Concertation : du difficile exercice de la synthèse

Laura Taillandier Publié le
Concertation : du difficile exercice de la synthèse
La ministre de l’Enseignement supérieur, Frédérique Vidal, répond aux questions sur le contrat de réussite étudiant, à l'Upem, lundi 16 octobre 2017. // ©  Préfecture de Seine-et-Marne
Faut-il fixer des "attendus" prescriptifs à l'entrée à l'université ? Créer une année de remise à niveau ? Limiter le nombre de vœux formulés par les lycéens ? Alors que la concertation sur le contrat de réussite étudiant s'achève jeudi 19 octobre 2017, plusieurs questions restent sans réponse. La balle est désormais dans le camp du gouvernement.

"Le gouvernement devra trancher." À l'université Paris-Est-Marne-la-Vallée, lundi 16 octobre, Frédérique Vidal effectuait son dernier déplacement sur le thème du premier cycle universitaire, avant la fin de la concertation sur le contrat de réussite étudiant. L'occasion pour la ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation, de faire le point sur les discussions, trois jours à peine avant la remise du rapport final, fixé au 19 octobre 2017. 

"La réflexion la plus complexe de la concertation est de savoir comment on articule les prérequis et l'entrée dans l'enseignement supérieur. Ce n'est pas le choix le plus simple, car les positions sont tranchées. Et je ne suis pas persuadée que le groupe de travail dédié à cette question soit arrivé à quelque chose de consensuel", souligne-t-elle.

Le débat sur les prérequis reste entier

Sur le sujet, aucune position commune n'émerge en effet de la concertation, comme le résume la synthèse des travaux de ce groupe de travail. "La prise en compte du profil de l’élève avant son entrée dans l’enseignement supérieur a suscité le débat le plus vif, à la fois sur le fond et sur les formes que pourraient prendre une affectation éclairée à la lumière du profil de l’élève candidat et des attendus de la formation", souligne le document. Et "si la prise en compte du profil du candidat dans la proposition pédagogique est largement reconnue comme nécessaire, les clivages sur le caractère prescriptif et sur le choix final laissé ou non à l’étudiant restent forts."

Concrètement, "la question de l’usage des dossiers déposés dans APB est restée non tranchée entre les tenants du maintien de la non prise en compte de ces dossiers par les filières non sélectives et ceux qui souhaitent l’identification d’un profil de l’étudiant, plus ou moins adapté aux vœux exprimés, et donc l’usage de prérequis pour juger de l’adéquation de son projet avec son choix et avec son potentiel de réussite", rappelle encore le document.

À chacun son rythme ?

En revanche, la réflexion sur les difficultés de certains étudiants à suivre le rythme universitaire "[a] fait émerger la nécessité de faire vivre des parcours adaptés" (…) "et des rythmes différenciés pour répondre aux besoins spécifiques des étudiants". Mais les acteurs de la concertation préviennent : cela ne sera possible qu'à condition que la communauté universitaire garde la maîtrise pédagogique de ces parcours et que ces derniers donnent lieu à une reconnaissance en termes de crédits.

Si les dispositifs spécifiques (modularisation, semestre sas, semestre rebond, parcours de réussite…) sont jugés "intéressants, parfois indispensables", ce n'est pas le cas de l'année de propédeutique, qui cristallise l'opposition de la FSU, du Sgen, ou encore de l’Unef. Pourtant, cette idée d'une année de remise à niveau est toujours sur la table. Et dans la tête de la ministre. "Que faudrait-il faire pour vous convaincre d'aller vers des filières où l'on vous propose une remise à niveau ? Que vous nous fassiez confiance ?", demande-t-elle aux élèves de BTS du lycée Flora-Tristan, lundi 16 octobre, avant sa visite à l'Upem. Le "contrat pédagogique de réussite" voulu par le gouvernement pour la rentrée 2018 devrait être "dissocié d'une durée d'obtention d'un diplôme", rappelle la ministre. 

Mais ces parcours d'études étalés dans le temps ne pourront se faire sans le développement de la formation tout au long de la vie, notent les acteurs de la concertation. Sur ce point, ils proposent de tirer parti des opportunités offertes par le processus de Bologne "pour sortir de l'approche segmentée en années et semestres et privilégier l'architecture en ECTS en introduisant des blocs de compétences disciplinaires, transversales ou préprofessionnelles". 

Revoir le calendrier d'affectation

Le contrat personnalisé appelé de ses vœux par le gouvernement "offrira des solutions adaptées à chacun pour réussir sa formation et se préparer à l’insertion professionnelle", ont tenu à rappeler Frédérique Vidal et son homologue Jean-Michel Blanquer, dans une lettre adressée le 11 octobre aux proviseurs. 

En ce sens, dès le mois de décembre 2017, "un dialogue s’engagera entre les équipes pédagogiques et les élèves de terminale pour affiner leurs projets", détaillent les deux ministres. "Dans cet esprit, la dimension d’éclairage du conseil de classe du premier trimestre sera renforcée" et "les élèves auront jusqu’à la fin du mois de mars pour formuler leurs vœux". Combien de vœux ? Dans la concertation, le nom d'une plateforme nommée "Réussis ton avenir" qui formulerait trois propositions est venu crisper les discussions du groupe de travail sur les formations pour tous les publics. Avant d'être retiré par le rapporteur. 

Sur la procédure d'orientation en elle-même, quelques points de consensus émergent malgré tout de la concertation, comme la mise en place d'une orientation active dès la classe de seconde, voire dès le collège, ou encore la nécessité de revoir le calendrier d'affectation, source de stress pour les élèves. "Pas de résultats avant le bac, plus de réactivité du processus d’affectation et de communication, confirmation des vœux plus rapide par les élèves...", liste comme autant de points nécessaires le groupe de travail sur l'accès à l'enseignement supérieur. De même, la suppression des pastilles vertes et le fait d'imposer aux établissements donnant lieu à un diplôme reconnu par l’État l'inscription dans APB (seuls 85 % d'entre eux le sont aujourd’hui) ont réuni tous les acteurs.

L'expérimentation pour modifier les pratiques pédagogiques

Autre transformation voulue par le ministère : une adaptation de la pédagogie au service de la réussite des étudiants (pédagogie inversée, par projets, usage du e-portfolio, des learning analytics…). Pour y parvenir, une solution avancée par la concertation serait d'utiliser le cadre de l'expérimentation, encadrée par la loi ou par décret, et limitée dans le temps, pour tester de nouveaux modèles, à l'image de l'évaluation continue intégrale, par exemple.

Mais de tels changements ne pourront se faire sans une formation des acteurs de l'enseignement et sans la reconnaissance de l'investissement pédagogique des enseignants-chercheurs, plaident les participants à la concertation. Un point d'évolution que soutient volontiers la ministre. "Il faut évaluer cette autre jambe sur laquelle marche un enseignant. Cela ne va pas se faire demain, mais il faut que cet engagement soit reconnu dans leur carrière", souligne Frédérique Vidal devant la communauté de l'UPEM. 

Sprint final avant les arbitrages

C'est donc au recteur de Versailles, Daniel Filâtre, qu'est revenue la lourde tâche de faire la synthèse des discussions avant les arbitrages. Le 16 octobre, la ministre a prévenu qu'elle se laissait le temps de digérer ce rapport, qui lui sera remis jeudi 19 octobre, pour présenter les grandes orientations de la réforme avant le retour des vacances de la Toussaint. Difficile de savoir de quel côté penche le gouvernement, alors que le président de la République, Emmanuel Macron, a évité de parler de sélection lors de son entretien télévisé, dimanche 15 octobre. 

Dans la dernière ligne droite, les différents acteurs de la concertation font entendre leur voix, comme la CPU qui s'associe aux écoles pour plaider pour la mise en place d'attendus prescriptifs. Quand d'autres organisations, comme l’Unef, la FSU ou le Sgen-CFDT, s'y opposent. Tous souhaitent, en revanche, que les orientations soient présentées en Cneser par la ministre, le 23 octobre. 

Autre élément qui fait consensus : la question des moyens. De toutes les synthèses des groupes de travail, ressort la nécessité de moyens nécessaires pour mettre en place les transformations souhaitées. D'autant que, si le gouvernement n'opte pas pour des prérequis prescriptifs, il faudra augmenter les capacités d'accueil l'an prochain, notamment dans les filières sélectives. Car une seule certitude, l'engagement a été pris de mettre fin au tirage au sort dès la rentrée 2018. 

Laura Taillandier | Publié le