
L'échéance se rapproche... Lancé en 2021 par Emmanuel Macron, le plan France 2030 vise à injecter 54 milliards d'euros dans l'innovation, aussi bien dans les domaines de l'intelligence artificielle que dans celui de l'hydrogène ou du nucléaire.
"Nous sommes dans une période de changement presque aussi importante que celle qu'a été la révolution industrielle, avec des changements dans les énergies, des défis démographiques et une complexité géopolitique inédite. Tout cela entraîne une transformation en profondeur de la société", explique Bruno Bonnell, à la tête du SGPI (secrétariat général pour l'investissement).
Si la plupart des regards sont tournés vers les secteurs de l'industrie, le plan prévoit aussi un large investissement dans la formation et la recherche, via le pôle Connaissance. "Après tout, les futurs métiers de demain impliquent de nouvelles formations pour la jeunesse mais aussi des formations de reconversion pour les professionnels."
300.000 places de formations ouvertes via France 2030
Plusieurs AAP (appels à projets) lancés dans le cadre du plan concernent l'éducation et l'enseignement supérieur ainsi que la recherche. En premier lieu, le dispositif Compétences et Métiers d'Avenir (CMA) où l'on compte 185 lauréats pour 1,1 milliard d'euros. L'objectif étant, à terme, de former 4 millions de personnes d'ici 2030.
Actuellement, 300.000 places de formations ont été créées grâce au plan. "Nous travaillons notamment à une carte recensant ces formations, explique Olivier Vandard, conseiller éducation au pôle Connaissance du SGPI. Dans un premier temps, cette carte sera à destination des entreprises. Mais on peut imaginer que le grand public s'en empare et qu'un jeune intéressé par un des secteurs du futur l’utilise pour s’orienter professionnellement."
Mettre en valeur la recherche universitaire
Dédié aux universités, l'appel à projets ExcellencES est centré sur la notion de signature d'établissement.
"Les 46 lauréats ont identifié une thématique avec laquelle ils avaient des affinités, pour développer un positionnement particulier, explique Nathalie Bécoulet, conseillère éducation. Cette signature colore la politique de l'établissement, notamment l'offre de formation", explique-t-elle en citant Le Havre et les questions portuaires, ou encore Nanterre qui a centré sa signature sur la vie étudiante, "dans son organisation comme dans la recherche".
Dans cette optique, "France 2030 est un outil pour la politique de ces universités", pointe Guillaume Bordry, à la tête du pôle Connaissance. Un chantier pour lequel est destinée une enveloppe de 800 millions d'euros et qui se déploie sur un temps long. "Mais cela est parfois trop long, au vu des évolution de notre société, d'où la nécessité d'évaluer les projets", souligne Bruno Bonnell.
Inclure le temps sociétal
D'autres champs sont investis, car aborder les changements de société uniquement sous l'angle de la technologie, c'est commettre "une grave erreur", estime Bruno Bonnell. "Les notions d'acceptabilité ou d'évolution du corps social sont des éléments de la transformation. Elles doivent être prises en compte, d'où l'intérêt d'impliquer les sciences humaines et sociales."
Lancé au printemps 2024, l'appel à manifestation d'intérêt "Programmes de recherche en sciences humaines et sociales" a permis de faire émerger des projets financés par une enveloppe de 56 millions d'euros. "Les six consortiums lauréats se concentrent sur des problématiques auxquelles nous sommes confrontés actuellement, tels que les civilisations et les troubles géopolitiques, la santé, les conséquences du changement climatique, la santé ou encore la démocratie", souligne Guillaume Bordry.
Des inquiétudes soulevées dans l'ESR
Parmi les acteurs de l'ESR, le plan France 2030 est accueilli diversement. "On ne peut que se réjouir que l'État débloque des fonds pour l'innovation dans nos établissements, explique le nouveau bureau de France Universités. Mais cela ne peut compenser le sous-investissement chronique que subissent nos établissements."
Comme le montre l'AAP ExcellencES, si ce plan permet aux lauréats de gagner en légitimité, la question de la pérennisation des projets financés par France 2030 demeure. "Les projets sont très intéressants mais il faut être réaliste : certaines activités sont difficiles à financer en faisant appel au mécénat", pointe Jean-François Huchet, président de l'Inalco (Institut national des langues et civilisations orientales) et vice-président de France Universités.
Le mode de sélection est également pointé du doigt. Depuis quelques années, le recours aux appels à projets ou appels à manifestation d'intérêt a pris de plus en plus de place dans l'enseignement supérieur, faisant naitre le risque d'un système d'enseignement supérieur et de la recherche à deux vitesses.
Concernant la recherche par exemple, le bureau de France Universités, indique être "vigilant à ce qu'une plus grande affirmation des choix thématiques portés par les politiques publiques n'ait pas un effet d'assèchement du soutien à la production non finalisée de nouvelles connaissances".
Un plan sur le temps long
Alors que la loi de finances 2025 a annulé 535 millions d'euros sur le périmètre de la mission "Investir pour la France de 2030", "le budget global demeure inchangé pour nous, martèle Bruno Bonnell. Les 54 milliards d'euros sont sanctuarisés : il s'agit d'un décalage dans la trésorerie des moyens. Autrement dit, les projets que ces 535 millions d'euros devaient initialement financer en 2025, notamment une deuxième vague de l'AMI SHS qui était prévue en début d'année, ne le seront qu'en 2026 ou 2027."
Pour le secrétaire général pour l'investissement, il est important que le plan France 2030 soit doté d'un budget spécifique. "Il s'agit de financer le changement et la rupture. Cela n'aurait pas eu de sens de l'ajouter au budget additionnel de chaque ministère concerné, puisque cela signifierait que l'on continue de faire comme auparavant."
Plus largement, alors que le plan France 2030 s'inscrit dans le temps long, "l'ambiance actuelle est de recentrer les politiques publiques sur des objectifs et des résultats à court terme", analyse Bruno Bonnell. "Mais nous nous battrons pour préserver ce temps long."