Universités : la politique de site privilégiée


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Après l’éclatement des années 1960, l’heure du rassemblement des universités est venue. Dans les projets en tout cas. De l’université fédérale à la fusion, en passant par l’université unique, pas une région n’échappe à la question.

Trois ensembles ont sauté le pas de la fusion : l’université de Strasbourg, la pionnière (au 1er janvier 2009), et l’université d’Aix-Marseille (1er janvier 2012) ont fusionné leurs trois universités, prenant le statut d’université classique (EPCSCP – établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel) ; l’université de Lorraine, née le 1er janvier 2012, réunissant les deux universités nancéennes, celle de Metz et l’INPL (Institut national polytechnique de Lorraine), est un grand établissement.

“Le mot fusion reste un facteur urticant dans le milieu universitaire”

Une multitude de projets en cours. Les projets de fusion sont également très nombreux, à des stades plus ou moins avancés : Bordeaux, Toulouse, Lille, Montpellier, Grenoble, Sorbonne Université, Sorbonne Paris Cité… Certains utilisant le terme “fusion”, d’autres préférant envisager la création d’une “université unique”.

La prudence est en effet de mise. “Le mot fusion reste un facteur urticant dans le milieu universitaire, sourit un président d’établissement, par peur de perdre son identité.” Car les scientifiques le savent bien : la fusion de la matière consiste à passer de l’état solide à l’état liquide, avec la perte des composantes initiales. Malgré ces craintes, pourquoi sont-ils si nombreux à faire de tels projets ?

Pourquoi ?

Incontournable Idex. L’Initiative d’excellence, qui a mis en compétition les grands ensembles universitaires français, a joué un rôle considérable dans cette volonté de restructuration des pôles universitaires. Si plusieurs de ces projets existaient avant l’appel d’offres de 7.7 milliards d’euros – notamment les trois fusions qui ont eu lieu -, d’autres ont vécu l’Idex comme un déclencheur, ou un accélérateur. “Nous avons clairement senti que le souhait des rédacteurs de l’Idex et les attentes du jury de sélection nous menaient à la fusion”, explique Frédéric Dardel, président de l’université Paris 5-Descartes, engagée dans Sorbonne-Paris-Cité.

“Seuls les établissements pluridisciplinaires auront leur place au niveau international” Farid Ouabdesselam

Jouer la carte pluridisciplinaire. Autre ressort-clé des fusions universitaires : la volonté de réunir les disciplines au sein d’un même établissement, suivant par là le modèle international des universités – auquel adhère le jury international de l’Idex. “Dans le futur, seuls les établissements pluridisciplinaires, comme le sont les grandes universités de rang mondial, auront leur place au niveau international, estime Farid Ouabdesselam, administrateur provisoire de Grenoble 1 et du PRES (pôle de recherche et d’enseignement supérieur) Université de Grenoble. C’est en faisant émerger de tels ensembles que l’enseignement supérieur français continuera à attirer les jeunes du monde entier.” Le président de la scientifique Paris 5 se réjouit aussi pour ses enseignants : grâce à la fusion, ses enseignants-chercheurs de langues, par exemple, pourront faire leurs recherches dans les réputés laboratoires de Paris 3.

Rendre l’offre de formation lisible et cohérente. “Entre nos trois universités d’Aix-Marseille, nous avions des domaines de formation identiques, principalement les sciences, mais aussi l’économie. Cela créait plus de compétition que d’addition, et diminuait fortement notre lisibilité pour les étudiants et à l’international”, explique Yvon Berland, président de l’université unique d’Aix-Marseille.

Recentrer l'offre. Un souhait de supprimer les redondances que partage son homologue de l’université Paris Diderot. “Il y a certaines filières où nous sommes meilleurs, par exemple la génétique, l’immunologie ou encore la rhumatologie. La fusion nous permettra de nous concentrer sur ces filières, auxquelles l’ensemble des étudiants de la future université auront accès”, prévoit-il.

Avec qui ?

La stratégie des universités qui souhaitent fusionner est claire : il s’agit d’une politique de site, où chacun s’allie avec ses voisins, principalement les autres universités. Les PRES ont souvent joué le rôle de première marche vers ces projets. La fusion avec les écoles est plus rare : la fusion lorraine compte en son sein les écoles de l’INPL, les projets grenoblois ou bordelais intègrent également des écoles comme Sciences po ou les instituts polytechniques.

Plusieurs sites ont quant à eux échoué à réunir l’ensemble des universités. Montpellier et Bordeaux prévoient ainsi, pour l’instant, de fusionner sans leur université de sciences humaines et sociales (Montpellier 3 ou Bordeaux 3 ). Des cas qui mettent en avant la difficulté des universités de sciences humaines à trouver leur place dans ces grands ensembles.

Exception : la région parisienne, où les voisins sont nombreux (17 universités franciliennes). Les projets de fusion partent tous des PRES, précisément ceux qui constituent des regroupements pluridisciplinaires : Sorbonne Université et Sorbonne Paris Cité. Les pôles axés sur une grande discipline et qui allient fortement écoles et universités, comme HéSam, pour les sciences humaines et sociales, ou Saclay, pour les sciences dures, n’ont pas prévu de fusionner, tout comme PSL (Paris Sciences et Lettres), dont le format est particulier (une université “grand établissement” avec des grandes écoles).

Les difficultés

Première difficulté de ces fusions : convaincre la communauté universitaire, où la coopération entre chercheurs n’efface pas la compétition entre établissements. “Il faut du temps pour expliquer et emporter l’adhésion. Souvent, le changement est accepté à condition que rien ne change pour soi”, explique Yvon Berland, qui défend le projet de fusion à Aix-Marseille depuis 2004.

“Nos scientifiques vont avoir les financements des Labex, et donc ressentir assez vite les bénéfices du rapprochement” Frédéric Dardel

Reste ensuite à marier – réellement – les différentes cultures universitaires des établissements fusionnés. “Même si nous sommes très proches, nos services ont des manières de fonctionner différentes”, explique Yvon Berland, qui reconnaît qu’il faudra encore au moins dix-huit mois pour terminer le rapprochement.

Fusionner trop vite pourrait provoquer l’explosion des regroupements, craignent certains responsables. “L’aspect management est essentiel, confirme Frédéric Dardel (Sorbonne Paris Cité). Nos scientifiques vont avoir les financements des Labex, et donc ressentir assez vite les bénéfices du rapprochement. Cela sera plus complexe pour les personnels administratifs. D’autant qu’il y aura forcément des questions qui fâchent : au lieu de huit directeurs financiers, il n’y en aura plus qu’un, par exemple. Pour y arriver, il faut associer très étroitement les personnels à la conduite du changement.”

Lyon, ou la gestion de la complexité

Près d’une vingtaine d’établissements, et quatre tutelles ministérielles différentes… Avec cette richesse et cette complexité, les Lyonnais ont choisi de ne pas aller vers la fusion. “Avec une ENS, une INSA, les Mines, Centrale, un Institut catholique… la fusion n’a pas de sens sur notre site. Nous ne voulons pas créer une pépite en regroupant au centre juste deux ou trois établissements, car notre stratégie est collective. Nous avons en revanche le projet d’une véritable restructuration”, explique Jean-Michel Jolion, délégué général du PRES de Lyon.
Un choix qui n’a pas convaincu le jury international de l’Idex, qui n’a pas retenu le site lyonnais, notant comme seule observation négative que le processus de transformation n’était pas assez convaincant.

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Camille Stromboni
Mars 2012


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