Education/Recherche : la féminisation s’arrête là où commencent les responsabilités

Grégory Danel Publié le
Chaque année, autour du 8 mars, journée de la femme, c’est la même chose. La même litanie de chiffres qui illustrent ces sempiternels constats : les femmes sont peu représentées à l’Assemblée nationale (12%), l’écart salarial entre le salaire médian des cadres hommes et celui des femmes (17%) est toujours aussi important, le nombre de femmes à la tête de grands groupes français est si peu élevé (solitude d’Anne Lauvergeon...), etc. Des reproches que l’on ne penserait guère à adresser au monde de l’éducation, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Un univers fortement féminisé. Pourtant à y regarder de plus près…

A l’occasion de la journée de la femme prévue le 8 mars 2008, le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche se mobilise et organise l’opération « Osons les ‘métiers d’homme’ » : des rencontres interactives avec une dizaine de femmes au parcours professionnel « atypique ». L’atypisme de ces métiers retient l’attention. Faut-il que la société soit à ce point bloquée et misogyne pour que les métiers de géologue-géotechnicienne, de directrice d'un hypermarché ou d’ingénieur soient considérés comme atypiques pour des femmes !  

Si le ministère de l’Enseignement supérieur a choisi exclusivement des exemples provenant d’entreprises privées, il n’est pas certain que l’ajout de quelques jolis parcours de femmes dans le secteur public ait rendu l’opération moins « atypique ». En particulier pour ce qui relève du secteur public de l’éducation, de l’enseignement supérieur et de la recherche.  

Minoritaires dans le supérieur

La féminisation des personnels des ministères de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche n’est certes plus à démontrer. Les femmes représentent 64,7% des effectifs du secteur public de l’enseignement. Elles sont ultramajoritaires dans le premier degré (80,7% en 2007), majoritaires dans le second degré (57,3%) et leur nombre ne cesse de progresser dans le supérieur où elles restent toutefois minoritaires (35,6%).  

Ce tableau statistique cache cependant de profondes disparités entre hommes et femmes et la persistance d’importants écarts dans les progressions de carrière. Ainsi dans l’Education nationale, cinq fois plus de femmes que d’hommes exercent à temps partiel et l’indice moyen de rémunération féminin ne représente que 86,5% de l’indice moyen masculin, selon les dernières données de la DEPP (direction de l’évaluation de la prospective et de la performance). Elles sont également moins nombreuses à occuper des fonctions de personnel de direction. Parfois célibataire, souvent second revenu d’un ménage dans lequel leur conjoint masculin est plutôt mieux diplômé et rémunéré, les enseignantes manifestent une « relative adaptation à leur métier par une faible ambition », avance l’historien de l’éducation, Antoine Prost, pour expliquer le différentiel des rémunérations à l’intérieur du monde enseignant entre hommes et femmes.

Les femmes ne sont pas dans les réseaux de collaboration scientifique

Selon M. Prost, l’explication vaut également pour la faible part des femmes dans l’enseignement supérieur : 35%. Très peu nombreuses dans le corps des professeurs des universités (18%), elles sont proportionnellement deux fois plus nombreuses parmi les maîtres de conférences.  

Comment expliquer cette nouvelle disparité à mesure que l’on progresse dans la « hiérarchie » enseignante du supérieur ? Dans un récent article intitulé « la résistible ascension des femmes dans le monde académique : le cas des universités françaises », Séverine Louvel de l’université Pierre Mendès France de Grenoble avançait deux raisons. Premièrement le rôle déterminant des premières années de carrière souvent parasitées pour les femmes par le poids des charges domestiques, familiales et le souci d’éviter une mobilité géographique. Deuxièmement la présence des femmes dans les réseaux de collaboration scientifique. « On peut se demander si les femmes maîtres de conférences sont autant poussées, encouragées, et soutenues que leurs collègues masculins au moment de leur carrière où se pose la question du passage au professeur et si elles ont un accès identique aux réseaux qui permettent de préparer les candidatures. » Selon l’auteure,  il conviendrait de renforcer le coaching ou du mentoring comme cela se pratique en entreprises pour « booster » les carrières des femmes. 

Féminisation des instances de concours et de promotion

Séverine Louvel estime en revanche que la nature et les modalités des recrutements à l’université, commissions ou jurys, n’est pas en cause. Une analyse que ne partage pas Christine Fauré dans son travail mené en  2005/2006 sur « Les femmes dans la recherche publique » . Pour cette directrice de recherche au CNRS, « les femmes sont absentes dans les hauts grades de la recherche et de l'enseignement supérieur. Leur présence se tient dans une moyenne entre 12 % et 14 % pour les premières classes et entre 8 % et 12 % pour les classes exceptionnelles. » Selon la chercheure, l'appartenance aux disciplines demeure « cruciale » car certaines disciplines sont « presque totalement masculinisées », les mathématiques, par exemple. Parce qu’un « jury presque totalement masculin promeut rarement des femmes », elle recommandait donc une féminisation des instances de concours et de promotion. « En plafonnant les carrières, la recherche publique se prive de talents et d'un grand nombre d'initiatives – "de forces créatrices" », ajoutait-elle.  

Enseignement, recherche, les différences hommes/femmes sont patentes au fur et à mesure de la « montée » dans la carrière. Mais que dire, enfin, de la part des femmes dans la hiérarchie administrative du monde éducatif! Un petit tour sur notre trombinoscope des 500 suffit à répondre aux éventuelles interrogations. Les femmes y sont une denrée rare. Catherine Bréchignac (CNRS), Marion Guillou (INRA), Anne Stefanini (CCIP), Monique Canto-Sperber (ENS) ou Simone Bonnafous (Paris 12) sont les arbres qui cachent…le désert.  

Ainsi sur les 105 membres de la CPU (conférence des présidents d’université), 12 sont des femmes. Seules 5 femmes sont rectrices sur 30. Et quant aux directions centrales des ministères de l’Education et de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, hormis la direction de l’encadrement, l’ensemble des postes sont occupés par des hommes.  

Valérie Pécresse, elle, pourrait faire bientôt une place au galant Claude Allègre annoncé pour mener à bien la réforme de la Recherche. Est-ce à dire qu'on ne la considère pas comme « l’homme de la situation »?

Grégory Danel | Publié le