Aller sur l'Etudiant Newsletter Mon compte

Une proposition de loi pour encadrer l’enseignement supérieur privé lucratif

Clément Rocher Publié le
Une proposition de loi pour encadrer l’enseignement supérieur privé lucratif
Le député Emmanuel Grégoire a fait une proposition de loi, que soutient Laurent Champaney et la CGE, pour réguler l'enseignement supérieur privé. // ©  CGE
"La bataille de l’économie de la connaissance n’a jamais été autant d’actualité", affirme le député Emmanuel Grégoire. Face à l'essor de pratiques abusives, la proposition de loi du socialiste vise à réguler le secteur de l'enseignement supérieur lucratif privé en pleine expansion.

Le sujet de la régulation de l’enseignement supérieur lucratif privé connaît un regain d'intérêt dans l’actualité depuis la parution de l’ouvrage "Le Cube" rédigé par la journaliste Claire Marchal, dans lequel elle critique les conditions d'enseignement au sein des écoles du groupe Galileo, premier groupe d'enseignement supérieur privé européen. Le 10 mars, le gouvernement a, d'ailleurs, annoncé le lancement d'une inspection interministérielle sur le sujet et le renforcement du label Qualiopi.

Il faut dire que le poids du supérieur privé lucratif n’a cessé de croître, représentant plus de 26% des effectifs étudiants en 2024 contre 15% dans les années 2000.

Face à cet essor, le député socialiste Emmanuel Grégoire défend actuellement une proposition de loi visant à renforcer l'encadrement de l'enseignement supérieur privé à but lucratif, présentée lors d’une conférence de presse à l’Assemblée nationale ce mercredi 26 mars.

Pour un meilleur encadrement des pratiques commerciales dans l’enseignement supérieur privé

La proposition de loi vise à rééquilibrer les relations entre les étudiants et les établissements privés d’enseignement supérieur, afin de mieux les protéger contre certaines clauses abusives, relevées par la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes), en décembre 2022.

Pour y parvenir, elle prévoit la suppression des "droits de réservation", qui obligent les étudiants à payer des frais pour sécuriser une place dans un établissement avant la validation définitive de leur inscription, ainsi que la limitation des contrats à une année renouvelable avec accord mutuel.

Enfin, elle propose également des sanctions, allant jusqu'à des peines de prison et une interdiction définitive d’enseigner ou de diriger un établissement, en cas de pratiques commerciales trompeuses dans l’enseignement supérieur privé.

En effet, dans le secteur, les abus se multiplient, avec des établissements qui exploitent les failles du système pour tromper les étudiants. Début mars, la directrice d’une école d'immobilier à Albi a été reconnue coupable d'avoir escroqué 90 étudiants depuis 2020 en leur délivrant de faux diplômes de bachelor dans deux campus différents. Un exemple parmi tant d’autres.

L’actuel candidat à la mairie de Paris dit avoir été sollicité à plusieurs reprises par des familles avant d’engager une réflexion sur la rédaction de cette proposition de loi. "Le secteur a vu se développer des pratiques abusives. Cette proposition de loi est née de témoignages, des situations individuelles qui m’ont beaucoup perturbé", explique Emmanuel Grégoire.

La CGE soutient la régulation, après la modification du financement de l'apprentissage

La proposition de loi, qui devrait être inscrite en séance publique au mois de juin, est d’ores et déjà soutenue par la CGE (Conférence des grandes écoles), qui constate également l'émergence d'organismes de formation financés par des dispositifs d'apprentissage.

En effet, la modification du financement de l'apprentissage, acté par la loi en 2018, a contribué à l'essor de l'enseignement supérieur lucratif privé

"La problématique de la formation initiale par apprentissage est compliquée, elle échappe aux critères de qualité de l’enseignement supérieur, affirme Laurent Champaney, président de la CGE. Cette proposition de loi est un outil utile, c’est pourquoi nous la soutenons et nous continuerons à nous impliquer dans ces travaux."

Vers une refonte du financement des universités françaises ?

Le député Emmanuel Grégoire plaide également pour une réflexion plus large sur le financement de l'enseignement supérieur, soulignant que le secteur public manque de moyens pour accompagner l'augmentation des effectifs. "Le modèle est abscons et une impasse. Les universités ont un coût marginal de prise en charge par étudiant qui est extrêmement élevé", explique-t-il.

Le député propose deux pistes, "soit l’Etat alloue beaucoup plus de moyens à l’enseignement supérieur public et au privé non lucratif […], soit on fait évoluer le modèle économique de l’université. Un sujet qui s’imposera à mon avis dans le débat public dans les années à venir", poursuit l'élu.

"La position de la CGE n’est pas de demander de l’argent à l’Etat mais plutôt d’avancer sur les sujets de régulation des droits de scolarité", affirme Laurent Champaney, tout en pointant un manque d’agilité à déployer de nouvelles formations.

Lors d'un colloque sur l'enseignement supérieur privé, le 20 mars, à l'initiative du député LFI Arnaud Saint-Martin, l’Union étudiante a également mis en garde contre les répercussions concrètes des coupes budgétaires. "L’Ecole de science politique de la Sorbonne s’est déclaré en chômage technique ce mois-ci. Il y a une tentative d’asphyxier l’enseignement public. Et les étudiants vont être encouragés à se tourner vers le privé", alerte Éloïse Lefebvre-Milon, co-secrétaire nationale de l'organisation étudiante.

Informé de cette proposition de loi, qu'il juge trop modeste, le député Arnaud Saint-Martin réfléchit à déposer des amendements avec son groupe parlementaire pour durcir le ton. Car si la proposition de loi d’Emmanuel Grégoire marque une première étape pour protéger les étudiants et éviter les dérives, une réflexion sur un modèle économique plus équilibré s’impose dorénavant comme un enjeu central pour les décideurs publics.

Clément Rocher | Publié le