C’est un changement impulsé par le ministère de l’Enseignement supérieur depuis la loi du 5 septembre 2018 relative à la liberté de choisir son avenir professionnel. Pourtant, l’approche par compétences a du mal à se développer dans les formations universitaires.
Cette réforme des modes d’enseignement et d’évaluation s’oppose au mode d’apprentissage classique par disciplines, au profit de bloc de compétences que les étudiants doivent acquérir pour valider leur diplôme. Objectif : faciliter l'insertion professionnelle et la reprise d'études.
"L’idée, c’est de structurer les maquettes de formation en bloc de compétences. Il s’agit de réfléchir en amont aux compétences que les étudiants doivent développer dans chaque formation. C’est à partir de ces compétences que nous déterminons les enseignements", résume Marine Gauthier, cheffe de projet Approche par compétences à l’université d’Angers.
Un financement par appels à projets
Ces dernières années, le ministère a incité les établissements à travailler sur une refonte des programmes de formation, notamment par le biais d’appels à projets de type nouveaux cursus à l’université (NCU).
L’université de Toulon a ainsi lancé en 2019 le NCU Mistral, pour "mission de transformation des licences générales". Un projet au budget de plus de 20 millions d’euros sur 10 ans, dont 6 millions sont financés par l'Etat.
Trois licences pilotes devaient être transformées avec une approche par compétences, mais une seule a réellement été réformée, la licence Sciences et Vie de la Terre, dirigée par Virginie Garlatti, enseignante responsable du projet Approche par compétence à l’université de Toulon.
Une des licences n'a pu être transformée car "il y avait trop peu de personnels titulaires", précise Virginie Garlatti. "Dans l’autre, c’est une grande équipe qui s’est opposée à la nouvelle maquette. Les disciplines n’y apparaissaient plus, au profit des compétences. Nous avons compris que c’était trop", raconte-t-elle.
Une évaluation des compétences par des notes
Tirant des conséquences de cet échec, la licence de SVT est réformée de façon plus légère, donnant lieu à une formation hybride. "Les étudiants sont confrontés à des situations d'apprentissage pour acquérir des compétences. Mais nous gardons les disciplines associées aux compétences ainsi que les notes. Les étudiants sont évalués en contrôle continu. On ne peut pas tout changer d'un coup, notamment car les responsables de masters souhaitent consulter les notes des étudiants", explique-t-elle.
La façon d'évaluer a tout de même été modifiée, ajoute Karim Adouane, vice-président en charge du numérique : "avant, nous notions les étudiants sur les projets rendus. Maintenant, la grille d'évaluation est basée sur les compétences. Et nous n'évaluons plus uniquement le livrable, mais aussi la démarche de l'étudiant, sa capacité à corriger, la justification de ses choix, l'analyse a posteriori de son travail, etc.".
Les universités décident en autonomie des modes d'évaluation, mais les compétences restent majoritairement évaluées par des notes. C'est également le cas à l'université d'Angers. "Tant qu’il n’y aura pas de lignes claires de la part du ministère de l’Enseignement supérieur, il sera difficile de s’affranchir des notes", souligne Marine Gauthier. Difficile en effet de se réorienter vers une autre licence ou de postuler en master sans moyenne à présenter.
Accompagner les équipes pédagogiques
Pour Virginie Garlatti et Karim Adouane, plusieurs prérequis ont permis la transition de la licence de SVT vers l'approche par compétences. D'une part, l'accompagnement de la gouvernance, tant au niveau de l'écoute que du financement. Les équipes pédagogiques qui travaillent à cette transformation reçoivent ainsi des primes. D'autre part, ils peuvent s'appuyer sur un cadrage voté en amont en CFVU (Commission de la formation et de la vie universitaire).
Par ailleurs, les étudiants et les équipes pédagogiques sont aussi accompagnés. L'université de Toulon a ainsi mis en place des heures d'accompagnement pour les étudiants et a créé des livrets et des vidéos afin de leur expliquer cette nouvelle approche par compétences.
Les équipes participent, de leur côté, à des ateliers pour construire leurs maquettes et leurs évaluations selon cette nouvelle approche, et peuvent aussi bénéficier d'entretiens individuels. Cela dit, tous les enseignants ne sont pas parties prenantes de cette réforme. "C'est lourd à mettre en place. Comme toute transformation, ça demande beaucoup d'énergie. Ce sont donc les plus motivés qui y vont", reconnait Karim Adouane.
Une réforme à marche forcée
Pour le Snesup-Toulon, ces ateliers dédiés aux équipes pédagogiques ont pour objectif de "pousser à la réforme". "Nous entendons plus de réticences à la mise en place en marche forcée que de satisfactions", affirme Stéphane Mounier, secrétaire de la section Toulon du Snesup.
Malgré l'accompagnement d’ingénieurs pédagogiques, de nombreux enseignants ont encore "de réelles difficultés à comprendre cette nouvelle démarche", ajoute-t-il.
Les formations pour accompagner les équipes à l'approche par compétence sont la plupart du temps mises en place par l'Institut français de l'éducation (IFE) qui les "vend à de nombreux établissements", souligne Mary David, maîtresse de conférences et co-secrétaire de la FSU Nantes université.
Et selon elle, "il s’agit surtout de vanter les bienfaits de l'approche par compétences. L'IFE est un organisme de qualité mais cette formation n’est pas fondée sur la science et n'est pas critique. L’approche par compétences est discutable et scientifiquement contestée, elle n’a pas fait ses preuves. Or, la formation la présente comme un modèle pédagogique qui fonctionne".
L’approche par compétences est discutable et scientifiquement contestée, elle n’a pas fait ses preuves.
Face à ce bras de fer, certains enseignants ont pris le parti de simuler une transformation de leurs maquettes. Un schéma qui se retrouve tant à l’université de Nantes qu’à celle de Toulon. "La plupart des enseignants-chercheurs résistent à la mise en place de l'approche par compétences, en ne faisant que le minimum imposé par l’administration. Beaucoup de collègues mettent un verni approche par compétences sur des modules existants sans réellement les modifier", explique Stéphane Mounier.
Une disparition des connaissances ?
La crainte principale des enseignants est la disparition des connaissances au profit des compétences. Avec en ligne de mire, des objectifs dictés par le monde économique.
"La reconnaissance de blocs de compétences de plus en plus transverses sous la forme de 'livrets de compétences' prépare la mise en place d’un objectif historique du patronat : la formation tout au long de la vie qui précarise les travailleurs", affirme Stéphane Mounier.
La FSU de Nantes université est également "très clairement opposée" à cette approche. "Les compétences individualisent, alors que ce qui protège, c’est un diplôme reconnu nationalement. L'idée de cette approche n'est pas de mieux former les étudiants mais d'accompagner l'individualisation des parcours et des carrières, ce qui mène à une baisse des salaires", ajoute Mary David.
Une réforme chronophage
Quand bien même les enseignants seraient convaincus par cette démarche, les syndicats pointent le manque de temps pour la mettre en place. "L’application de l’approche par compétences coûte cher en heures d’enseignement et en temps pour les personnels et les étudiants", pointe le Snesup-Toulon.
Les universités espèrent pourtant généraliser ce format. L’université d’Angers a par exemple pour objectif d’avoir réformé toutes ses formations d’ici 2028. Pour l’heure, une seule licence a passé le cap.
Pour Mary David, deux issues sont possibles : "soit le ministère s'obstine et essaie de contraindre encore plus les universités, soit ils se rendent compte que ce n’est pas la bonne approche et ils laissent tomber".