Université, sélection, droits d'inscription : ce qu'en pensent les candidats à la CPU

Propos recueillis par Camille Stromboni Publié le
Université, sélection, droits d'inscription : ce qu'en pensent les candidats à la CPU
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Une CPU (Conférence des présidents d'université), deux candidats à la présidence.Louis Vogel , président de l'université Paris 2 (Assas), et Alain Beretz , président de l'université de Strasbourg, s'affrontent lors des élections au bureau de l'instance, le 16 décembre 2010. Nous avons voulu savoir quelles mesures concrètes chacun défend pour l’université . Quels sont les points de divergence et de consensus ? Interview croisée.

1. Licence. Quelle solution permettrait de réduire l'échec en premier cycle ?

Alain Beretz. Le principal problème est en effet le taux d’échec. Mais il est possible de changer notre point de vue en estimant qu’il y a un droit à l’échec : c’est-à-dire si, par échec, on appelle une réorientation grâce à l’université. Cela pose notamment la question du ratio entre les éléments généralistes et spécialisés d'une licence. Il faut permettre les passerelles, via des licences plus généralistes, sans pour autant en revenir à une année de propédeutique. La licence universitaire doit en outre devenir de plus en plus un diplôme professionnel.

"Il faut offrir aux étudiants des parcours différenciés. Un collège pour les meilleurs, un parcours normal, une troisième voie pour les plus fragiles"

Louis Vogel. Il faut offrir aux étudiants des parcours différenciés au sein de l’université. Par exemple, avec le système que nous développons à Paris 2 : un collège de droit pour les meilleurs avec plus de cours, un parcours normal où nous renforçons le lien avec le monde professionnel, ainsi qu'une troisième voie pour les plus fragiles, où nous remplaçons trois heures de cours de droit par des fondamentaux (méthodologie, français, etc). Résultat : à profil égal, dans cette voie, il y a + 30 % de réussite que dans le parcours normal. Si l’on crée un foisonnement de voies, il n'y a plus les bons ou les mauvais, il y a des parcours différents.

2. Le développement des filières sélectives à l'université, pour ou contre ?

Alain Beretz. Pour, à deux conditions. Tout d’abord, il s’agit de filières universitaires avec notre pédagogie. À Strasbourg , nous en avons une en maths-physique par exemple, avec des enseignements renforcés. Je suis content que vous ne parliez pas de "prépas intégrées". Seconde condition : la porosité. L’étudiant doit pouvoir sans dommage regagner une autre filière, et inversement. Enfin, il ne faut pas oublier que nous sommes un service public et notre objectif premier reste de former la moitié d'une classe d'âge.

Louis Vogel. Pour. Il faut qu'elles se développent à côté des autres. En revanche, je ne suis pas favorable aux classes préparatoires à l'université, nous pouvons avoir nos propres filières jusqu'au bac+5, avec notre conception qui lie enseignement et recherche.

3. Des universités de recherche et des collèges universitaires, pour ou contre ?

Alain Beretz. Je suis radicalement contre. La polarisation avec de très grandes universités de recherche me semble incontournable, mais cela ne doit pas se faire au détriment des autres. Ce qui fait la qualité de l'université, c'est la mixité entre formation et recherche. Cela ne signifie pas que tous les étudiants de licence sont en laboratoire, mais ils entendent tous le discours des chercheurs. La solution réside plutôt dans la mise en réseau des sites. Les petites universités doivent être en relation étroite avec les grandes universités de recherche, ou bien se spécialiser.

"Toutes les universités ne pourront pas être excellentes dans tous les domaines, il faut une politique de spécialisation"

Louis Vogel. Contre. L'excellence peut véritablement être partout. Les petites universités, si elles mettent le paquet dans un domaine, sont exactement au même niveau que les autres. Par exemple en droit : Limoges est le centre français en droit du sport. Ou si vous voulez faire du droit fiscal aux États-Unis, vous n'allez pas à Harvard mais à New York ! Mais elles ne pourront pas être excellentes dans tous les domaines, il faut une politique de spécialisation.

4. Avoir le pouvoir de fixer ses droits d'inscription pour une université , pour ou contre ?

Alain Beretz. Certainement pas. Avoir une université qui ferait une course à l'image avec des droits élevés par exemple, ou à l'inverse essaierait d'attirer les étudiants en baissant ses droits, cela biaise totalement la notion de service public. Cette question doit être traitée à un niveau général.

"La question du financement des universités est cruciale, mais les droits d'inscription ne sont pas la variable d'ajustement"

Par ailleurs, la question du financement des universités est cruciale, mais les droits d'inscription ne sont pas la variable d'ajustement. Les augmenter ne résoudra pas le manque de moyens, ce n’est pas la solution miracle. Faire une grille progressive est simplement une piste à explorer. La CPU doit approfondir cette question.

Louis Vogel. C'est une question difficile. Même s'il y a eu des progrès, les universités sont financièrement sous-dotées. Il n'y a pas trente-six solutions. Si l'État peut donner plus, très bien, ce n'est pas le cas. Les fondations, les taxes d'apprentissage ou la formation continue, ce n'est pas suffisant. Reste les droits d'inscription. Et une question : est-il possible de trouver des modalités pratiques pour faire payer des droits d'inscription plus importants, sans que cela ne fasse obstacle à la poursuite d'études pour les plus défavorisés et sans que cela ne crée une inégalité entre établissements ? Pour cela, il faut des mécanismes de progressivité et de bourses, tandis que l'État doit jouer un rôle de péréquation entre les établissements. Mais surtout : il faut un débat national, avec la CPU en son cœur.

5. Une nouvelle réforme de la formation des enseignants, pour ou contre ?

Masterisation - réforme de la formation des enseignants : "il ne faut pas rester dans ce système hybride"

Alain Beretz. Avant de vouloir tout de suite faire de grands changements, il faut déjà finaliser ce qui a été fait et mettre en œuvre les recommandations de la commission Marois-Filâtre, car il ne faut pas rester dans ce système hybride.

Louis Vogel. C'est un chantier à reprendre. Même s'il ne faut pas refaire une nouvelle loi ! Il faut l'adapter, afin que la professionnalisation des futurs enseignants arrive plus fortement dans leur formation, et de manière progressive.

6. Les PRES (pôles de recherche et d'enseignement supérieur). Quelle mission prioritaire doivent-ils mettre en commun ?

Alain Beretz. Les éléments de pilotage et de valorisation de la recherche ou encore la représentation vers l’extérieur. Mais cela va vraiment dépendre des situations locales. Par exemple sur la vie étudiante, il y a une variable géographique évidente si les sites sont éloignés ou pas.

"Le vrai défi des PRES, c'est de trouver leur identité. Celui qui ne mettra pas en commun les éléments clés de son identité ne survivra pas"

Nous avons en outre deux modèles : les pôles fusionnels et fédératifs. Pour ces derniers, il faut mettre en commun ce pour quoi il y a une valeur ajoutée à se mettre ensemble. Le vrai défi des PRES, c'est de trouver leur identité. Celui qui ne mettra pas en commun les éléments clés de son identité ne survivra pas. Mais ce n'est pas à la CPU de dire ce que les PRES doivent faire. Son rôle est de les accompagner.

Louis Vogel. Tout d'abord, il n'y a pas de réponse unique : il faut tenir compte du contexte. Ensuite, je pense qu'il est stratégique de mettre en commun des moyens matériels, par exemple ce qu'on fait sur la médecine préventive avec Sorbonne Universités . Ensuite, il faut prendre dans chaque établissement ce qu'il y a de meilleur à apporter au pot commun. À Paris 4 par exemple, ils ont beaucoup d'avance sur la vie de campus. Enfin, la mission la plus importante selon moi : développer les formations transversales. C'est-à-dire les doubles diplômes, les passerelles pour faciliter la réorientation, mais aussi la recherche commune aux intersections des disciplines.

7. Une dernière question sur la CPU : doit-elle être plus offensive ?

Alain Beretz. La CPU doit être moins défensive : plus force de proposition que force de réaction. Pour cela, il faut travailler sur le fond, ce qui permettra de produire des éléments d'innovation et de résister en cas de mesures gouvernementales ou autres qui nous semblent mauvaises pour les universités. Elle doit redevenir l'endroit où l'on veut concevoir l'université du XXIe siècle !

"Si nous avons des positions fortes [avec la CPU], nous serons associés à la prise de décision"

Louis Vogel. C'est évident qu'elle doit être plus offensive. Mais à deux conditions : il faut entrer dans le débat public et prendre des positions politiques sur les questions de société. Par exemple sur les rankings ou l’échec en licence. Pour cela, il faut une très bonne expertise. Et si nous avons des positions fortes, nous serons associés à la prise de décision.

Les professions de foi des deux "tickets"

- Lire le texte de l'équipe réunissant Alain Beretz , Jean-Paul Caverni et Françoise Moulin Civil

- Lire le texte de l'équipe réunissant Louis Vogel , Yvon Berland et Anne Fraïsse

Les billets de Pierre Dubois, blogueur EducPros

CPU : 2 “tickets” pour le bureau
Beretz et Vogel (1). L’excellence
Beretz et Vogel (2). Le cycle “L”
Beretz et Vogel (3). L'IUT
Beretz et Vogel (4). L’insertion

Lire aussi sa série de billets sur les IES (Instituts d'enseignement supérieurs (cf la question des collèges universitaires versus de grandes universités de recherche)n notamment : Refonder le 1er cycle : créer 600 IES

Les billets de Michel Lussault, blogueur EducPros

Le président du PRES lyonnais effectue une série de billets sur son blog concernant le premier cycle universitaire. Notamment : Brève : Le temps du premier cycle est (enfin!) venu

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