambitions, « changement de code couleurs : on passe au bleu, au gris, high-tech. L'ordi, la chemise bleue (retroussée), Julien bosse au petit matin ou en soirée. Et lui, il a un projet, “concret”. » 

Objectif atteint ? Oui !

« Pas facile de faire comprendre que le ministère recrute dans un contexte de suppression de postes. Alors, on s’attendait à ce que la campagne soit détournée, et c’est même plutôt flatteur, finalement », sourit Benoît de Laurens. Il s’attendait moins, en revanche, à l’analyse sexiste du message. « À partir du moment où le budget ne permettait que deux visuels, c’était forcément un homme et une femme, justifie-t-il. Ensuite, comme dans toute campagne, le choix des mots, des situations, le casting photos, tout a pris beaucoup de temps, et la répartition s’est faite naturellement, de manière cohérente. Les visuels d’une campagne doivent être le miroir d’une réalité. Et, pour que cela fonctionne, on retrouve forcément des stéréotypes. »

La campagne de l’enseignement catholique de Lille a, elle aussi, fait un buzz. Mais c’était l’un de ses principaux objectifs, avec un slogan provocateur (« Être prof quand même ») et une présence massive sur les réseaux sociaux. Et pourtant… Dieudonné David, directeur général de l’Enseignement catholique de Lille, a quand même été surpris. « Des professeurs ont écrit des commentaires sur Facebook pour expliquer que leur métier était certes difficile, mais que, si c’était à refaire, ils le referaient. Je ne m’attendais pas du tout à ce qu’ils contribuent, alors que nous communiquions surtout en direction des jeunes. »

Au sommaire du dossier :

strong>- Recrutement des enseignants : trois campagnes, trois budgets, trois styles

strong>- Une campagne de recrutement des profs : est-ce que ça marche ?

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