L'apprentissage, une affaire (trop) rentable pour les CFA ?

Etienne Gless Publié le
L'apprentissage, une affaire (trop) rentable pour les CFA ?
Plus de 1.500 nouveaux CFA ont été créés depuis la réforme de l'apprentissage. // ©  Alexandra BREZNAY/REA
Le premier rapport de France compétences dédié à l'usage des fonds de la formation professionnelle montre que l'apprentissage reste rentable pour certains établissements notamment pour les CFA. Et ce malgré la baisse en cours des niveaux de prise en charge et la hausse de l'inflation. Explications.

Plus de 700 millions d’euros de bénéfices engrangés par les CFA en 2021. Depuis sa libéralisation en 2018, l’apprentissage se révèle une méthode pédagogique lucrative pour les centres de formation, selon le premier rapport de France compétences sur l'usage des fonds de la formation professionnelle publiée en janvier dernier.

Un bénéfice net de 702 millions d'euros pour les CFA

Selon le rapport de France compétences, les centres de formations d’apprentis (CFA) ont dégagé un bénéfice net de 702 millions d'euros en 2021 contre 426 millions d'euros en 2020, soit une hausse de 64% sur un an.

Par ailleurs, fin 2021, plus de 60% des CFA étaient rentables avec six CFA sur dix présentant un résultat excédentaire. "L’apprentissage apparaît comme une activité rentable, avec un taux de marge de 11% en 2021", relève l'établissement public en charge de réguler et financer la formation professionnelle. Ce taux de marge moyen des CFA de 11% affichait même une hausse de 2,7 points sur un an.

Cependant la rentabilité de l’activité d’apprentissage varie sensiblement selon la taille du CFA, le niveau de diplôme préparé et les spécialités de formation dispensées. Les CFA dispensant des formations du supérieur dans le secteur de la production sont moins rentables (5,8%) que ceux proposant des formations du supérieur dans les services (11,6%).

Des marges plus élevées pour les CFA du secondaire

Ce sont les CFA qui offrent des formations du secondaire qui font plus de marge (14,5%). Le coût de revient d’un apprenti pour un CFA augmente en effet avec le niveau de certification préparé. Ainsi un apprenti en CAP (niveau 3) "coûte" en moyenne 6.455 euros contre 8.413 euros pour un apprenti ingénieur. En effet, 90% du coût de revient moyen d'un apprenti correspond à des charges de fonctionnement : pédagogie, structure, communication, charges exceptionnelles et provisions en lien avec la formation.

Le rapport de France compétences relève aussi une différence de rentabilité selon le statut du CFA : ainsi les CFA publics (taux de marge moyen 13,7%) sont-ils plus rentables que ceux sous statut consulaire (10,2%) ou associatif (9,6%). Mais ce sont bien les CFA du secteur privé qui affichent la meilleure rentabilité, 19,3% en moyenne.

Un coût de l'apprentissage qui interroge

La question de la marge des CFA interroge notamment face au coût de plus de 21,1 milliards d'euros de l'apprentissage pour les finances publiques en 2021, soit 0,8% du PIB et au déficit de 13,1 milliards d'euros de France compétences. Et elle interroge d'autant plus que la libéralisation de l'apprentissage ouverte par la loi "Avenir pro" en 2018, a permis à de nombreux organismes de formation de se lancer sur le créneau de l'apprentissage pour profiter de la manne ainsi ouverte.

Il y a un débat autour du sujet de la marge que dégagent les organismes de formation en apprentissage. C’est une activité très lucrative et certains organismes se lancent pour cette raison. (Y. Hinnekint, association Walt).

"Il y a un débat autour du sujet de la marge que dégagent les organismes de formation en apprentissage. C’est une activité très lucrative et certains organismes se lancent pour cette raison, soutient Yves Hinnekint, président de l'association Walt, qui regroupe une centaine d'acteurs privés et publics. Le vrai sujet aujourd'hui, c'est que fait-on de la marge ? Si effectivement le bénéfice est réinvesti dans la formation qui continue à se moderniser c’est intéressant. En revanche, si on se place dans une simple logique d’actionnaire, il y a une limite à l’utilisation des fonds publics".

Une baisse initiée des niveaux de prise en charge des contrats

Pour réduire le coût de l'apprentissage, le gouvernement a pris plusieurs mesures dont l'une concerne directement les CFA : les niveaux de prise en charge des contrats d'apprentissage dans les CFA diminuent de 10% en deux temps avec une première baisse de 5% effective depuis septembre 2022. Une décision justifiée par "les travaux de France compétences sur la comptabilité analytique des CFA [qui] ont mis en lumière une surévaluation de 18% des niveaux de prise en charge par rapport aux coûts réels de formation", selon le ministère du Travail.

Cette baisse n'a pas manqué de susciter une levée de boucliers de certains acteurs de l'apprentissage : "Cette baisse de 5% cache, selon les formations, des disparités de traitement pour certaines sections et certains CFA", ont ainsi plaidé dans une lettre ouverte à Emmanuel Macron, Walt, la Fnadir (Fédération des directeurs de CFA), la FNEP (Fédération de l'enseignement privé), Les acteurs de la compétence ou Les entreprises éducatives pour l'emploi.


Une uniformisation de l'aide à l'embauche des alternants

Pour réaliser des économies, le gouvernement a aussi décidé d'uniformiser l'aide à l'embauche des alternants : pour 2023 son montant est désormais de 6.000 euros pour l’embauche d’un apprenti mineur ou majeur quel que soit le niveau de diplôme préparé.
L’aide était de 5.000 euros auparavant pour l’embauche d’un apprenti mineur et de 8.000 euros pour l’embauche d’un apprenti majeur.

Vers une régulation du marché des CFA ?

Le sujet est sensible : comment cibler les mesures d'économies sans casser la dynamique de l'apprentissage ? D'autant que le chef de l'Etat maintient l'objectif d'un million de contrats signés chaque année d'ici la fin du quinquennat.

Prévue en avril 2023, la prochaine baisse du niveau de prise en charge des contrats d’apprentissage a finalement été repoussée au mois de juillet. Le temps pour France compétences de se plonger à nouveau dans la comptabilité des CFA et de peaufiner les nouveaux niveaux de prise en charge en tenant compte aussi des éventuels surcoûts constatés en 2022 et liés à l'inflation.

Restera ensuite à se pencher sur le dossier délicat de la "qualité" des formations en apprentissage pour réguler un marché sans doute trop débridé comme en témoigne la quantité de nouveaux CFA apparus depuis 2015 : plus de 1.500 nouveaux CFA ont été créés depuis la réforme et le marché en compte désormais environ 3.000.

Etienne Gless | Publié le