Espé : en progrès, mais peut mieux faire

Isabelle Dautresme - Mis à jour le
Espé : en progrès, mais peut mieux faire
L'Espé de Clermont est la première école du professorat à avoir décroché la certification initiale ISO 9001 en juin 2015. // ©  Isabelle Dautresme
Alors que la première génération d’enseignants formés dans les Espé fait sa rentrée en septembre 2015, les écoles du professorat se trouvent au milieu du gué deux ans après leur création. Si des progrès sensibles ont été réalisés, notamment sur la professionnalisation, ils restent fragiles et variables d’une académie à l’autre. Illustration avec l’Espé de Clermont-Auvergne, partie avec une longueur d’avance, et celle de Versailles, qui peine à trouver sa vitesse de croisière.

Quoi de commun entre l’Espé de Versailles et celle de Clermont ? A priori peu de chose. L’une, la plus grosse de France avec ses 5.500 étudiants, intervient sur cinq universités et trois Comue (communautés d’universités et d’établissements). L’autre, la Clermontoise, compte à peine 1.500 étudiants et seulement deux universités. Et quand l’école versaillaise est encore, deux ans après sa création, empêtrée dans des problèmes de gouvernance, l’Espé auvergnate décroche une certification ISO 9001. Les deux écoles n’ont clairement pas le même jeu en main. Pourtant, sur un certain nombre de questions, comme celles de la culture commune ou des moyens, leurs positions ne sont pas si éloignées.

La délicate question de la gouvernance  

Certification ISO pour Clermont…

"Pour fonctionner correctement, l’Espé doit être dirigée par une équipe de choc !" lâche Didier Jourdan, directeur de l’Espé Clermont-Auvergne. Ce dernier n’a d’ailleurs pas hésité à s’entourer d’une directrice administrative, "à la carrure d’un secrétaire général", et de trois directeurs adjoints, avant d’engager son école dans une "démarche qualité" en vue d’obtenir le label ISO 9001. "Chaque service a dû réfléchir à son organisation, ses difficultés mais aussi à ce qui fonctionne bien", détaille le directeur.

Dix-huit mois plus tard, l’Espé de Clermont a décroché la certification initiale, même si elle est jugée encore "immature". C’est surtout du côté de la scolarité et de l’accueil des étudiants que la marge de progrès est importante. "Nous avons un an pour nous améliorer", précise le directeur. Une nouvelle évaluation sera en effet effectuée en juin 2016. Pour l’heure, Clermont est la seule école du professorat à avoir obtenu la certification ISO, mais plusieurs directeurs d’Espé envisagent de se lancer dans cette démarche.

 …Quand Versailles cherche directeur désespérément

Pas celui de l’Espé de Versailles. Près de deux ans après sa première rentrée, l’école du professorat de la plus grosse académie de France a épuisé trois directeurs et est toujours à la recherche de celui qui en prendra la tête et parviendra à s’imposer face aux cinq présidents d’université. L’explication de ce difficile pilotage politique remonte à la réforme de la mastérisation en 2008.

"Les autres académies ont opté souvent pour un Yalta pédagogique : à l’ex-IUFM, la formation des professeurs des écoles et éventuellement la gestion des fonctionnaires stagiaires, et aux universités la préparation aux concours. À Versailles, au contraire, les universités se sont emparées très tôt des questions pédagogiques en montant des masters d’enseignement", fait remarquer François Germinet, président de l’université de Cergy et "directeur par intérim" de l’école avec les quatre autres présidents. Des masters, notamment pour le premier degré, que les universités comptent bien garder en leur sein.

De quoi provoquer de fortes tensions, notamment avec l’ex-IUFM, rebaptisé IE (institut d’éducation). Aujourd’hui, l’IE bénéficie d’un statut un peu particulier : celui de composante de l’université de Cergy au même titre que l’Espé. François Germinet a pour mission de l’intégrer à l’école avant décembre 2015. Mais, là encore, le chantier s’annonce difficile tant un consensus peine à émerger.  

"Les choses vont dans le bon sens, les universités travaillent ensemble désormais", tempère un membre du conseil d’école. Pour la première fois, à la rentrée 2016, les affectations des fonctionnaires stagiaires tiendront compte des lieux de stage et des capacités d’accueil de chacune des universités. "Un vrai pas en avant !" se réjouit-il.

L’Espé doit être dirigée par une équipe de choc !
(D. Jourdan)

Disciplinaire versus professionnel : l’heure de la trêve

Des mondes qui se rapprochent à Versailles…

Alors qu’il y a encore un an, les formateurs versaillais avaient du mal à imposer leur point de vue à des universitaires convaincus que la dimension disciplinaire devait l’emporter dans la formation des enseignants, "ce n’est plus le cas aujourd’hui", affirme Thierry Fourmond, formateur d’histoire-géographie. François Germinet avance une explication : "C’est grâce aux conseils de perfectionnement. Au contact des membres du rectorat, les universitaires ont pris conscience de la dimension métier de la formation."

En attestent les nouvelles maquettes Meef (master des métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation). Travaillées en concertation, elles ont été votées à l’unanimité en juillet 2015, à l'exception de celle de physique-chimie. "Et leur dimension didactique est loin d’être négligeable", se félicite Thierry Fourmond.

Autre signe de rapprochement : les étudiants de M1 admissibles aux concours ont la possibilité de passer des oraux devant des jurys mixtes, composés d’universitaires et de personnels de terrain. "Tout un symbole", commente le formateur.

Le site de Saint-Germain-en-Laye de l'Espé de Versailles.

…Un travail en commun à Clermont

À Clermont, même si les dissensions n’étaient pas aussi fortes qu’à Versailles, un nouveau pas a été franchi dans le rapprochement entre personnels de terrain et universitaires, en septembre 2015, avec l’élaboration d’un livret d’accueil et la mise en place d’un dispositif commun – au rectorat, aux universités et à l’Espé – à destination des étudiants de master Meef.

Difficile de parler de l’émergence d’une réelle culture commune. "Si le rapprochement entre universitaires, rectorat et Espé se fait plutôt bien au niveau de quelques cadres – ceux participant aux conseils de perfectionnement – il reste à l’étendre aux autres. Et là, la partie n’est pas gagnée", analyse son directeur Didier Jourdan.

Sur le terrain, en effet, la cohérence ne saute pas aux yeux. En témoigne Marion, un M2 premier degré tout frais en poche : "Pendant mon stage, le formateur Espé et mon conseiller pédagogique me tenaient des discours contradictoires". "Pour faire converger les points de vue, il faudrait multiplier les réunions, mais les moyens manquent", déplore Annie Llombart, directrice adjointe chargée des diplômes et des partenariats.

 La course aux moyens

Des visites de stagiaires insuffisantes à Versailles…

À Versailles, le manque de moyens s’est traduit par une baisse du volume horaire des maquettes. À la rentrée 2015, par exemple, les professeurs des écoles auront 39 heures de formation de moins qu’en 2014 sur les 909 heures que compte le programme. Ils auront également moins de concours blancs, moins de colles. "L’arbitrage s’est fait de façon consensuelle", précise un membre du conseil d’école. Mais l’équilibre est fragile et la trêve pourrait voler en éclat s’il fallait de nouveau se serrer la ceinture : faute d'accord, la maquette de physique-chimie n’a pas été votée.

Autre conséquence du manque de moyens : des visites de fonctionnaires stagiaires limitées aux seuls M2 Meef lauréats du concours, soit les parcours classiques (moins de la moitié des stagiaires). "Nous n’avons pas pu visiter les stagiaires déjà titulaires d'un master Meef ou de recherche", regrette Thierry Fourmond. D’où le sentiment de nombreux étudiants de ne pas être assez accompagnés au cours de leur stage. À l’instar de Maxime, reçu au Capes après avoir décroché un master de recherche : "mon conseiller pédagogique était très peu disponible, je me suis senti très seul et un peu perdu".

... Une gestion des ressources humaines difficile à Clermont

La question des moyens se pose également à Clermont, mais en d’autres termes. Ce qui inquiète le plus Didier Jourdan, c’est le gel de la campagne des emplois. "Je ne parviens pas à renouveler les personnes. Or, les ressources humaines sont les clés de la réussite. Certains personnels ont besoin d’être remplacés par d’autres qui ont un ancrage dans la recherche ou sur le terrain", déplore-t-il. Ce qui est en cause, ce n’est pas tant le nombre de postes mais la mobilité du personnel, "pourtant indispensable pour ajuster les profils aux besoins".

Quant aux équipes, elles sont épuisées. "Nous avons besoin de stabilité et de temps, ne serait-ce que pour former les formateurs, rappelle Annie Llombart. Nous ne pouvons pas créer un diplôme à chaque fois qu’un nouveau profil d’étudiants se présente."

Au final, à Versailles comme à Clermont, tout le monde s’accorde à dire que les enseignants qui feront leur rentrée en 2015 "sont outillés" pour faire face à leur classe. Mais les questions en suspens restent encore nombreuses : trouver un stage et un tuteur à des fonctionnaires stagiaires plus nombreux, renforcer la lisibilité des formations, lancer le chantier à peine amorcé de la formation continue et accorder une place plus importante à la recherche... Tout cela dans un contexte de rigueur budgétaire. Le défi est de taille. Quant à savoir si ces écoles préparent bien les enseignants de demain, François Germinet fixe l'échéance : “on ne le saura réellement qu’avec les résultats de Pisa 2022”.

Espé : le Sénat veille
Un an après un rapport intitulé : "L’an I des Espé : un chantier structurel", publié en juin 2014, le comité sénatorial de suivi des Espé souligne, le 22 juillet 2015, les progrès réalisés par ces écoles concernant notamment la participation "de professionnels de terrain aux équipes pédagogiques des Espé". Mais ils se montrent plus réservés sur la formation continue dont ils jugent les progrès "encore trop maigres". Il en va de même de l’adossement des Espé à la recherche, qualifiée d’"insuffisante".

Concernant la question des moyens, les rapporteurs préconisent la généralisation des contrats d’objectifs et de moyens (COM) de façon à "conforter l’autonomie budgétaire des Espé au sein des universités".



 

Isabelle Dautresme | - Mis à jour le