Déserts médicaux : comment expliquer la pénurie de médecins dans les territoires ?

Pauline Bluteau Publié le
Déserts médicaux : comment expliquer la pénurie de médecins dans les territoires ?
Certaines zones du territoire français manquent cruellement de médecins généralistes. // ©  Tyler Olson / Adobe Stock
C'est un sujet épineux et malheureusement pas nouveau : les déserts médicaux se multiplient et les réformes des cursus en santé menées ces 20 dernières années ne semblent rien y changer. Certaines n'auraient même fait qu'aggraver la pénurie de médecins or, de toute évidence, l'enjeu - et les solutions - dépasse celui de la santé et des formations.

"Aujourd'hui, le compte n'y est pas", affirmait Emmanuel Touzé, doyen de l'UFR santé à l'université de Caen Normandie, lors du grand colloque sur la santé le 30 septembre dernier. Le constat est sans appel et déjà connu de tous : le pays manque de médecins et cela ne risque pas de se résoudre en quelques années.

Outre la génération de soignants qui part à la retraite et la baisse d'attractivité de la médecine générale, les décennies de régulation du nombre d'étudiants en médecine via le numerus clausus semblent bien responsables de la multiplication des déserts médicaux en France.

"Le numerus clausus a échoué"

"La question du nombre anime la politique de régulation depuis les années 50 avec la peur de la pléthore et de la pénurie", raconte Emmanuel Touzé. En 1971, la décision est prise de couper les vannes en mettant en place le numerus clausus pour réguler le nombre de médecins, jugés trop nombreux. Et depuis, c'est un point de non-retour qui a été signé et ce, malgré une nouvelle augmentation du quota d'étudiants en médecine depuis le début des années 2000.

"La régulation du numerus clausus a échoué, il y a eu une absence d'anticipation de la pénurie actuelle, la régulation n'a pas empêché l'accroissement des inégalités entre les territoires, il n'y a pas de réflexion sur l'évolution des carrières, pas d'incitation à investir sur des données statistiques… Cela aura des conséquences au moins jusqu'en 2030", détaille-t-il.

L'exercice médical dans les territoires sous dotés peu encouragé

Parmi les spécialités les plus touchées, la médecine générale arrive en tête. Selon les représentants des étudiants, internes en médecine générale et jeunes médecins généralistes, 83% du territoire en serait sous-doté contre 38% pour les sages-femmes, 29% pour les kinés et 16% pour les infirmiers. Mais le numerus clausus ne serait pas le seul responsable de la pénurie de médecins.

D'autres décisions sont venues couper l'herbe sous le pied des étudiants qui n'ont pas été encouragés à exercer plus tard dans les déserts médicaux. Ce devait par exemple être l'objectif du contrat d'engagement de service public (CESP) : cette allocation de 1.200 euros brut par mois en échange d'exercice en zone sous-dotée pendant au moins deux ans a été mise en place en 2009. Or, depuis 2019, les étudiants en deuxième et troisième années de médecine (premier cycle) ne sont plus autorisés à bénéficier de ce contrat.

"Cela correspond, la même année, à une baisse du nombre de candidats (de 418 CESP signés en 2017-2018, on passe à 272 en 2020-2021, deuxième et troisième cycles confondus, ndlr). Faut-il remettre le CESP dès la deuxième année de médecine ? Cela pourrait résoudre le problème de demandes dans les déserts médicaux", estimait l'ANEMF, lors de son colloque sur l'accès aux soins le 3 octobre dernier.

Tout se joue-t-il avant les études pour lutter contre les déserts médicaux ?

Du côté du gouvernement, la solution pour pallier le manque de médecins généralistes et la multiplication des déserts médicaux réside dans l'instauration d'une quatrième année de médecine générale, contre trois actuellement. Pendant leur dernière année d'internat, les docteurs juniors seraient incités à exercer dans des zones sous-denses, supervisés par des médecins généralistes… déjà absents dans ces mêmes territoires.

Une aberration pour les étudiants en médecine. Selon eux, d'autres facteurs sont à prendre en compte comme les attaches antérieures des futurs médecins, la qualité et le cadre de vie, le projet professionnel… "Ce sont autant d'arguments qui déterminent l'installation des jeunes médecins", confirme ReAGJIR (intersyndicale représentant les jeunes médecins généralistes installés).

Nicolas Lerolle, doyen de l'UFR Santé de l'université d'Angers et chargé de la mise en place de la réforme du premier cycle (supprimant la PACES et le numerus clausus depuis 2020) voit quant à lui une corrélation entre les déserts médicaux et l'emplacement géographique des facultés de santé. Le problème remonterait donc au début des études de médecine.

"Plusieurs facteurs expliquent l'installation dans une zone sous-dense : l'origine rurale de l'étudiant et le fait qu'il fasse ses études dans une zone sous-dense. Le médecin originaire d'une zone sous-dense va ensuite soigner des patients d'une zone sous-dense, augmenter le nombre d'étudiants ne marche pas", plaidait-il, études à l'appui, lors du colloque de la santé.

Des mesures incitatives et de soutien financier pour les jeunes médecins

Aujourd'hui, deux parcours de formation ont remplacé la PACES (première année commune aux études de santé), comme une réponse aux déserts médicaux. En dehors des PASS (parcours spécifique accès santé) basé sur le modèle de la PACES, les L.AS (licences avec option "accès santé") apparaissent comme une solution puisqu'elles sont parfois proposées en-dehors des facultés de médecine, donc de manière délocalisée sur d'autres campus.

Selon l'ANEMF, il faut également "aller chercher les jeunes dans les territoires où il n'y a pas de facultés de médecine à proximité" étant donné que la proximité familiale est un facteur d'influence pour le choix d'installation. "Il faut aller dans les collèges, les lycées pour lever les verrous et montrer que le système a changé", complète Nicolas Lerolle.

Le professeur Emmanuel Touzé a lui participé à la suppression du numerus clausus, remplacé par un numerus apertus. "C'est un nouveau mode de planification avec des objectifs pluriannuels. On reste dans la régulation quantitative mais l'approche est différente. Le numerus clausus ne prenait pas en compte les besoins de santé alors que les objectifs pluriannuels imposent un échange avec les acteurs régionaux pour définir les besoins à partir de l'analyse du territoire. On prend également en compte l'évolution des autres professions en santé et la capacité des formations notamment pour les stages."

Pour les associations étudiantes, des mesures incitatives et de soutien notamment au niveau financier pourraient faciliter l'installation des jeunes médecins dans les déserts médicaux. Cela pourrait concerner les transports et le logement, et ce, dès les stages en premier, deuxième et troisième cycles. Enfin, apprendre aux jeunes médecins à travailler en équipe avec d'autres professionnels de santé pour créer des pôles, partager les compétences et se libérer du temps permettrait également d'améliorer l'attractivité du métier.

Pauline Bluteau | Publié le