Bernard Belletante : “75% de la croissance de l’école proviendra bientôt de l’international”

Cécile Peltier
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Bernard Belletante // DR
Bernard Belletante // DR
En prenant les rênes de l’EM Lyon il y a un an, Bernard Belletante a revu toute la politique internationale de l’école. Fini les convois d’étudiants sur le campus de Shanghai. Le site chinois comme le nouveau campus de Casablanca doivent désormais recruter et former des étudiants sur place. Un moyen de diversifier les sources de revenus de la business school, qu’explique à EducPros son DG.

À peine arrivé à l'EM Lyon, vous décidiez d'une nouvelle stratégie en matière d'implantation à l'étranger. Pourquoi ce changement de braquet ?

Jusqu'ici, l'école utilisait son campus de Shanghai pour envoyer ses étudiants par centaines en semestres d'étude. Selon moi, ce type de stratégie relève à la fois de l'erreur stratégique et de la destruction de valeur. Au lieu de s'immerger dans la culture locale, comme en échange académique dans une université partenaire, les étudiants avaient tendance à rester entre eux, et au bout d'un an, ils avaient surtout développé leur réseau français !

En outre, sur le plan économique, envoyer ses étudiants sur un site en propre ne génère pas un centime. Or le marché français est extrêmement saturé et même si l'école n'a pas de problèmes structurels, pour se développer, elle doit à travers ses campus étrangers trouver des relais de croissance durable. Nous devons passer d'une logique d'exportation à une logique de production de formation et de recherche dans les pays étrangers. 75% de la croissance de l'école dans les dix prochaines années proviendra de nos activités à l'international avec ces campus comme têtes de pont. Aujourd'hui déjà, chaque fois que l'on dégage un million d'euros de chiffre d'affaires supplémentaire, les trois quarts proviennent de l'étranger.

Sur le plan économique, envoyer ses étudiants sur un site en propre ne génère pas un centime.

De quelle manière comptez-vous trouver ces "nouveaux relais de croissance" ?

En recrutant de nouveaux étudiants étrangers. Mais ils ne viendront pas à nous : il va falloir aller les chercher. Aujourd'hui, l'EM Lyon compte environ un tiers d'élèves internationaux, soit 1.100 étudiants, dont seulement la moitié d'étudiants inscrits en propre. Nous devons être capables via nos campus – Shanghai et notre nouveau campus de Casablanca – d'en recruter 1.500 à 2.000 de plus d'ici à 5 ans dans le cadre de formations initiales sur place, avec possibilité de passer une partie du cursus sur les autres sites. L'Asie dispose d'un pouvoir d'achat, d'une appétence pour les diplômes et d'une culture de l'éducation payante qui permet de facturer des frais de scolarité un peu supérieurs à ceux pratiqués dans l'Hexagone. Shanghai va contribuer à la rentabilité de l'école avec un retour sur investissement sans doute plus élevé qu'en France.

Les entreprises nous demandent aussi de former leurs collaborateurs à l'étranger. Nous allons donc développer de manière prioritaire l'executive education, qu'on ouvre à Shanghai dès la rentrée. SEB, par exemple, qui compte 180.000 salariés en Chine, a de gros besoins en la matière, et il n'y a rien de tel qu'une école de proximité pour s'en charger !

Le futur campus de l'EM Lyon à Shanghai.

Vous étiez jusqu'ici logé à Shanghai par l'East China Normal University [Ecnu] avec qui vous partagiez les services supports. Pourquoi avoir décidé de créer l'Asia-Europe Business school [AEBS] ?

Ecnu – l'équivalent chinois de Normal Sup – ne possède pas de département business. La création d'AEBS avec Ecnu va nous permettre de développer notre portefeuille de formations, tout en conservant l'appui de notre partenaire local, indispensable en Chine. Nous allons continuer de partager les locaux et les investissements avec Ecnu et nous appuyer sur leur recrutement parmi les 5% des meilleurs étudiants du pays via le concours Gaokao.

En termes de qualité, les étudiants bénéficieront exactement des mêmes standards qu'en France. Je ne veux pas de "jet profs". Nous allons développer le corps professoral permanent, qui compte actuellement six professeurs internationaux (Allemands, Vietnamiens, etc.) en recrutant sur place en contrat local. Nous visons 30 professeurs à 5 ans.

Vous ouvrez également à la rentrée un campus à Casablanca, au Maroc. Est-il fondé sur le même business model ?

Non, au Maroc, nous nous appuyons sur un fonds financier qui va nous aider dans le choix d'un immeuble et nous travaillerons sur une formule avec loyer adapté à l'activité. Je ne vois pas pourquoi j'irais mettre 10 millions dans un immeuble en Afrique alors que ce n'est pas mon métier !

Pour la pédagogie, nous montons notre projet en nom propre, car les partenaires potentiels n'ont pas la qualité nous permettant de défendre nos accréditations. Mais le système d'éducation est suffisamment moderne et nous disposons d'un réseau d'anciens assez étoffé pour mener ce projet à bien.

L'offre de formation est un peu différente de celle de Shanghai : le campus accueillera à partir de la rentrée 2015 un programme Bachelor et des mastères en formation continue. Nous visons 150 à 200 étudiants pour commencer et 1.000 à 1.200 à 5 ans.

Dans quelle mesure ces campus vont-ils contribuer au développement de la recherche ?

Afin d'offrir une vision vraiment globale à nos étudiants, il est important d'installer des centres de recherche sur nos campus à l'étranger. À Shanghai, AEBS compte déjà son centre de recherche interdisciplinaire sur "la nouvelle économie de la route de la Soie", le projet de développement économique lancé en 2014 par le gouvernement chinois. Nous allons nous appuyer sur notre réseau de 500 anciens basés en Chine pour développer une activité de recherche appliquée via des chaires en lien avec les besoins des entreprises chinoises et des filiales d'entreprises françaises basées en Chine.

À Casablanca, le centre de recherche sera consacré à l'entrepreneuriat social, qui constitue une solution intéressante pour les populations à faibles revenus.

Un jour, on peut imaginer qu'un étudiant pourra être diplômé de l'EM Lyon en n'ayant passé qu'un semestre à Lyon.

Avez-vous de nouveaux projets d'implantation. Et si oui, sous quelle forme ?

Nous aurons à l'avenir très peu de campus physiques. D'ici à 18 mois, nous initierons sans doute un projet dans la région "d'Indiafrica" et probablement au Moyen-Orient.

Nous envisageons aussi de nous implanter en Afrique via des programmes online et des campus éphémères (“pop up campus”) dans des villes stratégiques comme Dakar ou Cotonou, en nous appuyant sur les technologies de notre partenaire IBM.

Un jour, on peut imaginer qu'un étudiant pourra être diplômé de l'EM Lyon en n'ayant passé qu'un semestre à Lyon, en parallèle, il aura travaillé sur la plateforme numérique...

Comment ce changement de stratégie a-t-il été perçu en interne ?

Bien. Nous avons inscrit ces objectifs dans le plan stratégique et expliqué aux équipes qu'en restant dans une logique franco-française nous risquions de régresser dans les classements, et à terme de disparaître. J'ai reçu un écho très positif des collaborateurs et un gros soutien des entreprises. Et ceux qui n'étaient pas contents sont partis !


Cécile Peltier | Publié le