Dans les grandes écoles, la démocratisation n’a pas encore eu lieu

Éléonore de Vaumas, Juliette Loiseau Publié le
Dans les grandes écoles, la démocratisation n’a pas encore eu lieu
Un nouveau rapport pointe le manque de diversité des étudiants des grandes écoles françaises, dont les écoles normales supérieures. // ©  letudiant.fr
Depuis le milieu des années 2000, les grandes écoles multiplient les dispositifs et procédures parallèles pour élargir leur recrutement. L’enjeu est celui de la démocratisation de leurs effectifs, dont le manque de diversité leur est régulièrement reproché. Mais, le profil des étudiants y est resté très stable.

Dans son rapport "Quelle démocratisation des grandes écoles depuis le milieu des années 2000 ?" de janvier 2021, l’Institut des politiques publiques indique que deux tiers des étudiants des grandes écoles sont issus des professions et catégories sociales (PCS) très favorisées. A l’inverse, ceux des catégories défavorisées ne représentent que 9% des effectifs.

Dix fois plus de chance pour les élèves très favorisés

Les écoles de commerce et d’ingénieurs affichent un peu plus de diversité sociale que les IEP ou les ENS, mais plutôt dans les catégories favorisées ou moyennes, les élèves issus des PCS défavorisées n’y sont en moyenne que 10%, peu importe le type d’école.

La surreprésentation des étudiants très favorisés est encore plus forte dans les grandes écoles les plus sélectives. On retrouve 40% d’élèves issus des PCS moyennes ou défavorisées dans les 10% d’écoles les moins sélectives, mais seulement 15% dans les 10% les plus sélectives.

Selon le rapport de l’IPP, les chances d’accès aux grandes écoles sont très fortement déterminées par l’origine sociale des individus. Dès la classe de 3e, les élèves issus des professions et catégories sociales très favorisées ont 2,7 fois plus de chance d’accéder à une grande école que ceux des PCS favorisées, 3,9 fois plus que les enfants de PCS moyennes, et 10 fois plus de chance que les plus défavorisés. L’écart se creuse encore plus si on ne s’intéresse qu’aux écoles de commerce, IEP et ENS. Les facteurs géographiques, avec une probabilité trois fois plus élevée pour les élèves parisiens d’accéder à une grande école, et de genre sont également déterminants.

Une inégalité d’accès dès les CPGE

Mais d’après l’IPP, les inégalités d’accès se jouent en amont des grandes écoles lors de l’accession aux formations post-bac. On y retrouve le même ordre de grandeur en termes de chance d’accessibilité. Dans un autre rapport, "Attractivité et recrutement des CPGE scientifiques" daté de mai 2018, les étudiants issus de la catégorie sociale très favorisée représentaient 49,5% des effectifs des CPGE scientifiques, alors qu’ils ne sont que 30% dans les filières universitaires.

Pourtant, les dispositifs d’ouverture se sont développés depuis le début des années 2010, notamment avec le développement de CPGE dans les villes moyennes, des filières dédiées aux bacheliers technologiques ou encore la création de voies d’admission parallèles.

Mais la création de CPGE scientifiques hors des grandes villes, et donc leur augmentation, n’a pas permis de diversifier les profils. En réalité, le rapport note que deux marchés se sont créés : celui des CPGE attirant les élèves très favorisés et obtenant les meilleurs taux de réussite aux concours d’entrée aux grandes écoles, et le marché secondaire recrutant les élèves issus de familles financièrement modestes ou moyennes, obtenant rarement d’admis dans les grandes écoles.

Des voies parallèles marginalisées

Une autre tentative a lieu du côté des élèves des bac technologiques, qui ne représentent que 5,8% des effectifs des CPGE toutes filières confondues, selon les chiffres du rapport "MOBIPOP Tech & ATS" de 2019. Là aussi, l’origine sociale des lycéens explique que ceux des filières technologiques se dirigent peu vers les CPGE.

Les élèves de première et terminale technologiques sont deux fois moins souvent issus de milieux favorisés (17,7%) que les élèves de première et terminale générales (35,9%), des représentations qui se retrouvent dans les effectifs des CPGE. Ce rapport note que les enfants des catégories moyennes et défavorisées ne bénéficient pas de l’ensemble de connaissances pour s’orienter et réussir ces parcours. Les CPGE technologiques et encore plus la classe préparatoire "Adaptation technicien supérieur" pour les élèves ayant obtenu un BTS ou un DUT restent particulièrement méconnues. Elles sont pourtant une voie de la diversification sociale des CPGE et donc des grandes écoles.

Ces différents rapports indiquent ainsi que les dispositifs d’ouverture n’ont pas atteint leurs objectifs. S’il y a eu une démocratisation quantitative des grandes écoles ces dernières décennies, elle n’a pas bénéficié aux étudiants issus des professions et catégories sociales défavorisées, renforçant la surreprésentation des très favorisées dans les effectifs.


Plus de boursiers dans les écoles de la fonction publique
Annoncée en 2019, la suppression de l’ENA (École nationale d’administration) n’aura finalement pas lieu. À la place, le président de la République, Emmanuel Macron, préfère miser sur le renforcement de l’égalité des chances dans les formations de la haute fonction publique. L’objectif ? Créer, dès la rentrée prochaine, 1.700 places (contre 700 en 2020) en classes préparatoires pour les étudiants boursiers. Pour ce faire, de nouvelles "prépas talents" verront le jour (au moins deux par région), remplaçant les actuelles CPI (classe préparatoire intégrée). À l’issue, les élèves pourront passer un concours dédié, avec 10 à 15% des places offertes au concours externe dans cinq grandes écoles (Inet, ENA, EHESP, ENSP, ENAP). Dès le mois d’avril prochain, un AMI (appel à manifestation d’intérêt) sera lancé pour les établissements candidats à accueillir ces classes.

Éléonore de Vaumas, Juliette Loiseau | Publié le