Inégalités salariales : quand le pacte enseignant pénalise les femmes

Clémentine Rigot Publié le
Inégalités salariales : quand le pacte enseignant pénalise les femmes
Les femmes sont-elles les grandes perdantes du pacte enseignant ? // ©  David CESBRON/REA
Annoncé par Pap Ndiaye en avril, le "pacte enseignant" prévoit la rémunération de missions supplémentaires, notamment pour des remplacements ou des heures de soutien. Une surcharge de travail inenvisageable pour de nombreuses enseignantes, déjà pénalisées par la "deuxième journée de travail".

Le pacte "enseignant"? "C'est travailler plus pour gagner un petit peu plus", tranche Coline Wiatrowski, qui sait déjà, à plusieurs mois de la rentrée, qu'elle n'acceptera pas ce dispositif proposé par le ministère de l'Éducation nationale. "Le temps n'est pas extensible. Cela se ferait au détriment des élèves, avec une dégradation de la qualité du travail", assure la professeure de maths, qui enseigne dans un lycée de Villeurbanne (69).

Alors que Pap Ndiaye espère voir un tiers des enseignants accepter ces missions additionnelles, les volontaires se font rares, surtout chez les femmes.

En cause : des "journées plus chargées" que les hommes, hors du temps de travail. "Elles s'occupent majoritairement des enfants, des tâches domestiques", rappelle ainsi Priscilla Manzanares, professeure des écoles dans l'Hérault (34). Ainsi, d'après l'Observatoire des inégalités, 80% des femmes font la cuisine ou le ménage au moins une heure chaque jour, contre 36% des hommes.

Des semaines de 40 à 44 heures pour les professeurs

Comment trouver du temps ? Pour beaucoup, cela semble mission impossible. "Le temps de travail des professeurs des écoles est largement au-delà du raisonnable. Le ministère considère qu'on fait déjà entre 40 et 44 heures par semaine", rappelle Priscilla Manzanares.

"Cette réforme peut induire un croisement des inégalités au sens où les femmes auront moins de latitude pour s'emparer de ces opportunités de rémunération complémentaire par rapport à leurs collègues masculins", analyse Arnaud Dupray, chercheur associé et chargé d'études au Centre d'études et de recherches sur les qualifications (Cereq).

Le temps de travail des professeurs des écoles est largement au-delà du raisonnable. (P. Manzanares, professeure).

Du côté des syndicats, ces disparités inquiètent. "Dès le début des consultations, nous avons alerté le ministère sur les effets négatifs du pacte, sans succès. On demandait que l'enveloppe soit redistribuée en revalorisation inconditionnelle et qu'elle serve à des mesures pour lutter contre les inégalités salariales", se souvient Maud Valegeas, co-secrétaire de Sud éducation.

Parmi les pistes, le paiement à temps plein des temps partiels de droit, alors que "deux fois plus de femmes que d'hommes" sont concernées par ces aménagements.

"Le pacte est construit pour le second degré"

Par ailleurs, le pacte sera, de fait, moins ouvert aux enseignants du primaire, où le temps de travail est déjà plus important que dans le secondaire. "Pour du soutien en 6e, la seule possibilité est d'aller dans le collège le mercredi matin. Mais les professeures avec enfants auront plus de difficultés que leurs collègues masculins à y aller", prévoit Maud Valegeas.

Or, "84% des professeurs des écoles sont des femmes alors qu'elles ne représentent que 58% du secondaire. Et le pacte est vraiment construit pour le second degré", regrette l'élue.

Des missions supplémentaires déjà proposées

La possibilité de faire des heures supplémentaires rémunérées n'est pas un concept neuf dans le paysage de l'enseignement. Mais le système de primes semble favoriser les hommes. "Dans le secondaire, les hommes prennent davantage de missions additionnelles, avec en moyenne 245 euros brut d'heures supplémentaires, contre 162 euros chez les femmes", souligne Maud Valegeas.

"Il existe des indemnités pour des missions particulières - comme coordonner une équipe disciplinaires - dans lesquelles il y a déjà une sur-représentation des hommes", confirme Coline Wiatrowski. "Les remplacements existent déjà : si on ne les fait pas, c'est parce qu'on n'a pas le temps ou l'énergie. Donc ce pacte, c'est un peu nous forcer la main", dénonce la professeure.

Et pour Priscilla Manzanares, le pacte est une maigre compensation. "C'est comme si on nous donnait de l'argent de poche", raille la professeure. En effet, les primes du pacte ne rentreront pas dans la catégorie salaire et ne seront pas prises en compte pour la retraite ou en cas d'arrêt maladie, alors que les acteurs sociaux alertaient déjà sur les disparités de revenus chez les seniors entre les femmes et les hommes, lors des mouvements contre la réforme des retraites.

Des enseignantes moins présentes aux postes à responsabilité

Il existe également un déséquilibre en termes de confiance en soi. "Les femmes se sentent souvent moins légitimes, elles osent moins réclamer", affirme Coline Wiatrowski. "Il y a une autocensure des femmes qui vont limiter leur appétence pour les responsabilités, compte tenu de leur charge familiale notamment", abonde Arnaud Dupray.

Un écart qui se répercute dans les prises de postes. "Alors que les femmes sont majoritaires dans l'enseignement, (environ sept enseignants sur dix), ce sont les hommes qui sont plus présents lorsqu'on monte dans la hiérarchie ou dans les responsabilités d'encadrement", explique-t-il. Des postes à responsabilités également mieux rémunérés.

Un nouveau coup porté à une profession qui n'attire plus ?

La question des revenus semble expliquer en partie le manque de vocation pour le métier d'enseignant. "Outre les conditions de travail et les faibles ressources en personnels d'appui, la rémunération est certainement un facteur, surtout comparé aux évolutions des carrières dans le privé à même niveau de qualification", détaille-t-il.

Se pose le problème d'une forme d'invisibilisation du travail des femmes. "La question du temps de travail ne peut pas se déconnecter de celle des inégalités de genre", estime Maud Valegeas. D'autant qu'en période d'inflation, nombreuses seront celles qui accepteront ces missions pour sauvegarder leur pouvoir d'achat.

Clémentine Rigot | Publié le