L'innovation entre dans l'organigramme des écoles d'ingénieurs

Céline Authemayou Publié le
L'innovation entre dans l'organigramme des écoles d'ingénieurs
Luli (Laboratoire pour l'utilisation des lasers intenses) de l'École polytechnique © Philippe Lavialle - École polytechnique // © 
De plus en plus d’écoles d’ingénieurs françaises accueillent au sein de leur équipe de gouvernance un directeur de l’innovation. Emprunté au monde de l’entreprise, ce poste est en passe de devenir pour bon nombre d’établissements une pièce maîtresse de leur stratégie de développement… Dans un contexte de compétitivité accrue entre écoles.

Total, LVMH, Safran… En moins de dix ans, le poste de directeur – et directrice – de l'innovation s'est imposé au sein des grandes entreprises. Sa fonction est à la croisée des chemins. Plus seulement technique, comme l'est un directeur R&D, pas tout à fait marketing, il analyse les tendances du marché pour adapter la stratégie de l'entreprise et lui permettre d'accroître sa compétitivité.

Et ce modèle inspire l'enseignement supérieur : certaines écoles d'ingénieurs ont décidé de s'adjoindre les services d'un directeur de l'innovation, à l'image de Polytechnique, Télécom ParisTech, l'EPF ou encore l'ESTACA, qui vient de créer ce poste, en janvier 2014.

“Depuis quelques années, on observe une augmentation assez radicale de la compétitivité entre écoles, constate Brice Challamel, enseignant à HEC et auteur du baromètre Act One - HEC 2013 des directeurs de l'innovation. Cette concurrence a toujours existé : c'était déjà le cas au XVIe siècle, lorsque les universités s'arrachaient Newton ! Mais aujourd'hui, les établissements doivent attirer des talents venus du monde entier et séduire les entreprises. Il faut donc réussir à s'imposer dans un environnement darwinien…”

évolution des méthodes pédagogiques


Arrivé à l'ESTACA après avoir été directeur national des formations du CNAM (Conservatoire national des arts et métiers), Dominique Gentile occupe aujourd'hui le poste de directeur de l'innovation pédagogique. Accompagné d'un groupe de travail composé d'enseignants, d'anciens élèves et d'industriels, il doit repenser le contenu de l'offre de formation de l'école d'ingénieurs, diversifier cette offre et aussi faire évoluer les méthodes pédagogiques.

“Aujourd'hui, les jeunes n'apprennent plus de la même manière qu'il y a vingt ans, constate Dominique Gentile. Le but est par exemple de diminuer le nombre de cours magistraux au profit de projets transversaux. Développer le numérique, pour créer des formations à distance est aussi une piste envisagée.” Des orientations déjà prises aujourd'hui par de nombreuses écoles.

“Des rencontres improbables sont à favoriser”


Au-delà de l'innovation pédagogique, l'avenir des écoles d'ingénieurs passe aussi par leur capacité à s'adapter aux nouveaux enjeux technologiques. Depuis sa création il y a tout juste quarante ans, l'UTC (Université de technologie de Compiègne) a apprivoisé le terme “innovation” pour en faire son axe stratégique. L'école d'ingénieurs s'apprête à inaugurer son centre de l'innovation, conçu pour favoriser les rencontres et “faire jaillir les idées”, selon le directeur de l'UTC, Alain Storck. “Il y a quelques années, une première plate-forme de l'innovation a été créée, explique-t-il. Puis, en 2008, le projet de ce centre a été inscrit au contrat de plan État-Région, avec une volonté politique claire : aller plus loin dans l'innovation.”
Le lieu, de 5.000 m2, accueillera un FabLab, des équipes de chercheurs, des salles de créativité pour les étudiants… “L'innovation consiste à mettre sur le marché des découvertes faites en laboratoire, note Alain Storck. Notre souhait est de créer tout un écosystème favorable à l'inventivité et de continuer de former des ingénieurs capables d'apporter des solutions aux grands défis futurs.”

Car c'est là tout l'enjeu des écoles d'ingénieurs. “Aujourd'hui, de nouveaux métiers se créent, dans le domaine du traitement des données de pointe, par exemple, observe Brice Challamel. La grande question est : comment former ces profils ? Si les écoles, via leur directeur de l'innovation, peuvent dire aux entreprises : ‘On vous a entendues et on va s'adapter’, un cercle vertueux se met en place.”

Aux écoles de dire aux entreprises : “On vous a entendues et on va s'adapter” (B. Challamel)

“Pour une rapidité de la prise de décision”


Au cœur d'un écosystème en mouvement constant, le directeur de l'innovation jouerait donc le rôle de phare. Ce seul et unique interlocuteur assure le lien et le liant entre tous les services de l'école. Preuve de l'importance accordée au poste, ce dernier est systématiquement rattaché à la direction générale. “Cette place dans l'organigramme permet d'être en contact avec toutes les parties prenantes, constate Dominique Gentile, de l'ESTACA. Il serait difficile de faire autrement et l'entreprise serait vouée à l'échec…”

À l'UTC, qui dispose d'un DSEI (directeur stratégie entreprise et innovation) depuis 2008, le discours est le même. “De plus, cette place dans l'équipe de direction procède d'une volonté politique et stratégique forte”, complète Alain Storck. Cette “mise en chapelle” qu'a pu observer Brice Challamel auprès des entreprises étudiées dans le cadre de son baromètre atteste du niveau de respect donné à la fonction. “Le directeur de l'innovation doit être capable de mobiliser tous les services : la tête de l'organigramme est donc l'endroit où il aura le rôle le plus transverse. De plus, cette place lui assure une rapidité dans la prise de décision.”

Il en va de même dans les écoles d'ingénieurs, où la fonction devrait continuer de se développer. “L'innovation est l'avenir de tout établissement, affirme Dominique Gentile. Si nous ne nous engageons pas dans cette voie, nous somme voués à disparaître…”

Céline Authemayou | Publié le