"Que le programme soit allégé est une bonne chose car il est effectivement très lourd en terminale. Mais le choix de supprimer trois chapitres est surprenant car cela ne va pas dans le sens de ce que demandait la profession".
Claude Lelièvre, historien de l’éducation, s’étonne de la décision du ministère de l’Éducation nationale, début septembre, de sortir du programme de la spécialité SES (sciences économiques et sociales), évaluable au bac, trois chapitres spécifiques : les crises financières, le rôle de l’école et la justice sociale.
Car si un allègement était effectivement réclamé par l’APSES (Association des professeurs de sciences économiques et sociales) depuis plusieurs mois, l’association regrette une décision unilatérale qui n’a pas tenu compte des propositions des enseignants.
Le 3 décembre dernier dans une tribune publiée dans le Monde, l'APSES appelle une nouvelle fois à revoir les programmes qui ne permettent pas aux élèves qui suivent cette spécialité au lycée de bien comprendre le fonctionnement de l'État, en pleine période de vote du budget 2025.
Un allègement attendu par la profession
Depuis sa publication en 2019, le programme de la spécialité SES en terminale est jugé trop lourd par l’APSES qui n’a eu de cesse d’alerter le ministère sur les difficultés des enseignants à aller au bout des chapitres qui le composent.
A tel point qu’en juin dernier, l’association a lancé un appel à la grève lors du grand oral. Entre le 29 juin et le 5 juillet 2024, elle a organisé un sondage auprès des enseignants. "A la question 'Êtes-vous êtes favorable à un allègement du programme pour la rentrée 2024 ?’, 98% des répondants se sont prononcés ‘pour’" explique Amandine Ouillon, co-présidente de l’APSES.
L’association a alors réfléchi à un allègement pour la rentrée. "Nous avons travaillé sur un allègement au sein des chapitres, avec la suppression des objectifs d’apprentissage, ainsi que sur la fusion de certains chapitres" indique-t-elle.
Des chapitres qui ne sont plus évalués au bac
Mais finalement, le ministère a plutôt opté pour la suppression de trois chapitres du programme évaluable au bac. Autrement dit, "on retire ces chapitres sans vraiment les retirer. Ils sont soustraits de ce que l’on doit enseigner pour les épreuves écrites, mais les élèves peuvent se baser dessus pour leur sujet de grand oral" précise Philippe Watrelot, ancien professeur de SES.
Une méthode qui ne convainc pas les enseignants. Selon le sondage mené par l’APSES en fin d’année scolaire 2024, seuls 15% des enseignants répondants se sont dits favorables à la méthode choisie par le ministère.
Une décision unilatérale ?
Et pour cause, l’APSES fustige une décision unilatérale. "Nous souhaitions constituer un groupe de travail de fond impliquant des collègues du secondaire", indique Amandine Ouillon. "Mais nous n’avons reçu que des fins de non-recevoir de la part du ministère qui a finalement pris une décision verticale, de dernière minute, sans consultation aucune des acteurs de terrain".
Une décision qui surprend aussi Claude Lelièvre. "La disparition de chapitres n’est pas si étonnante. Mais généralement, cela se fait avec un minimum de débat. Même si les avis ne sont pas toujours entendus, il y a tout de même un minimum de concertation".
Contacté par EducPros, le ministère n'a pas souhaité donné suite à nos demandes d'interviews.
La perte de chapitres essentiels
Ce n’est pas tant la suppression de chapitres qui fait réagir mais les thématiques choisies. "Il s’agit de chapitres qui mettaient en avant le rôle des pouvoirs publics dans une liste des dysfonctionnements", indique Claude Lelièvre. Des chapitres qui "posaient des questions centrales pour comprendre l’économie et la société d’aujourd’hui", précise Philippe Watrelot.
Concrètement, "le chapitre sur les crises financières permettait de s’interroger sur la manière dont les pouvoirs publics agissent pour les éviter. Celui sur l’école permettait de savoir si elle assure vraiment un rôle d’égalité des chances et le chapitre sur la justice sociale permettait de connaître et discuter l’action des pouvoirs publics dans la lutte contre les inégalités", précise Amandine Ouillon.
Des points de programmes importants qui "disparaissent tout bonnement du programme. On ne les aborde pas non plus en seconde ou en première", rajoute la professeure.
Des programmes qui "n’invitent pas à réfléchir mais à réciter le cours"
"C’est catastrophique", déplore Amandine Ouillon qui met l’accent sur le chapitre concernant la justice sociale. "Il s’agit de chapitres auxquels on tient particulièrement parce qu’on croise les regards des différentes disciplines des SES, ce qui est vraiment l’état d’esprit de la matière".
Pour elle, "la réussite des élèves passe aussi par les compétences d’argumentation. On se sent frustrés de ne pas suffisamment éclairer nos élèves sur les questions de société alors qu’on est là pour ça. On a l’impression de pas aller au bout de notre mission".
Alors que les SES ont été créées sur le principe de l’interdisciplinarité et "la problématisation à partir de problèmes contemporains", explique Claude Lelièvre, "la suppression de ces trois chapitres est le reflet d’un conflit pédagogique et idéologique".
Résultat ? Des programmes "très orientés politiquement et pédagogiquement dans leur formulation car ils n’invitent pas à réfléchir mais à réciter le cours", regrette Philippe Watrelot.
Repenser de nouveaux programmes
Un vrai problème selon l’ancien professeur de SES pour qui "il est temps de passer rapidement à la 7e génération des programmes et donner plus de place à la réflexion des élèves".
Un souhait porté par l’APSES qui demande à court terme un allègement au sein des chapitres, voire des fusions de chapitres et sur le long terme un travail de réécriture des programmes collégial "en impliquant les enseignants du secondaire", précise Amandine Ouillon.