Quelle stratégie adopter face au développement des établissements d'enseignement supérieur privé ? La question agite les acteurs du secteur, mais aussi les collectivités.
Pour preuve, l'Association des villes universitaires de France (Avuf) s'apprête à lancer une thèse Cifre en collaboration avec Aix-Marseille université sur le sujet.
Un manque de visibilité sur l'implantation locale des établissements privés
Il faut dire que les connaissances des collectivités sur ces établissements privés et leurs étudiants - 26 % des effectifs dans le supérieur - sont, à l'heure actuelle plutôt parcellaires. Et que les acteurs locaux ne sont pas toujours informés de l'implantation de nouvelles écoles sur leur territoire.
"Certaines écoles jouent bien le jeu et contactent les collectivités très en amont, souligne François Rio, délégué général de l'Avuf. Mais elles ne le font pas toutes." Et le rectorat - lorsqu'il est lui-même prévenu - n'a pas pour consigne de transmettre cette information.
C'est parfois par voie de presse que les agglomérations et métropoles ont vent de l'arrivée d'une nouvelle école. D'autres fois, via les agences de développement économique. À Poitiers, ce fut le cas pour plusieurs écoles de commerce privées. "Elles contactent les développeurs, comme le ferait une entreprise lambda à la recherche de foncier", déplore Bastien Bernela, élu chargé de l'enseignement supérieur à la communauté urbaine de Poitiers.
Des implantations qui sortent des schémas locaux d'enseignement supérieur
La difficulté est que ces implantations n'entrent pas dans le cadre du schéma directeur établi par la collectivité. Bastien Bernela cite l'exemple d'une école récemment implantée au cœur d'une zone d'activité. "Nous avons désormais des étudiants, qui paient des frais de scolarité élevés, pour étudier dans une zone où ils n'ont accès à aucun service, ni logement, ni service de mobilité."
Le développement de l'offre de formation a besoin de régulation au niveau local. (F. Rio, AVUF)
Pour l'Avuf, "le développement de l'offre de formation a besoin de régulation au niveau local" et doit reposer sur une politique de ville universitaire. "L'ignorer peut non seulement nuire à l'image de la ville, dans l'incapacité de fournir aux étudiants les services qu'ils attendent, mais nous empêche également d'avoir une vision et donc une action sur le décrochage scolaire ou la précarité étudiante."
Une nécessaire régulation dans certaines villes
Dans certaines métropoles, comme à Lyon, des stratégies de régulation sont à l'œuvre. La collectivité a travaillé à la mise en place d'une grille d'évaluation des projets d'implantation, dans le cadre de projets immobiliers, avec la société publique locale. "Pour que des établissements privés soient sélectionnés et soutenus par la Métropole, ils doivent répondre à deux critères principaux : avoir des enseignants permanents et une activité de recherche", explique Jean-Michel Longueval, vice-président de la métropole lyonnaise, chargé de l'enseignement supérieur.
Afin de mieux "territorialiser" son offre de formations, le Grand Lyon encourage également les établissements à s'installer dans les villes moyennes voisines, comme Bourg-en-Bresse ou Roanne.
Cette dernière a d'ailleurs lancé, cette année, un appel à manifestation d'intérêt dans le cadre de la création d'un village de la formation. Roanne souhaite développer les formations liées à la transition énergétique, la rénovation ou encore la mobilité et s'adresse notamment aux acteurs privés. Objectif ? Mieux accompagner les entreprises locales qui connaissent de fortes difficultés de recrutement.
Des villes moyennes en demande de nouvelles écoles
Car, à l'inverse des grandes villes universitaires, les villes de taille moyenne, en particulier celles qui souffrent d'un déficit d'attractivité, sont en demande de nouvelles formations, y compris privées.
"Dans ces villes, l'offre publique est réduite, explique François Rio. Et la possibilité de développement d'antenne de l'université est limitée, faute de budget." Par ailleurs, "le secteur privé présente une capacité d'ajustement et une souplesse dont ne dispose pas l'université", complète Charlotte Sorrin-Descamps, directrice générale d'Intercommunalités de France.
Le secteur privé présente une capacité d'ajustement et une souplesse dont ne dispose pas l'université (C. Sorrin-Descamps, intercommunalités de France)
À l'issue de l'élaboration de son schéma local de l'enseignement supérieur, Cherbourg a ainsi identifié un besoin de formation dans le domaine de l'énergie, en particulier. Pour y répondre, elle a fixé un cahier des charges, puis lancé un appel à manifestation d'intérêt. Ce processus aboutit en cette rentrée 2024, avec l'ouverture de l'Ecam, une école d'ingénieurs privée.
Une animation de l'écosystème à repenser
La prochaine étape pour les collectivités sera de réussir à animer cet écosystème en évolution et d'initier un dialogue entre public et privé.
Nantes a fait le choix d'intégrer à son écosystème les établissements privés évalués par le ministère. À Poitiers, dans le cadre du renouvellement du Slesri (Schéma local de l'enseignement supérieur, de recherche et d'innovation), la création d'instances de coordination ad hoc est prévue, et tous les acteurs sont invités à participer.
Autres modalités à Laval qui a fait le choix de passer des conventions de partenariats avec les grands établissements privés de son territoire. Ces conventions, qui peuvent inclure un soutien financier, y compris de fonctionnement, comportent également des clauses spécifiques, comme une prise en compte accrue de la dimension égalité homme-femme, ou un accompagnement renforcé pour la vie étudiante.
L'Avuf a pour objectif d'imaginer et proposer à ses membres, d'ici deux ans, un contrat-type dans le cadre de l'animation de cet écosystème. Un moyen de soutenir des collectivités encore trop souvent "démunies", selon le président de l'association.