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Former à la transition en 1er cycle : zoom sur trois universités

Sarah Nafti Publié le
Former à la transition en 1er cycle : zoom sur trois universités
L'université de Rouen Normandie, labellisée DD&RS depuis 2020, a rendu des modules de formation obligatoires en L1 et L2. // ©  Come SITTLER/REA
Dès la rentrée 2025, toutes les formations de premier cycle devront intégrer un socle de connaissances sur la transition écologique. Dans les universités, la prise en compte des enjeux liés au climat et à la biodiversité a débuté depuis plusieurs années. Focus sur les initiatives mises en place dans trois établissements.

En 2020, CY Cergy Paris Université nommait un directeur général adjoint à la transition écologique et sociale, signe d’une volonté politique allant "au-delà de la formation avec une feuille de route portant aussi sur la recherche, la relation au territoire ou encore le fonctionnement - avec par exemple la création du Parlement étudiant", explique Ronan Hébert, vice-président en charge de la transition.

Un partenariat est établi avec le Campus de la transition, une association ayant pour mission de former pour transformer l’enseignement supérieur.

Ce travail a débuté à CY Tech, l’école d’ingénieurs de l'université, par la création d’un module de formation "Ingénieur et Transition" pour les pré-ingénieurs, des journées de formation enseignement et pédagogie mais aussi un accompagnement des enseignants.

La démarche a ensuite pu être développée auprès d’autres composantes de l’université (IUT, INSPE) sans toutefois parvenir, selon Ronan Hébert, à atteindre l’objectif "d’élargir et de le généraliser à l’ensemble des formations".

Une mise en place progressive à CY Cergy Paris université

Avec davantage d’étudiants et des niveaux de prise de conscience différents selon les UFR, l’université est sans nul doute plus difficile à transformer que les plus petites structures.

La formation aux enjeux liés à la transition se met toutefois en place en interne : une UE obligatoire sur les enjeux de la transition écologique et sociale a été lancée en janvier 2025 pour quelque 1.500 étudiants de première année, avant la généralisation via le socle commun de connaissances et de compétences à la prochaine rentrée. 

En 2024, l’engagement de CY a été récompensé par l’obtention du label DD&RS (développement durable et responsabilité sociétale).

A l'université de Rouen, un enseignement obligatoire en L1 et L2

A l’université de Rouen-Normandie, labellisée DD&RS depuis 2020, "les questions environnementales sont intégrées à la feuille de route stratégique de l’université", précise Julien Réveillon, vice-président Transitions environnementales et sociétales. L’université a créé l’institut des transitions en décembre 2022, "dans l’objectif d’avoir un outil stratégique centralisé pour mettre en place toutes les actions".

Dès la rentrée 2022, l’université instaurait 10 heures d’enseignements obligatoires en L1, pour environ 7.000 étudiants. Ces heures de sensibilisation permettent de remettre tout le monde au même niveau "car les connaissances sur le sujet dépendent beaucoup des lycées d’où viennent les étudiants". En 2024, 20h ont été ajoutées en L2 pour aborder les points qui ne l’ont pas été en 1ere année. 

Toutefois, ces heures posent des questions logistiques à régler. "En L1, nous avons utilisé les heures d’une UE transversale ou de culture générale". Les notes comptent donc dans l’obtention de la première année. En L2, en revanche, "il n’était pas possible de réduire les heures disciplinaires". L’université a choisi de proposer deux UE supplémentaires, soit 62 ECTS au lieu de 60, et ces deux UE sont obligatoires in fine pour obtenir sa licence.

Désormais l’université travaille à la mise en place de 20 heures d’activités citoyennes en troisième année, en lien avec la formation suivie. D’autres pistes sont envisagées, comme celle d’intégrer un chapitre RSE obligatoire dans le rapport de stage en entreprise.

L'université PSL dans l'expectative sur la formation obligatoire voulue par le ministère

Pierre-Yves Anglès, directeur des formations de l’université PSL (Paris Sciences et Lettres) attend encore de connaître "les détails" de la future obligation de sensibiliser les élèves de 1er cycle à la transition écologique, effective pour la rentrée 2025. "Il faut réfléchir à comment l’incarner en termes de formation, en offrant une plus-value aux étudiants, et pas juste en cochant une case avec un webinaire. Beaucoup de nos formations répondent déjà à certains enjeux".

Il y a, selon lui, "un travail de recensement" à effectuer, pour savoir ce qui est obligatoire ou non selon les cursus. L’idée n’est pas d’avoir "un cadre rigide" où tous les étudiants devraient apprendre à faire un bilan carbone. "Mais, à l'université PSL, nous avons les ressources pour proposer des enseignements pertinents et adaptés à chacun", précise-t-il.

Les étudiants sont demandeurs d’expertise concrète et non uniquement de sensibilisation (P-Y. Anglès, PSL)

L’université PSL - et ses 13 établissements composantes -, intègre les enjeux de durabilité "depuis le milieu des années 2010", époque où émergent à la fois une demande étudiante et des travaux d’enseignants-chercheurs sur la question. Se crée alors "un consensus" entre les communautés universitaires et la gouvernance pour valoriser la durabilité.

Depuis, de nombreuses initiatives ont été mises en place dans les différentes composantes. Ainsi, Dauphine-PSL dispense depuis 2020 un cours interdisciplinaire obligatoire sur les "Enjeux écologiques du 21e siècle" pour ses étudiants de L1.

Les "PSL weeks" permettent d’assister pendant une semaine à des enseignements d’une autre spécialité. Un tiers d’entre elles "concernent déjà très directement les enjeux de durabilité, dans leur acception large, c’est-à-dire celle des ODD (Objectifs de développement durable de l’ONU)", détaille Pierre-Yves Anglès. Les prochaines auront pour thèmes les rapports du Giec, l’IA durable, ou encore le changement climatique, la santé.

Les étudiants de PSL doivent aussi assister à une rentrée scientifique, dont les dernières éditions abordaient l’anthropocène, l’eau ou la ville durable.

L’important pour le directeur des formations est "de ne pas se contenter de mesures cosmétiques", mais bien de répondre à un socle de connaissances. "Les étudiants sont demandeurs d’expertise concrète et non uniquement de sensibilisation. Ils veulent acquérir des compétences spécifiques, être capable de comprendre l’impact de ChatGPT, ou les bases de l’épidémiologie."

S'adapter aux attentes des étudiants

Hervé Goux, directeur général adjoint à la transition à CY remarque que tous les étudiants n’ont pas le même niveau d’engagement : "Nous avons encore du mal à bien appréhender les attentes et nous constatons une faible participation lors des animations au regard du nombre d’étudiants".

Pour autant, le travail de sensibilisation se poursuit à l’image de la "rentrée climat", la plus grande de France auprès de tous les étudiants de première année, avec pour l’édition 2024 l’ajout "d’un parcours sur la biodiversité autour du campus ou encore d’une conférence sur la fast fashion qui a rencontré un grand succès".

La problématique budgétaire au centre des préoccupations

Reste la question importante des moyens mis en œuvre. Le MESR ne prévoit pas de budget supplémentaire pour aider les établissements à mettre en place l’obligation.

"L’université de Rouen Normandie a fait un choix stratégique, en mettant des postes", remarque Julien Réveillon. Sur certains projets, elle a pu également bénéficier de l’appui de la métropole de Rouen ou des financements de France 2030.

Côté enseignants, elle a recruté des Esas (personnels du second degré affectés dans le supérieur) pour épauler les enseignants-chercheurs. Car, au-delà des supports de cours, les enseignants sont demandeurs de conseils pratiques, notamment pour savoir comment réagir à des signes d’écoanxiété.

L'épineuse question de la formation des enseignants

Au Campus de la transition, à la fois organisme de formation et éco-lieu créé par des enseignants-chercheurs, on travaille notamment à la formation des formateurs.

Léa Eynaud, responsable des formations académiques, a mené des ateliers avec des enseignants, dont certains se sentaient "désemparés". "Beaucoup s’interrogeaient sur la légitimité de porter des questions politiques en cours. Cela implique également de repenser ses enseignements, de faire évoluer sa pédagogie".

Tom Renault, responsable de la formation de formateur a identifié des freins, notamment une "forme d’humilité" face à des sujets dont ils ne sont pas spécialistes. "Le chemin est plus ou moins long et sinueux. Mais l’important est d’arriver à avoir une approche systémique des questions de transition, qui ne se limite pas à l’énergie mais parle de justice sociale, de biodiversité, de rapport au vivant…"

Sarah Nafti | Publié le