Écoles de commerce : ces directeurs qui se mettent en scène sur les réseaux sociaux

Cécile Peltier Publié le
Écoles de commerce : ces directeurs qui se mettent en scène sur les réseaux sociaux
Rémy Challe, le directeur de l'Inseec BS, se met en scène sur les réseaux sociaux. // ©  Capture d'écran
Des directeurs d'écoles de commerce n'hésitent pas à prendre la parole sur les réseaux sociaux. Quitte à jouer le décalage. Une communication incarnée, qui permet de fédérer la communauté et de faire rayonner la marque.

Un selfie avec un ancien, la photo d'un étudiant qui dort dans les couloirs de l'école, le retweet d'un article sur l'avenir des business schools, ou des petits mots d'encouragement aux candidats...

À côté des comptes officiels Twitter, LinkedIn ou Snapchat des business schools, souvent assez institutionnels, une poignée de directeurs n'hésitent pas à se mettre en scène sur les réseaux sociaux. Leur point commun : leur relative jeunesse, un goût pour la Toile et un sens aigu de la communication.

Personnaliser la communication

À l'heure où les écoles de management ont multiplié les formations et les campus, les réseaux sociaux sont un moyen efficace et pas cher de fédérer les communautés (élèves, anciens, entreprises…) et de faire rayonner la marque. En incarnant et en personnalisant la communication, le directeur accroît aussi son impact.

"GEM, c'est 50 programmes, une cinquantaine de sites en France et à l'étranger, et près d'une centaine de cibles de communication – élèves de prépa, proviseurs, parents, journalistes… Ma présence sur les réseaux me permet de les toucher toutes", illustre le directeur général adjoint de l'ESC grenobloise, Jean-François Fiorina

À condition d'avoir une stratégie claire : "Pour être efficace, il faut une ligne et un calendrier éditorial, avec des contenus dédiés par réseau, une alimentation régulière, une diversité des registres, et de l'humilité", complète Jean-François Fiorina, qui consacre deux heures par jour à faire vivre ses comptes Twitter, Facebook, Linkedin et Instagram.

Twitter pour la caution intello

Rendez-vous des chercheurs, des journalistes et autres scrutateurs de tendances, Twitter est, selon Jean-François Fiorina ou Stéphan Bourcieu, le DG de BSB (Burgundy School of Business), le terrain idéal pour partager des articles sur l'actualité de leur école, de l'enseignement supérieur ou de leur spécialité – la géopolitique pour le premier, le commerce extérieur pour le second. Des informations, mais aussi des réflexions plus personnelles et des interrogations. Un moyen de placer l'école sur le plan intellectuel et de la situer sur la carte mondiale.

Mais qui dit sérieux n'empêche pas de temps à autre une info légère, voire décalée : "Ce qui marche bien, ce sont des instantanés, par exemple une photo d'étudiants qui dorment dans l'école...", remarque Jean-François Fiorina. Ou cet article sur la géopolitique de la sexualité des étudiants, posté à l'occasion de la Saint-Valentin 2017.

Facebook pour la proximité avec les étudiants

Des étudiants auxquels Jean-François Fiorina, comme ses collègues, s'adresse en priorité sur Facebook, malgré sa réputation de "réseau de vieux". Leur production ? Un mélange de commentaires de l'actualité un peu plus détaillés que sur Twitter, des points de vue, des conseils de lecture, des réflexions… ou encore des infos sérieuses ou rigolotes sur la vie de l'école : "Une fois, un étudiant qui avait perdu sa doudoune dans l'école a décidé d'en faire un petit film qu'il a posté sur Facebook. Je l'ai relayé en disant 'j'espère que cela ne va pas mettre votre vie et votre scolarité en l'air'", se souvient le DGA de GEM. 

Facebook est le moyen d'instaurer un contact régulier avec des étudiants, dispersés aux quatre coins du monde. Et dont on est éloigné par la fonction : "En tant que directeur, on se doit d'être sérieux, exigeant, mais aussi, par moments, de savoir endosser les codes des étudiants et de faire preuve d'un peu de dérision", estime Stéphan Bourcieu, qui raconte comment, récemment, il a bravé sa peur du vide pour escalader une grue située dans la cour de l'école. 

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Une performance immortalisée par un selfie, posté illico sur Facebook et qui a suscité pas moins de 600 likes. Délire mégalo ? "Non, mon job consiste à travailler sur Excel, à rencontrer des grands patrons, mais aussi à humaniser la communication en dévoilant un peu les coulisses de l'école, se défend l'intéressé. Là, grâce à ma fonction, j'assouvis la curiosité des étudiants et je montre à la communauté que les travaux avancent et que l'école bouge."

LinkedIn pour fédérer les alumni et les DRH

LinkedIn, prisé des anciens et des DRH, qui constituent autant d'employeurs potentiels, mais aussi de plus en plus des étudiants, est, d'avis de directeurs connectés, un "must" pour fédérer la communauté. Le ton sur ce réseau est en général plus "pro", l'information plus dense que sur Facebook ou Twitter, d'où sont repris et adaptés certains posts, ce qui n'exclut pas un certain décalage, comme l'aiment les réseaux. 

Rémy Challe, le jeune directeur de l'Inseec BS, qui en a fait son canal privilégié, mêle allègrement "posts" institutionnels – portrait du nouveau PDG de Toyota, un ancien Inseec – et des clins d'œil à des étudiants ou des anciens, comme cette photo d'un lapin rose posté à Pâques, assorti du commentaire : "Même pour faire des photocopies, c'est la dernière fois que je recrute un stagiaire à Pâques."

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Jouer le décalage pour faire de l'audience

En trois ans, Rémy Challe est parvenu à structurer une communauté qui comprend 7.500 contacts, "la moitié environ d'alumni", des étudiants et des pros. "Aujourd'hui, ces trois communautés réagissent très bien et surtout interagissent ! Quand un post fait en moyenne 10 'J'aime' sur LinkedIn, j'arrive à atteindre régulièrement plusieurs centaines de 'J'aime'", se félicite le directeur.

En témoignent les 95.737 vues, 50 commentaires et quelque 1.774 "J'aime" du lapin de Pâques, les 34.384 vues et 389 "J'aime" du selfie pris avec la Junior Entreprise de l'Inseec Bordeaux. "Le record, c'est 150.000 consultations avec la photo d'un des murs de l'école décoré par un artiste à l'effigie des grandes figures du 20e siècle", précise-t-il.

Ces posts, rédigés en quelques minutes "rapportent plus que du sponsoring sur Facebook", assure-t-il. Les retombées, qu’il s’agisse de stages, d’alternance, de relations entreprises sont importantes. Son message sur le nouveau PDG de Toyota lui a déjà valu un déjeuner, et sans doute bientôt des projets en commun, ajoute le directeur.

Quant aux étudiants de la Junior Entreprise de l’Inseec Bordeaux, ils se sont vu proposer des stages après la publication de leur photo.

Snapchat, le réseau préféré des étudiants

Depuis un an, Rémy Challe a adopté Snapchat, le chouchou des étudiants : "Lors des derniers oraux, tous les candidats y étaient, c'est super ! Le format offre une vraie liberté et permet des choses qu’on ne ferait pas sur Linkedin !", commente-t-il.

Bombardé de flocons de neige à son bureau, en train de jongler avec des bouteilles d’eau en salle de réunion ou de croiser un lapin rose dans les couloirs  : l'air de rien, une fois par semaine, le quadra au costume cintré se met en scène discrètement à l'école dans des vidéos foldingues.

Ces pastilles, rigoureusement pensées pour Snapchat, font des cartons auprès des étudiants. Avec la certitude que, dans tous les cas, au bout de 24 heures, sur Snapchat, la vidéo s’autodétruira.

"Je ne suis pas un acteur de cinéma"

Mais ce parti pris, franchement décalé, est loin d'être la norme. Eloïc Peyrache, directeur délégué d’HEC, joue régulièrement dans des films étudiants, diffusés sur Youtube, mais dans certaines limites. "Ma présence dans les films doit rester anecdotique. Je ne suis pas un acteur de cinéma. Si je veux me mettre en scène, j’écris un papier. Ma légitimité, c’est sur le management d’une institution", insiste le jeune directeur, qui, à son arrivée en 2008, a accepté d'apparaître dans ce qui fut l’un des premiers lipdubs de l’histoire de l’enseignement supérieur, diffusés sur Youtube.

Depuis, les directeurs généraux Bernard Ramanantsoa et aujourd'hui Peter Todd se sont prêtés au jeu, notamment, pour le film de diplômation. Pour autant, l’exercice reste toujours périlleux : "On peut être décalé mais à condition d’être excellent, la frontière avec le pathétique est ténue", insiste Eloïc Peyrache.

Habitué aux premires rôles des films réalisés à l'occasion de l'accueil des admissibles – entraîneur de rugby dans le film Hakademy en 2015, chef d’orchestre dans Business Calling en 2016 –, Stéphan Bourcieu a poliment refusé en 2017 celui du sergent Hartman dans le remake de la scène culte de "Full Metal Jacket", tournée par la team admissible. 

"Les étudiants souhaitaient que je participe, mais plusieurs membres du personnel m’ont dit : 'Vous passez déjà pour quelqu’un d’exigeant, si vous jouez ce rôle, pour qui allez-vous passer ?'" Décalé, donc, mais pas trop... Un directeur reste un directeur.

Cécile Peltier | Publié le