Aller sur l'Etudiant Newsletter Mon compte

Apprentissage : une dynamique menacée par les arbitrages budgétaires ?

Rachel Rodrigues Publié le
Apprentissage : une dynamique menacée par les arbitrages budgétaires ?
La baisse des aides à l'apprentissage devrait se ressentir à la rentrée 2025. // ©  Margo_Alexa/Adobe Stock
Depuis le début de l'année, plusieurs annonces confirment un recul de l'Etat dans le financement de l'apprentissage. Parmi les acteurs du secteur, des inquiétudes s'élèvent sur la pérennité du dispositif dans les prochaines années.

L’apprentissage est-il sur le point de perdre une partie de son élan ? Plusieurs annonces confirment un repli progressif de l'Etat du dispositif, ces derniers mois. D'abord, la réduction, certes attendue, des aides à l'embauche d'apprentis, entérinée au début de l'année, et faisant passer la prime de 6.000 à 5.000 euros pour les PME et 2.000 euros pour les grandes entreprises.

Plus récemment, mercredi 23 avril, le gouvernement a confirmé sa volonté d'instaurer un reste à charge obligatoire pour les entreprises, confirmant ainsi les informations des Echos. Une participation de 750 euros sera donc exigée des entreprises pour financer la formation des apprentis en alternance préparant un diplôme bac+3 et plus, et ce à partir du 1er juillet prochain.

Cette mesure, déjà présente dans le projet de loi de finances 2025, s'inscrit dans un contexte où les dépenses de l'Etat pour le financement de l'apprentissage sont de plus en plus décriées. D'après Les Echos, la contribution devrait rapporter entre 93 et 140 millions d'euros ; un ordre de grandeur que la porte-parole du gouvernement Sophie Primas a confirmé sur TF1.

Le mercredi 30 avril, le gouvernement annonce ainsi une série de mesures pour réformer le financement de l'apprentissage (voir encadré), dont certaines sont applicables dès cet été.

L'inquiétude du reste à charge obligatoire

Cette idée de participation de l'entreprise n'est pas complètement nouvelle. Depuis quelques années, un reste à charge commence à se développer en amont des signatures de contrat, en raison de baisses successives des NPEC (niveaux de prise en charge) qui génèrent une augmentation des coûts pour les organismes de formation. "Nous devons déjà solliciter une contribution obligatoire de l'employeur pour financer les formations de certains étudiants, qui ne sont plus intégralement couvertes par les NPEC", détaille Frédéric Sauvage, président de l'Anasup (Association nationale pour l'apprentissage dans l'enseignement supérieur) et directeur de Formasup-HDF.

Mais ces annonces introduisent une nouveauté de taille : le caractère obligatoire de cette contribution. "Jusqu'ici, il nous était possible de négocier avec les employeurs et de voir quelle marge de manœuvre était envisageable", expose Nizarr Bourchada, en charge de l'alternance à Igensia Education, qui procède déjà avec du reste à charge depuis plusieurs années. "Pour beaucoup d'organismes de formations qui ne facturaient rien à l'entreprise, cette nouvelle contribution va représenter une différence énorme", ajoute-t-il. En termes de démarches administratives notamment, la gestion de la facturation de cette contribution reste encore à établir. "Il va falloir tout mettre en place", envisage déjà Jean-François Dubé, directeur du CFA Ensup-LR.

La mesure pourrait aussi être difficile à digérer pour les entreprises. Contrairement à la réduction des aides à l'embauche, qui avait été "plutôt bien intégrée" par les acteurs du secteur, l'annonce de cette contribution obligatoire risque de prendre de nombreux employeurs par surprise. "On projette déjà le fait que certaines PME puissent moins recourir à l'alternance', mise Frédéric Sauvage. "L'accumulation des 1.000 euros en moins et de cette participation peut peser lourd dans leurs budgets".

Des entreprises plus prudentes sur l'apprentissage

D'autant que cette nouvelle composante s'ajoute à un contexte économique peu enclin à favoriser les embauches. Le retournement de la conjoncture ainsi que les incertitudes budgétaires de ces derniers mois ont poussé les employeurs à mettre sur pause, voire retarder leurs recrutements. "On remarque que la campagne de recrutement d'apprentis s'est décalée", pointe Nizarr Bourchada. "Ces dernières années, les entreprises soumettaient leurs premières offres avant Noël. Mais la parution tardive du décret sur les aides a décalé la campagne de deux mois", observe-t-il.

Si les embauches d'apprentis se concentrent généralement aux alentours de mai-juin, et s'étalent tout au long de l'été, un impact semble déjà observable. "Tous les ans, nous organisons un alternance dating, mais cette année, nous observons beaucoup moins d'entreprises présentes", assure Laurent Brandon, chargé de l'apprentissage à l'université Montpellier Paul Valéry, qui estime à 25% la baisse de participation de leur forum d'avril. Nizarr Bourchada estime de son côté que la campagne de cette année pourra aisément se prolonger après la rentrée, jusqu'en novembre.

Des effets à venir sur les politiques et stratégies de recrutement

Pour Frédéric Sauvage, des évolutions stratégiques pourraient aussi avoir lieu au sein des grandes entreprises à plus long terme. "Avant que les annonces ne tombent, beaucoup d'employeurs évoquaient déjà la possibilité de réfléchir à comment faire autrement", s'inquiète-t-il, autrement dit, avec "moins d'alternance". "On a très peur de changements de comportements, voire d'un possible crash de l'alternance en 2026, maintenant que tout cela se confirme"

Face à ces inquiétudes bien réelles, Nizarr Bourchada tempère : "les grands comptes n'auront pas intérêt à ne plus mener leurs campagnes d'alternance parce qu'elles ont l'obligation de respecter un certain quota d'apprentis [5% sur l'échelle de l'entreprise, NDLR]", rappelle le responsable.

Une concurrence entre différents niveaux de formation ?

Ce possible "crash" viendrait néanmoins freiner la dynamique de développement de l’alternance et la création continue de nouvelles formations, ces dernières années. "En cinq ans, on est passés de 50 formations alternées à quasiment 75, il continue d'y avoir une véritable demande", interpelle Laurent Brandon. Un constat valable dans tous les secteurs : à titre d'exemple, l'école d'ingénieurs généraliste IMT Nord Europe fait état de cinq filières ouvertes à l'apprentissage, et "une sixième en préparation", indique Alain Schmitt, directeur de l'établissement. Côté commerce, "on ne voit pas de baisse dans les candidatures non plus", confirme Nizarr Bourchada.

Le niveau master notamment, a été grandement mobilisé pour le développement de filières en alternance, et intéresse beaucoup les entreprises : "Il s'agit là de profils d'étudiants ayant déjà acquis de nombreuses compétences, ce qui permet aux employeurs d'avoir des apprentis déjà opérationnels sur beaucoup de missions", décrit Jean-François Dubé.

Mais quelle sera la réaction des entreprises si demain, elles doivent débourser 750 euros en plus pour embaucher un apprenti de ces niveaux ? Selon Frédéric Sauvage, une forme de mise en concurrence risque d'émerger entre les niveaux de formation bac+2 (BTS) et les niveaux supérieurs (BUT, master). "Il se peut que certaines entreprises choisissent à terme des profils qui leur coûtent moins cher".

De son côté, Bruno Bouchard, président de l'université Paris-Dauphine-PSL, se veut plus optimiste : "Différents niveaux de compétence sont recherchés, il est important de continuer d'accompagner toute une génération d'étudiants, quel que soit leur niveau". Tout au plus, un changement de dynamique pourrait aussi s'opérer au profit des niveaux BTS, qui verraient leur image "redorée", après avoir été plutôt délaissés ces dernières années, estime Nizarr Bourchada.

Devoir de pédagogie et rigueur de l'accompagnement

L'occasion, toutefois, de remettre au cœur des enjeux de qualité de la formation. "Les entreprises redoubleront de vigilance avant de s'engager avec un organisme de formation sur un contrat d'apprentissage", estime Frédéric Sauvage. "Montrer patte blanche sur la qualité de notre accompagnement, on le fait déjà", explique Nizarr Bourchada. Avec ce reste à charge, les établissements d'accueil devront faire preuve d'autant plus de pédagogie pour que l'enjeu soit bien assimilé par les employeurs.

"Il faut que les entreprises comprennent qu'elles participent ainsi à l'effort de formation, un enjeu sur le long terme, dans un contexte de difficultés budgétaires au niveau de l'Etat qui se répercutent sur le budget de l'ESR", rappelle le président de l'université Paris-Dauphine-PSL, qui compte près de 1.630 apprentis sur un effectif total de 10.000 étudiants. Tous attendent de pied ferme le mois de juin pour constater, ou non, les dégâts sur les offres. De son côté, le ministère a annoncé prévoir une stagnation des signatures de contrats, voire un retour au nombre d'entrées en apprentissage de 2023, en conséquence de ces annonces.

Une réforme du financement de l'apprentissage à venir

Mercredi 30 avril dernier, le gouvernement a présenté aux partenaires sociaux les mesures retenues pour réformer le financement de l’apprentissage, avec pour objectif de réaliser entre 450 et 500 millions d’euros d’économies. Parmi ces mesures, plusieurs entreront en vigueur le 1er juillet 2025 : 

  • La minoration de 20% des niveaux de prise en charge à partir de plus de 80% de formation en distanciel dans le cursus des apprentis.

  • Les subventions aux CFA seront versées au prorata de la durée de formation, sur une base journalière et non plus mensuelle.

D'autres sont en préparation pour une entrée en vigueur à la rentrée 2026 :

  • Les branches professionnelles pourront moduler les financements à hauteur de 20% des recommandations fixées par France Compétences.

  • Des bouquets de certification seront mis en place "afin de faire converger le niveau de prise en charge" concernant les certifications professionnelles préparant au même métier.

  • Le plafonnement des niveaux de prise en charge à 12.000 euros appliqué aux niveaux 6 et 7 sera étendu au niveau 5.

  • Une simplification du système de certifications est prévue pour permettre qu'un seul NPEC par certification soit fixé. Objectif : passer de 800.000 niveaux de prise en charge différents actuellement à environ 3.500.

Le ministère doit présenter fin mai un plan visant à renforcer la qualité de la formation dans les CFA pour la rentrée 2025.

Rachel Rodrigues | Publié le