Universités nouvelles : que reste-t-il de leur jeunesse ?

Sophie Blitman Publié le
Universités nouvelles : que reste-t-il de leur jeunesse ?
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Répondre à la massification de l’enseignement supérieur dans une perspective d’aménagement du territoire et de professionnalisation : telle était, à l’origine, la mission des quatre universités nouvelles créées en 1991 par Lionel Jospin, alors ministre de l’Éducation nationale. Implantées dans les villes nouvelles de Cergy-Pontoise, d’Évry-Val-d’Essonne, de Marne-la-Vallée et de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, elles ont été suivies en 1992 par les universités d’Artois et du Littoral dans le Nord-Pas-de-Calais, et en 1993 par celle de La Rochelle. Vingt ans après leur création, les universités nouvelles sont-elles restées fidèles aux objectifs qui leur avaient été assignés ? Et, surtout, ont-elles conservé ce qui faisait leur spécificité ?


Si l’idée de créer des universités nouvelles répondait à un besoin, celui de désengorger les universités franciliennes existantes, sa concrétisation relevait du challenge : « Il y avait un esprit pionnier », relate François Germinet, vice-président chargé du développement stratégique et des ressources humaines de l’université de Cergy-Pontoise, qui raconte avec un sourire que « les premiers cours ont eu lieu dans la salle de cinéma Gaumont de Cergy… ». À Marne-la-Vallée, l’université s’est implantée dans « un milieu plus rurbain qu’urbain, souligne de son côté Francis Godard, le président de l’université de Paris-Est-Marne-la-Vallée. En 1991, il fallait oser construire une université au milieu des forêts ! »

Proximité et démocratisation

« 63 % des étudiants de l’UEVE viennent de l’Essonne »


En quelques années, les universités nouvelles ont connu une croissance relativement rapide de leurs effectifs. D’après les derniers chiffres officiels, on compte 9.300 étudiants à l’université d’Évry-Val-d’Essonne (UEVE), 11.000 à Paris-Est-Marne-la-Vallée (UPEMLV), 14.600 à Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) et 17.300 à Cergy-Pontoise (UCP).

Face à la massification de l’enseignement supérieur et conformément à leur mission, ces établissements ont ainsi absorbé le flux d’étudiants trop nombreux pour être accueillis dans les autres universités franciliennes et ont répondu à un besoin de proximité. De fait, le bassin de recrutement de ces établissements est largement local : à l’UCP, 46 % des étudiants viennent du Val-d’Oise et 18 % des Yvelines, département où résident 56 % des étudiants de l’UVSQ. À l’UPEMLV, aux 34 % d’étudiants de Seine-et-Marne s’ajoutent les 14 % de Seine-Saint-Denis et 9 % du Val-de-Marne. Quant à l’UEVE, elle recrute 11 % de ses étudiants à Évry même, et 45 % sur le territoire de 300.000 habitants alentour, périmètre d’étude de l’AUDESO (Agence d’urbanisme et de développement Essonne-Seine-Orge). Et, si on élargit au département, 63 % de ses étudiants viennent de l’Essonne.

Conséquence de leur mission d’origine, les universités franciliennes affichaient au départ des proportions importantes d’étudiants en licence. En 2008, la Cour des comptes notait que « la proportion des effectifs de premier cycle de ces universités (49,3 %), plus forte que celle des autres franciliennes (43,5 %) ou de l’intra-muros (36,8 %), les caractérise comme des établissements de proximité ». Un écart qui tend cependant à diminuer : si celle de Marne-la-Vallée conserve 72 % d’étudiants inscrits en licence, ils sont aujourd’hui 58 % à l’UEVE, 49 % à l’UCP et 40 % à l’UVSQ.

« Ces universités franciliennes ne participent pas vraiment plus que les autres à la démocratisation de l’enseignement supérieur »

Les universités nouvelles s’attachent en effet à développer leur offre de masters, soucieuses de ne pas être réduites à des universités de premier cycle et de mettre en avant leur dimension recherche. Avec des axes forts : le développement durable à Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, les matériaux à Cergy, les biotechnologies à Évry, l’informatique et les mathématiques appliquées à Marne-la-Vallée.

Côté ouverture sociale, ces universités franciliennes ne participent pas vraiment plus que les autres à la démocratisation de l’enseignement supérieur. En effet, si l’UCP et l’UEVE affichent respectivement 26 et 29 % de boursiers, ils sont 21 % à l’UPEMLV et seulement 15 % à l’UVSQ, dont le bassin de recrutement connaît une vraie mixité, du Chesnay à Mantes-la-Jolie. Des taux bien moins élevés qu’ils ne le sont, par exemple, à l’université d’Artois, autre université nouvelle fondée en 1992, qui compte 45 % de boursiers parmi ses étudiants.

Des liens forts avec le territoire


L’ancrage dans le territoire, dont témoigne le bassin de recrutement des universités nouvelles, passe aussi par les relations étroites dès leur création avec le monde socio-économique. Les villes nouvelles, où se sont implantées ces universités, ou plus largement les départements et régions les ont aussi largement soutenues. Un effort d’autant plus remarquable qu’à cette époque les liens avec les établissements n’étaient pas aussi intenses qu’aujourd’hui.

Conséquence de cette tradition, la part des subventions des collectivités dans le budget des universités nouvelles peut être relativement importante, en particulier lorsqu'il s'agit de financer des projets précis : en 2011, 32 % des ressources (hors masse salariale) de l’UPEMLV proviennent ainsi des collectivités, en raison d'un soutien exceptionnel du conseil régional pour la construction d'une nouvelle bibliothèque universitaire .
À Évry, c’est dans le cadre du CPER (contrat de projet État-région) qu’investissent les collectivités sur des projets phares comme l’Institut de biologie génétique et informatique , dédié à la valorisation de la recherche dans ce domaine et qui doit voir le jour en juillet 2011. Une opération de quelque 60 millions d’euros (M€), cofinancée par la région Île-de-France et le conseil général de l’Essonne. Ces deux mêmes acteurs ont par ailleurs investi 15 M€ pour construire la future Maison de l’université, qui regroupera, fin 2012 ou début 2013, un espace de vie étudiante, des bureaux administratifs et un auditorium à vocation culturelle.

La professionnalisation comme axe de développement

« Les universités nouvelles ont développé la professionnalisation dans des disciplines qui n’y étaient a priori pas destinées »


Comme le souligne la Cour des comptes dans son rapport sur les universités nouvelles, « l’accent mis sur les formations professionnelles n’est pas spécifique à ces universités, mais l’accélération du phénomène y est plus marquée ». De fait, « les universités nouvelles ont beaucoup développé la professionnalisation dans des disciplines qui n’y étaient a priori pas destinées », observe Florence Daumarie, directrice du Service commun relations-entreprises, professionnalisation et formation continue (SCREP) de l’université de Cergy-Pontoise. En lettres, un master professionnel en ingénierie éditoriale et communication a vu le jour en 2003, tandis que les historiens en ont ouvert un en 2007 intitulé « Projets européens », destiné à former des chefs de projet spécialistes des questions de cofinancements, capables d’accompagner les entreprises ou les collectivités dans le montage de projets notamment avec des fonds européens.

Signe de la place accordée à la professionnalisation, l’apprentissage s’est particulièrement développé à Marne-la-Vallée qui compte 22 % d’apprentis parmi ses effectifs étudiants, ce qui fait d’elle la première université française en la matière. Évry en rassemble pour sa part 11 %, mais, comme la plupart d’entre eux valide leur cursus, les apprentis représentent au final 20 % des diplômés. « L’université d’Évry a toujours mis l’accent sur la professionnalisation », souligne Christiane Camus, chargée de mission à l’insertion professionnelle. « En outre, estime-t-elle, s’il faut du temps pour connaître les acteurs du territoire, un pas supplémentaire a maintenant été franchi et l’université veut se centrer sur l’emploi. Car il ne s’agit plus seulement de professionnalisation, mais bien d’insertion professionnelle. »

Une gouvernance plus centralisée


« Les universités nouvelles n’étaient pas dans la culture du mandarinat »


C’est surtout par leur gouvernance que les universités nouvelles se différencient des plus anciennes : si l’autonomie des universités change aujourd’hui la donne en accroissant le pouvoir présidentiel, les universités nouvelles avaient dès l’origine un fonctionnement plus centralisé qu’ailleurs. « Notre budget a toujours été global, ce n’était pas l’addition de sous-budgets », témoigne Francis Godard, président de l’UPEMLV, passée aux RCE (responsabilités et compétences élargies) en 2009. « Nous étions déjà dans une culture d’autonomie du fait de l’absence de tradition facultaire. En ce sens, il y a sans doute moins de mandarinat qu’ailleurs, mais aussi plus de technocratie », tempère-t-il.

Des stratégies individuelles


« Les universités nouvelles choisissent leurs alliances avant tout en fonction de leur identité et de leur stratégie actuelles »


Bien qu’elles partagent ainsi une histoire commune, entre elles et avec les universités mères dont elles sont issues, au-delà de la célébration commune de leurs 20 ans, cela pèse désormais peu. À l’heure de la recomposition du paysage de l’enseignement supérieur, comme les autres établissements, les universités nouvelles choisissent leurs alliances avant tout en fonction de leur identité et de leur stratégie actuelles.

Ainsi, alors que l’UVSQ est née de l’autonomisation de deux antennes universitaires, Paris 6 (aujourd’hui UPMC) pour les sciences « dures », Paris 10-Nanterre pour les sciences humaines et sociales, elle n’entretient plus de lien particulier avec ces deux universités. « Le cordon ombilical avec Paris 6 a été coupé », relate Jean-Louis Serre, enseignant-chercheur à l’UVSQ depuis sa création. « Ce n’est pas la logique ni la priorité pour nous de nous rapprocher de Nanterre », confirme Sylvie Faucheux, la présidente de l’UVSQ. Celle-ci se tourne plutôt vers l’université de Cergy-Pontoise, dont les lettres et sciences humaines constituaient également une antenne de Nanterre, tandis que les sciences dépendaient d’Orsay.

Fortes de l’obtention d’un laboratoire d’excellence dans le cadre du grand emprunt, l’UCP et l’UVSQ s’apprêtent à rendre leur nouveau PRES (pôle de recherche et d’enseignement supérieur) opérationnel d’ici à l’automne 2011 et projettent de créer un institut d’études politiques pour la rentrée 2012 : « Nous partageons une dynamique que n’ont peut-être pas les universités plus anciennes, liée notamment à une ouverture sur le monde socio-économique, un système de gouvernance réactif », explique Sylvie Faucheux.

Mais cela ne fait pas tout ! En effet, être des universités nouvelles n’implique pas nécessairement des collaborations. Ainsi, « nos affinités penchent plutôt vers la grande sœur qu’est l’UPEC [université Paris-Est-Créteil], avec laquelle nos liens sont plus forts que jamais », avance Francis Godard. Et le président de l’UPEMLV d’affirmer : « L’histoire est largement passée et notre avenir, il est avec le PRES. »

Une telle évolution s’explique par la recomposition du paysage global de l’enseignement supérieur : « Il y a vingt ans, poursuit Francis Godard, nous étions sur des territoires plus étroits. Aujourd’hui, nous avons une vision métropolitaine et nous avons le sentiment d’appartenir à un territoire qui est le Grand Est francilien. » De son côté, l’UEVE a trouvé sa voie en s’impliquant fortement au sein du bioparc Genopole, situé à Évry et dédié à la recherche en génomique et postgénomique appliquée à la santé et à l’environnement.

Ainsi, qu’il s’agisse de politique de site, d’excellence de la recherche ou d’alliances thématiques, les stratégies et logiques mises en œuvre par les universités nouvelles sont aujourd’hui semblables à celles des autres universités. Au-delà de la célébration commune de ce 20e anniversaire, chacune poursuit désormais son propre chemin dans la recomposition en cours. Université nouvelle ou pas.

Crédits photos :
L’université d’Evry-Val-d’Essonne © UEVE.
Le site universitaire de Saint-Martin (UCP) © Université de Cergy-Pontoise.
Le bâtiment Le Bois de l'Etang à la Cité Descartes à Champs-sur-Marne (UPEMLV) © Iconothèque Epamarne  Architectes  FEYPELL & LEVANDOWSKY  Photographe  Eric MORENCY, 2003.
Le campus de Saint-Quentin de l’UVSQ © Sophie Blitman.

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