Hcéres : la Cour des comptes relance la bataille de l'évaluation

Elsa Sabado Publié le
Hcéres : la Cour des comptes relance la bataille de l'évaluation
La Cour des comptes pointe l'augmentation des dépenses du Hcéres, qui a vu ses moyens financiers grimper de 20% depuis sa création. // ©  CHRISTIAN HARTMANN / REUTERS
Lourdeur des procédures, inflation du nombre de rapports produits, des coûts qui en découlent, innocuité des évaluations… La Cour des comptes dresse un tableau sévère du Haut conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur. Et conseille, pour rendre l'organe utile, de lier les financements des structures de recherche à leurs résultats. Une idée qui suscite depuis plus de dix ans l'opposition de la communauté universitaire.

Si la Cour des comptes mettait des notes, le Haut conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Hcéres) aurait-il seulement eu la moyenne ? La sévérité des commentaires contenus dans le référé adressé ce 4 juin au Premier ministre, fruit d'une année d'inspection de la Cour, permet d'en douter.

Réduire les lourdeurs des procédures

L'inspecteur déplore la lourdeur des procédures exigées par l'organe d'évaluation auprès "des unités de recherche déjà chargées de travaux non scientifiques", pointant par exemple les 324 rapports exigés pour l'évaluation de l'université d'Aix-Marseille. Les 5.185 rapports produits à destination du Hcéres entre 2017 et 2019, soit une moyenne de quatre à cinq rapports par jour, alerte la Cour, qui incite l'organe à "rééquilibrer leur granulométrie". Elle va jusqu'à critiquer la nature même de l'évaluation qui, au travers de normes trop rigides, donnerait "l'illusion d'un traitement égalitaire".

Pour remédier à cet éparpillement, la Cour des comptes suggère au Haut conseil de procéder à des analyses annuelles thématiques. "Nous avons publié des synthèses thématiques, bien avant la réception du rapport. En 2019, le Hcéres en a produit une sur l'archéologie, et d'autres ont été lancées en 2020 sur les mathématiques, la génétique et l'épigénétique, et enfin la virologie et l’épidémiologie", rappelle Thierry Coulhon, président du Hcéres depuis novembre 2020, qui explique également avoir déjà procédé à la réorganisation des services qu'appelait de ses vœux la Cour des comptes afin de supprimer certains doublons.

Facturer les évaluations aux universités

Les sages de la rue Cambon s'alarment aussi de l'augmentation galopante des dépenses du Hcéres, qui a vu ses moyens financiers grimper de 20% depuis sa création. Entre 2014 et 2019, les dépenses de personnel ont augmenté de 40%, et les frais de déplacement de 15%. Ces coûts reposent exclusivement sur le ministère de lʼEnseignement supérieur, de la Recherche et de lʼInnovation (Mesri), s'inquiète la Cour, qui suggère, pour remédier à la faiblesse des ressources propres du Hcéres, de facturer systématiquement les évaluations aux universités.

Il convient de sortir d’une situation dans laquelle le Haut conseil est arrivé en limite de capacité (Cour des comptes)

"Dans tous les cas, il convient de sortir d’une situation dans laquelle le Haut conseil est arrivé en limite de capacité. Les établissements vivent dans l’ignorance des coûts réels et le ministère subvient, en aveugle, aux besoins de tous. Cet objectif s’avère d’autant plus impérieux que l’acquisition de la personnalité morale, telle que décidée par la LPR, entraînera inévitablement de nombreuses dépenses nouvelles", conclut le référé.

"Il y a beaucoup d'établissements d’enseignement supérieur et de recherche. Nous avons pour mission de tous les examiner, sans exception. En revanche, nous devons tendre à une évaluation plus synthétique et plus regroupée, nous y travaillons d’ailleurs actuellement, rétorque le président du Hcéres. L'évaluation en France coûte 18 millions d'euros [selon le dernier rapport de l'observatoire des sciences et techniques NDLR], soit dix fois moins qu’en Grande-Bretagne."

Quant à l'idée de facturer aux universités le coût des évaluations évoqué par le rapport, Thierry Coulhon s'interroge : "Le ministère finance d'un côté les établissements, de l'autre, l'organe d'évaluation, et il faudrait que les établissements financent à leur tour l'organe d'évaluation ? Tout cela ne me semble ni sain ni cohérent."

Indexer les financements sur l'évaluation

La saillie du référé réside dans les paragraphes suggérant de faire découler des évaluations du Hcéres les financements des structures de l'enseignement supérieur. "Le débat semble tranché depuis la loi de programmation et de la recherche votée en décembre 2020, qui impose à l’État 'de tenir compte des résultats de l’évaluation pour déterminer les engagements financiers qu’il prend, le cas échéant, envers l’établissement dans le cadre du contrat pluriannuel'", indique le référé.

Il conseille d'instaurer "une forme de cotation des unités de recherche" qui aurait "l'avantage d'offrir des éléments de comparaison pertinents entre les entités évaluées". Et, plus loin, la petite phrase qui sent le souffre : "La part d’allocation des moyens financiers, indexée sur l’évaluation des résultats obtenus, devrait faire partie de la subvention pour charge de service public", affirme le document.

Le Haut conseil viendrait ôter des moyens de payer des salaires aux chercheurs qui ne publieraient pas assez. Cela serait une entrave à notre autonomie (Hugo Harari-Kermadec)

"On passerait un cap : le Haut conseil viendrait ôter des moyens de payer des salaires aux chercheurs qui ne publieraient pas assez. Cela serait une entrave à notre autonomie", analyse Hugo Harari-Kermadec, économiste de l'éducation à l'ENS Cachan.

La question est hautement inflammable. L'ancêtre du Hcéres, l'AERES, installée par Valérie Pécresse en 2007, avait précisément pour mission de noter les laboratoires en fonction du nombre de publications des chercheurs - et c'est de cela qu'elle est morte. "Des laboratoires avaient anticipé les évaluations, en mettant dehors certains enseignants chercheurs pas assez 'publiants', ce qui avait causé de sérieux traumas", rappelle Hugo Harari-Kermadec. "La fronde de la communauté universitaire avait été telle que lorsque François Hollande avait été élu, il avait mis en pause ce qui, dans la LRU, touchait au statut des enseignants-chercheurs", explique-t-il. C'est ainsi que l'AERES était devenue le Hcéres, à l'impact plus faible.

Le spectre de l'importation du modèle anglais

C'est exactement la plaie dans laquelle ce référé trempe sa plume. "L'énorme majorité des universitaires estime que même si ces évaluations ont un intérêt, elles n'ont pas d'utilité concrète. Le ministère lui-même est bien en peine d'expliquer comment il prend en compte ces rapports dans la contractualisation avec les établissements. Si on veut que ça serve, il faut qu'il y ait des conséquences", estime une source proche de la Cour des comptes.

Sur un fil, Thierry Coulhon tempère : "Mettre des notes serait trop simplificateur. Le Hcéres dresse un tableau, avec des points faibles et des points forts, sur la base desquels les décideurs doivent prendre leurs responsabilités".

Raisonner en termes de nombre de publications et d'impact factor est pervers, et contreproductif en termes d'éthique et de qualité de recherche (Thierry Coulhon)

Hugo Harari-Kermadec craint une importation en France du modèle britannique : "Outre-Manche, la majorité des financements dépendent de l'évaluation, de manière mécanique et brutale. Chaque article se voit attribuer un coefficient, qui donne le droit à des financements. Les laboratoires embauchent les chercheurs en fonction de ce qu'ils peuvent leur rapporter. Ainsi, les financements sont attribués en fonction de parts de marché, de la capacité des chercheurs à placer leurs articles dans de grandes revues", rapporte le chercheur qui poursuit : "Prendre pour critère le nombre d'articles parus dans les revues n'est pas pertinent. Les ouvrages publiés par Foucault et Bourdieu sont les plus lus à l'étranger, et pourtant ils ne publiaient pas dans les revues"

Une inquiétude face à laquelle Thierry Coulhon se veut rassurant : "Raisonner en termes de nombre de publications et d'impact factor est pervers et contreproductif en termes d'éthique et de qualité de recherche. Il faut trouver une manière de regarder la qualité de la recherche de façon plus fine, en proposant, par exemple, aux structures de nous envoyer leurs cinq meilleures publications. Nulle part la loi ne parle de comparer", maintient le président du Haut conseil.

Suivre les recommandations de la Cour des comptes pourrait bien remettre le feu à une communauté universitaire déjà bien échauffée par le sort qui lui a été fait ces deux dernières années. Ne pas les suivre serait la garantie de continuer à être considéré comme une usine à gaz. Bref, un dossier explosif.

Elsa Sabado | Publié le