Apprentissage en études d'infirmier : plus qu'une professionnalisation, une stratégie de recrutement

Pauline Bluteau Publié le
Apprentissage en études d'infirmier : plus qu'une professionnalisation, une stratégie de recrutement
apprentissage ifsi // ©  DEEPOL by plainpicture/Javier De La Torre
Si les étudiants sont encore peu nombreux à bénéficier de l'apprentissage pendant leur formation d'infirmier, les régions, centres de formations d'apprentis et structures médicales tentent de ne pas manquer le coche. Objectif : viser un pré-recrutement dès la deuxième année en IFSI.

Pas de chiffres à l'appui mais des tendances qui convergent : l'apprentissage séduit les étudiants en santé et de plus en plus, ceux en soins infirmiers. "Les lycéens sont attentifs à cette possibilité : c'est une réponse à la précarité et une bouée de sauvetage pour se rassurer [sur la profession et leurs compétences, ndlr]", constate Florence Girard, présidente de l'Andep (association nationale des directeurs d'écoles paramédicales).

Sans oublier qu'il s'agit surtout (et avant tout) d'une volonté du ministère de la Santé. En mars 2022, la création de 10.000 contrats d'apprentissage dans les formations sanitaires et sociales avait été annoncée pour la rentrée. Un an après, les études en soins infirmiers ne semblent pas y avoir échappé.

Pré-recruter les futurs infirmiers grâce à l'apprentissage

Pour Véronique Leone, directrice générale d'Interfed Santé sociale–Cerfah (centre régional de formations d'apprentis spécialisé dans les métiers du soin en Provence-Alpes-Côte d'Azur), ce regain d'intérêt pour l'apprentissage ne date pas d'hier : "On a une explosion des demandes depuis la réforme du diplôme d'Etat d'infirmier et la fin du concours en 2018."

Ajouter à cela "la pénurie de personnel en santé, la réforme de l'apprentissage et les aides financières pour accompagner les structures d'accueil", l'apprentissage ne peut qu'avoir la cote chez les employeurs. Recrutés en deuxième ou en troisième et dernière année d'études, les étudiants-infirmiers peuvent signer un contrat de deux ans.

Ainsi, même si les étudiants en soins infirmiers passent déjà la moitié de leur formation en stage, l'apprentissage permet aux futurs professionnels de santé de gagner en expérience, en confiance en eux et surtout, de s'intégrer plus vite à une équipe de soignants.

Les apprentis sont intégrés comme des salariés, ils sont constamment sur le terrain… C'est du gagnant-gagnant pour l'étudiant comme l'employeur. (M-L Rouxel, Croix-Rouge compétences)

La directrice nationale Croix-Rouge compétences, Marie-Luce Rouxel, estime d'ailleurs que les employeurs sont très exigeants : "On leur propose des profils et les employeurs les recrutent comme des salariés. Cela change beaucoup des stages où il n'y a pas ce choix. Les apprentis sont intégrés comme des salariés, ils sont constamment sur le terrain… C'est du gagnant-gagnant pour l'étudiant comme l'employeur."

Beaucoup d'apprentis sont même embauchés, une fois diplômés, au sein de leur structure d'accueil, qu'il s'agisse d'un centre hospitalier, d'un EHPAD, d'un centre médico-social… "Les employeurs effectuent un pré-recrutement : on arrive à 100% d'insertion pour les apprentis qui gagnent alors environ six mois d'intégration", confirme Véronique Leone.

Les apprentis infirmiers pour répondre à la pénurie de personnel ?

Le risque, derrière l'apprentissage, c'est de voir les étudiants servir de personnel d'appoint dans des structures déjà mises à mal. Une crainte émise par la FNESI (fédération nationale des étudiants en sciences infirmières). "L'apprentissage est souvent vu comme une solution pour améliorer la formation. Or, quand les étudiants ne sont pas en cours, ils travaillent, c'est du 100%. Ils sont vus comme des bras supplémentaires, peu encadrés et peu reconnus", constate Manon Morel, la présidente.

Avec déjà peu de maîtres de stage pour accompagner les stagiaires qui vont et viennent toute l'année dans les services, accompagner un apprenti relève presque de l'utopie. "L'apprenti ne doit pas servir de variable d'ajustement dans une équipe… même si cela est parfois difficile à faire comprendre. C'est vraiment la qualité de l'accompagnement qu'il faut surveiller", alerte aussi Florence Girard à l'ANDEP.

L'apprenti ne doit pas servir de variable d'ajustement dans une équipe… même si cela est parfois difficile à faire comprendre. (F. Girard, ANDEP)

C'est aussi ce à quoi s'est confronté le Centre de formation professionnel Bordeaux Nord-Aquitaine (CFPBNA) qui propose, depuis la rentrée 2022, l'apprentissage dès la première année post-bac. Une exception "discrète" et rendue possible grâce à la région qui a accepté cette expérimentation. Actuellement, dix étudiants infirmiers sont donc en apprentissage.

Une expérimentation de l'apprentissage en IFSI sous haute surveillance

"L'objectif était de faire découvrir le parcours de soin des patients : l'accueil et toute la partie sociale, l'audit sur la qualité des soins, le brancardage, visiter les plateaux techniques, de radiologie...", précise Isabelle Brulfer, la directrice. Ces missions sont réalisées en plus des stages que les apprentis réalisent comme tous les autres étudiants, sur le temps restant dû à leur employeur (environ 200 heures sur 1.607 heures).

Cette expérimentation reste très encadrée, par crainte des dérives, et notamment que les apprentis soient assignés à des tâches qui ne respectent pas le cadre de la formation pour répondre aux problèmes de pénurie du personnel. D'ailleurs, sur Parcoursup, aucun IFSI ne montre officiellement qu'il propose une formation en apprentissage. Le CFPBNA l'indique sur sa fiche détaillée seulement, après une discussion avec le rectorat.

Nous sommes très surveillés par la région, il faut un fort encadrement de la formation pour que cela fonctionne. (IFSI d'Agen-Nérac)

L'IFSI d'Agen-Nérac, qui fait lui aussi partie de l'expérimentation, ne le mentionne nulle part. "Nous sommes très surveillés par la région, il faut un fort encadrement de la formation pour que cela fonctionne et que les structures le comprennent, appuie la directrice. Nous devons prendre soin du déroulement de l'année des étudiants, veiller à ne pas les faire travailler le week-end s'ils ont des partiels par exemple. C'est aussi pour cela nos apprentis n'ont pas travaillé en dehors de leur stage au premier semestre."

L'apprentissage, peu adapté à cette profession réglementée

Mais l'enjeu va même peut-être au-delà de l'encadrement. Pour démocratiser davantage l'accès à l'apprentissage au sein de la profession d'infirmier, l'ingénierie pédagogique doit être repensée. En effet, l'IFSI de Bordeaux mis à part, l'une des conditions pour être apprenti-infirmier est d'avoir obtenu son équivalence de diplôme d'aide-soignant.

Une certification que les étudiants obtiennent habituellement en fin de première année. La région du PACA, qui investit depuis des années sur la question, propose l'apprentissage dans tous les IFSI du territoire en deuxième ou troisième année. "Ils font des gestes d'aide-soignant et pour tous les gestes infirmiers, ils sont supervisés par un tuteur. Notre profession reste très encadrée", souligne Véronique Leone.

Un avis partagé par Florence Girard, à l'ANDEP. "L'apprentissage est un travail à part entière pour les IFSI, ce n'est pas un mode qui s'intègre dans tout le reste de la formation." Car comme à Bordeaux, dans les autres IFSI, les apprentis ne font pas partie d'une classe à part entière, ils sont intégrés aux autres étudiants, ont le même rythme entre cours théoriques et périodes de stage.

Le diplôme d'Etat d'infirmier a d'abord été créé pour la formation initiale, nous n'avons pas travaillé sur les maquettes pédagogiques pour intégrer l'apprentissage. (M-L Rouxel, Croix-Rouge)

"Le diplôme d'Etat d'infirmier a d'abord été créé pour la formation initiale, nous n'avons pas travaillé sur les maquettes pédagogiques pour intégrer l'apprentissage", poursuit Marie-Luce Rouxel à la Croix-Rouge. Une nécessité pourtant selon Isabelle Brulfer qui voit dans cette voie une solution pour éviter les réorientations de ses étudiants et améliorer la durée de vie d'exercice d'une infirmière. "Nous les bichonnons parce que nous savons que si nous nous occupons bien d'eux, ils s'occuperont bien des patients."

Selon Florence Girard, un travail est actuellement mené, notamment par l'ordre national des infirmiers, pour faire évoluer la maquette pédagogique et à terme, offrir plus de flexibilité aux apprentis et employeurs, voire le proposer plus facilement dès la première année.

Pauline Bluteau | Publié le