Les stratégies des business schools face au Brexit

Guillaume Mollaret, Eva Mignot Publié le
Les stratégies des business schools face au Brexit
Malgré le Brexit, les écoles de commerce françaises implantées en Grande-Bretagne comptent bien tirer leur épingle du jeu et maintenir des liens de coopération. // ©  PLANET Pix/ZUMA-REA
La Grande-Bretagne devrait quitter l’Union européenne au printemps 2019. Mais face aux nombreuses incertitudes concernant les modalités de sortie, certaines écoles de commerce françaises réfléchissent à leur stratégie, partagées entre inquiétudes et opportunités potentielles.

À six mois de sa mise en œuvre, le Brexit s’accompagne toujours d’un énorme point d’interrogation. Fixée au 29 mars 2019, la sortie de la Grande-Bretagne de l’Union européenne interroge de nombreuses écoles de commerce françaises, pour certaines implantées en Grande-Bretagne, que ce soit en raison de leur implantation via des campus ou par les échanges et doubles diplômes avec les écoles partenaires, en formation initiale ou continue. Entre opportunités et incertitudes, les analyses se croisent avec plus ou moins de nuances.

Que faire d'un campus à l'étranger ?

"Dans l’hypothèse d’un Brexit dur, d’un 'no deal', le Royaume-Uni ne deviendra pas un pays complètement coupé du monde. Des connexions culturelles seront nécessaires. Ce cas de figure conforterait notre position de pont vers l’Europe, parce que notre campus à Londres est une institution de l’enseignement supérieur britannique", déclare Frank Bournois, directeur général de l’ESCP Europe. Une perspective optimiste que tous les établissements ne partagent pas. GEM (Grenoble École de Management) se pose ainsi ouvertement la question du maintien de son campus londonien.

"La politique de visa concernant les étudiants non-européens s’est durcie voilà quelque temps. Notre campus, dont le volet administratif est entièrement géré par un partenaire local, a compté jusqu’à 200 étudiants, contre une vingtaine aujourd’hui", détaille Jean-François Fiorina, le directeur général adjoint de la business school grenobloise.

"La question du maintien d’un enseignement dispensé par GEM en Grande-Bretagne pourrait être redessiné de sorte qu’ils y passent moins d’un semestre, avec un autre semestre effectué en France", lance-t-il. En évitant aux étudiants d’être considérés comme des résidents de Grande-Bretagne, ce nouveau format permettrait de contourner la question du visa.

Une agilité à maintenir, qui prendra la forme de casse-tête, pour les étudiants comme pour les enseignants. "J’ai à l’esprit le cas précis d’un enseignant européen qui se posait la question de revenir sur le continent", assure Emmanuel Métais, directeur général de l’Edhec Business School, qui ne dispose pas de campus permanent à Londres, mais d’un bureau dédié à la recherche et, dans un autre registre, à l’animation de son réseau d’alumnis.

Autre cas, autre expérience avec l’EM Normandie : "Tout récemment, nous avons voulu recruter un professeur indien. Nous ne pensions pas que le faire venir à Oxford poserait problème, d’autant plus que le Royaume-Uni cherche actuellement à se rapprocher des pays du Commonwealth", se souvient Jean-Guy Bernard, le directeur général de l’école havraise. "Mais aujourd’hui, nous sommes avant tout considérés comme une association française embauchant un professeur étranger. Finalement, ce recrutement n’a pas été possible", déplore le dirigeant.

Pour se prémunir de déconvenues futures, EM Normandie a ouvert un campus à Dublin "pour bénéficier d’une soupape de sécurité". Néanmoins, parce qu’elle est convaincue que conserver un campus sur la Grande Île revêt une plus-value, l’école a aussi prévu de "créer à Oxford une société à statut juridique anglais, pour garantir les facilités d’obtention de visas". Ainsi, la modification statutaire en une filiale anglaise donnera de facto au campus les mêmes droits qu’une université locale.

En revanche, si la société sera officiellement créée dans les semaines à venir, "il nous faudra un an et demi, voire deux ans, pour obtenir les accréditations nécessaires", précise Jean-Guy Bernard. "Nous estimons que tous les étudiants de l’EM Normandie doivent avoir la possibilité de venir sur le campus d’Oxford, quelle que soit leur nationalité", insiste-t-il.

Tous les étudiants de l’EM Normandie doivent pouvoir venir sur le campus d’Oxford, quelle que soit leur nationalité.
(J.-G. Bernard)

Le spectre d'une implantation anglaise

À l’autre bout de la France, Jean-François Fiorina, au-delà du cas de son propre établissement, craint que le Brexit n’invite les business schools anglaises à venir s’installer sur le sol français.

"Si Warwick venait à s’installer à Cergy-Pontoise, cela pourrait nous porter préjudice car la force de cette marque est aujourd’hui supérieure à bien des écoles françaises. On peut soupçonner que ces mêmes universités voudront se recentrer sur l’Europe plutôt que d’investir en Chine ou en Inde", pointe-il.

Si Warwick venait à s’installer à Cergy-Pontoise, cela pourrait nous porter préjudice.
(J.-F. Fiorina)

"Les Anglais savent se montrer souples et inventifs… La Grande-Bretagne est le premier pays en nombre d’établissements accrédités Equis", souligne Jean-François Fiorina. Face à cette éventualité, Emmanuel Métais se montre pragmatique. "Ce n’est pas vraiment dans l’ADN des écoles britanniques d’opérer ainsi… mais qui sait ? Ce sera peut-être l’occasion de nouer des partenariats", espère-t-il.

Vers une hausse des frais de scolarité ?

"Nous allons bientôt annoncer l’ouverture d’un campus de l’EMLV à l’étranger et nous avions étudié la possibilité de nous installer au Royaume-Uni. Le directeur des relations internationales nous a dit qu’il était très difficile de s’y rendre en plein Brexit", explique Sébastien Tran, directeur de l’EMLV (École de management Léonard-de-Vinci).

"Outre la problématique des visas, il y a celle de l’impact du Brexit sur les frais de scolarité des universités partenaires. En accueillant moins d’étudiants étrangers, les universités britanniques courent le risque d’un manque à gagner qu’elles pourraient compenser par l’augmentation des frais de scolarité", analyse Sébastien Tran.

Si la hausse des frais de scolarité se confirme, nous conseillerons aux étudiants de partir dans d’autres pays anglo-saxons.
(S. Tran)

"Nous avons commencé à sonder nos partenaires locaux, il y a deux-trois mois, sur une potentielle hausse des frais de scolarité, ajoute-t-il. Si celle-ci se confirme, nous conseillerons aux étudiants de partir dans d’autres pays anglo-saxons." Du reste, cette problématique n’est pas partagée par toutes les écoles, notamment celles fonctionnant sur le mode de l’échange.

Selon ce principe, un étudiant étranger est accueilli en échange d’un étudiant local ; le montant des frais de scolarité n’entre donc pas en ligne de compte. En revanche, selon les variations de taux de change entre la livre et l’euro, les velléités de certains de venir étudier en France ou en Grande-Bretagne pourraient être refroidies…

L’opportunité d'attirer des étudiants étrangers en France ?

Par ailleurs, là où Sébastien Tran voit un frein dans le Brexit, Jean-François Fiorina y voit au contraire une double opportunité pour ses étudiants. "Il peut être valorisant pour un étudiant d’avoir séjourné dans la Grande-Bretagne post-Brexit. Les entreprises peuvent être intéressées par un tel profil", argumente-t-il, avant d’ajouter qu’il est "aujourd’hui assez compliqué pour une école de commerce française d’aller au-delà du partenariat académique avec une université anglaise. Le Brexit favorisera la coopération : ces universités ne voudront pas perdre tout lien avec l’UE. Il sera plus facile d’envisager des doubles diplômes avec la France", veut croire le directeur général adjoint de GEM.

Une hypothèse avancée par certains directeurs. "Il y a 450.000 étudiants étrangers en Grande-Bretagne, certains pourraient vouloir nous rejoindre", avance, toujours avec prudence, Emmanuel Métais.

Une intuition que confirme William Hurst, le directeur général de l’EDC Paris : "Nos agents à l’étranger nous ont rapporté que beaucoup d’Indiens anticipaient le Brexit et commençaient à s’intéresser aux écoles françaises." Le Brexit pourrait aussi être une chance pour les écoles françaises qui verraient leur attractivité ravivée auprès des étudiants internationaux. Le malheur des uns fait le bonheur des autres.

Guillaume Mollaret, Eva Mignot | Publié le