L'autonomie des universités, un instrument de concurrence en Allemagne

De notre correspondante en Allemagne, Marie Luginsland Publié le
L'autonomie des universités, un instrument de concurrence en Allemagne
L'université Johann Wolfgang Goethe à Francfort // © 
Le paysage universitaire outre-Rhin se modifie profondément depuis la loi de réforme du fédéralisme, en 2006, qui a signé le désengagement financier de l’État fédéral au profit des Länder. L’autonomie conférée aux universités permet à chacune d’établir son propre profil. Une  question d'image et de visibilité devenue essentielle pour les établissements supérieurs. Le colloque de l'association européenne des universités (EUA), qui se tient du 27 au 29 mars à Barcelone, revient sur cette question.

Davantage qu’un simple transfert de compétences du Bund aux Länder, l’application au supérieur de la loi de réforme du fédéralisme a suscité une révolution culturelle. L’Allemagne abandonne la sacro-sainte loi de l’égalité qui régissait son système universitaire. Les établissements pourront désormais renforcer leur autonomie et enfin rivaliser dans les classements nationaux et internationaux.

Des présidents tout puissants

Accent mis sur certaines filières, rémunération des professeurs au mérite, recrutement sélectif des étudiants, mécénat d’entreprises... désormais, chaque université peut adopter ses propres règles de gestion pour peu qu’elles soient en accord avec la législation de son Land. « Les universités ne peuvent être dirigées par des contraintes étatiques. L’autonomie leur permet d’enclencher un processus de restructuration selon leurs besoins spécifiques », se félicite le Pr Kempen, président de la Fédération allemande de l’enseignement supérieur.

Il regrette cependant que l’autonomie institutionnelle ne soit pas complétée par une autonomie individuelle des enseignants : « Le déplacement du pouvoir s’effectue au profit des instances centrales [présidence, collège des recteurs et conseil d'administration], au détriment des organes représentatifs des enseignants. Pourtant, les décisions scientifiques adéquates ne peuvent être prises que par les instances qui mènent ces activités ! »

Monoculture ou excellence

Il est rejoint dans son analyse par Andreas Keller, du syndicat GEW : « La majorité des pouvoirs se concentrent entre les mains des présidents, qui agissent comme dans une entreprise, en véritable directoire. Néanmoins, on néglige le principe de la cogestion à l’allemande qui prévoit dans les entreprises la représentation des salariés au conseil de surveillance ! »

Au rang des autres dérives possibles, une spécialisation des universités dans des filières porteuses et l’abandon d’autres moins demandées dans le court terme par les entreprises. Les présidents qui ont engagé ce processus comme Hans-Wolfgang Arndt, à Mannheim, s’en défendent : « Si nous ratissons trop largement, nous resterons médiocres. » Or, l’Allemagne veut accéder enfin à l’excellence. Depuis un an, l’initiative d’excellence – conduite cette fois par l’État fédéral – élit les facultés les plus en pointe. 

Respecter la mission éducative

C’est cette course à l’excellence qui a convaincu l’université de Francfort d’enclencher un dispositif inédit en Allemagne : sa conversion en fondation en ce début d’année. Grâce aux nouveaux moyens financiers de la fondation, elle entend notamment s’adjoindre de nouvelles compétences scientifiques. « Je pourrai ainsi nommer des chargés de cours que j’estime compétitifs au niveau international sans devoir en référer au ministère », se réjouit le Pr Andreas Gold, vice-président. Ou encore faire appel à de nouveaux profils, notamment pour la gestion patrimoniale. « Désormais, grâce à un transfert de propriété, nous pourrons jouir de notre patrimoine, détruire ou concevoir de nouveaux bâtiments. »

Des garde-fous

Le garde-fou à toute dérive idéologique est garanti par les principes établis par le sénat (collège des recteurs). Celui-ci étudiera, au cas par cas, les souhaits des membres fondateurs de financer telle ou telle chaire, pourvu qu’ils s’engagent sur une durée minimale de dix ans. L’université garde ainsi sa mainmise sur sa stratégie. Elle évite par ailleurs de remplacer l’autorité du Land par celle des membres fondateurs. Le Land, pour sa part, voit en toute sérénité lui échapper une part de ses prérogatives. Seule condition : que le contrat éducatif – fournir au Land chaque année trois mille nouveaux diplômés – continue d’être respecté.


Une fondation à Francfort
En janvier, l’université Johann Wolfgang Goethe de Francfort a fait un nouveau pas vers l’autonomie. La création d’une fondation donne davantage de flexibilité à cet établissement de 33.000 étudiants et au budget annuel de fonctionnement de 270 millions d’euros. « La nouvelle forme juridique de fondation nous permettra de nous doter de moyens supplémentaires et de nous extraire de l’emprise du Land, notamment dans le domaine des ressources humaines », expose le Pr Andreas Gold, vice-président. Son université veut par ailleurs, à terme, recruter elle-même la totalité de ses étudiants, contre 60 % aujourd’hui. Il n’est cependant pas question d’un simple transfert de compétences financières : « Nous ne pouvons pas supporter des charges qui étaient jusqu’à présent assurées par le Land, le budget de fonctionnement actuel restera financé par le Land. »

De notre correspondante en Allemagne, Marie Luginsland | Publié le