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Entre fermetures et coupes budgétaires, quelles écoles d'art sont en danger ?

Amandine Sanial Publié le
Entre fermetures et coupes budgétaires, quelles écoles d'art sont en danger ?
L'école supérieure d'art et de design de Valenciennes fermera ses portes à la fin de l'année scolaire. // ©  photo fournie par l'établissement
Alors que l'École supérieure d'art et de design de Valenciennes s'apprête à fermer ses portes, de nombreuses écoles d'art sont menacées ou subissent des restrictions budgétaires importantes. Des restructurations qui mettent en péril l'avenir des écoles et de la création artistique.

"Comment bien fermer une école d'art ?" De sa situation, l'Esad (École supérieure d'art et de design) de Valenciennes préfère en rire et en a fait un projet artistique qui rendra compte des derniers mois de vie de l'école avant sa fermeture définitive à la fin de l'année universitaire.

D'autres écoles d'art pourraient lui emboîter le pas : en mars dernier, Rachida Dati, ministre de la Culture, annonçait qu'elle envisageait de fermer "certaines écoles" d'art territoriales, "qui sont en situation de crise, malgré l'engagement confirmé de l'État".

L'EMA de Chalon-sur-Saône fragilisée par la perte d'accréditation

Outre Valenciennes, l'EMA (École media art) de Chalon-sur-Saône est, elle aussi, dans une situation fragile : en novembre 2023, les ministères de la Culture et de l'Enseignement supérieur ont informé l'école de la perte de son accréditation à délivrer le diplôme national d'art. Une décision qui l'empêche de figurer sur la plateforme Parcoursup et de procéder à de nouveaux recrutements d'élèves.

Pour autant, la fermeture de l'école "n'est absolument pas à l'ordre du jour", selon la direction de l'école. Aujourd'hui, un espoir renaît : le 13 février, l'école a annoncé s'associer au Conservatoire national des Arts et Métiers pour créer un nouveau master "Art, contextes, techniques, usages" qui devrait ouvrir en septembre. 

Des écoles en grave crise financière

Outre les menaces de fermeture, de nombreuses écoles d'art font face à des difficultés financières croissantes. À Saint-Étienne, la gestion budgétaire de l'EPCC, qui réunit la Cité du design et l'Esadse (École supérieure d'art et design de Saint-Étienne), est depuis plusieurs années mise en cause.

Au déficit de 1,4 million d'euros découvert à la Cité du Design et comblé par la métropole, s'ajoute la condamnation de son ex-président et ancien secrétaire d'État chargé de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, Thierry Mandon à un an de prison avec sursis pour fausses factures et remboursements frauduleux.

Face à ces difficultés économiques, une restructuration est engagée. Fin 2024, la suppression de huit postes est annoncée, avant un rétropédalage. Finalement, seuls cinq postes seraient supprimés à la Cité du design, les trois postes de l'école étant conservés. Pour la direction de l'Esadse, il n'y a donc "pas de sujet".

Les élèves s'inquiètent malgré tout d'une suppression du master art. "On sait très bien que la stratégie de l'État est de sectoriser les disciplines : design à Saint-Etienne, art à Lyon, graphisme à Valence…", explique Thomas Goumarre, étudiant à l'Esadse et membre du CA de l'école. Sur ce point, l'école affirme qu'aucune suppression du master n'est prévue. "Il n'est pas question qu'on abandonne l'art à Saint-Etienne. Au contraire, nous sommes en discussion avec les élèves et les équipes enseignantes pour créer un nouveau master", affirme Magali Coué, directrice stratégique de l'école.

Un impact sur l'offre de formation

L'Ensba (École nationale supérieure des Beaux-arts) de Lyon traverse également une crise financière importante depuis que la région s'est désengagée de son financement, créant un trou dans le budget, qui n'est pas complété par la mairie et l'État.

Cette crise a contraint l'école à suspendre son master de design graphique cette année, avec pour conséquence la suppression d'au moins trois postes, en plus de vacataires. Après un an et demi de direction par intérim, l'arrivée d'un nouveau directeur, Morgan Labar, semble avoir amélioré le dialogue social et laisse présager un retour de ce master.

"À la rentrée, on nous a annoncé que le master allait finalement rouvrir en octobre prochain, mais sans recruter les postes supprimés", témoigne Camille Pageard, enseignant à l'Ensba. Une restructuration qui intervient dans un contexte d'instabilité au sein de l'école : en trois ans, l'équipe a été totalement renouvelée.

L'augmentation des frais d'inscription

La région Pays de la Loire a, elle aussi, fermé les vannes. Dans son budget 2025, elle prévoit 82 millions d'euros d'économies, dont deux tiers de moins pour la culture.

"Cette suspension des subventions a surtout un impact sur nos partenaires, avec une incidence directe sur nos étudiants, car les partenariats mis en place pour leur professionnalisation vont être supprimés", explique Sandrine Jousseaume, enseignante à TALM (École supérieure d'art et de design - Tours Angers Le Mans) et représentante du Snéad (syndicat national des écoles d'art et de design).

À cela s'ajoute une hausse des frais d'inscription prévue sur trois ans, passant de 900 à 1.000 euros pour les non-boursiers. Pour autant, la situation à TALM semble moins critique qu'ailleurs, grâce aux métropoles qui compensent de façon systématique le déficit de l'école multisites (Tours, Angers, Le Mans), qui s'élevait à 235.000 euros en 2024.

À l'EESAB (École européenne supérieure d'art de Bretagne), professeurs et étudiants alertent depuis près de trois ans sur les coupes budgétaires. Ces craintes ont été confirmées par l'augmentation des droits d'inscription, en hausse de 4% en avril 2024 et relevés de nouveau de 4% pour la rentrée prochaine.

"Le gouvernement fait le choix politique de ne pas soutenir l'éducation. Mais on ne peut pas faire reposer ce choix sur les étudiants", estime Edouard Edy, étudiant en 5e année aux Beaux-Arts sur le site de Lorient et par ailleurs élu au CA de l'école.

"On demande aux étudiants de compenser le dégel de nos salaires. Ça nécessiterait une révolte", s'énerve Aleksandra Ruszkiewicz, déléguée syndicale Snéad-CGT à l'EESAB. Le Snéad dénonce par ailleurs le gel de neuf postes, donc cinq enseignants depuis 2022.

Des postes menacés

D'autres écoles semblent être dans l'attente depuis le départ de leur direction : c'est le cas de l'EESI Angoulême-Poitiers, où les tensions s'accumulent depuis cinq ans. Depuis le départ du directeur l'été dernier, une direction par intérim assure la gestion de l'école, laissant les étudiants d'Angoulême sans réponse quant à leur crainte d'une éventuelle réorientation de l'option art vers la bande dessinée.

Plus largement, de nombreuses écoles s'inquiètent du non-renouvellement, voire de la suppression de postes de professeurs. "Ces stratégies d'économie frôlent l'illégalité : on licencie des professeurs en poste depuis des années. Chacun craint pour son emploi et beaucoup se taisent", alerte Florian Gaité, co-secrétaire national du Snéad-CGT.

À travers un Carnaval des luttes à Angoulême, en Bretagne à coups de casseroles pendant le CA et en occupant les locaux à Rennes, les étudiants n'ont eux, pas fini de faire entendre leur voix.

Amandine Sanial | Publié le