L'ouverture sociale à l'épreuve du coronavirus : le supérieur sur le pont

Séverine Mermilliod Publié le
L'ouverture sociale à l'épreuve du coronavirus : le supérieur sur le pont
Les cordées de la réussite, créées en 2008, permettent grâce à des partenariats avec des lycées de favoriser l'intégration de jeunes défavorisés dans le supérieur. // ©  Nicolas TAVERNIER/ REA
Lycées fermés, cours à distance et rentrée sous pression : malgré la crise, l'enseignement supérieur poursuit ses efforts pour maintenir une diversité sociale dans ses établissements, en luttant contre les décrochages et l'autocensure des élèves de milieux modestes.

Lutter contre les décrochages et l'autocensure. Avec la crise sanitaire, maintenir la diversité sociale reste une priorité des établissements du supérieur. Entre des dispositifs déjà en place et d'autres qui se voient renforcés, le supérieur est sur le pont.

S'adapter à la crise

"La période que l'on traverse va accroître les inégalités dans l'accès au supérieur", les difficultés scolaires étant accentuées par la distanciation, estime Chantal Dardelet, directrice du centre Égalité des chances de l’Essec et animatrice du groupe de travail ouverture sociale à la Conférence des grandes écoles (CGE). Et si les dépôts de dossiers ont précédé la crise, la suppression de l'oral aux concours post-prépa de plusieurs grandes écoles risque de peser sur leur diversité, car, selon elle, "l'oral est favorable aux boursiers".

Les membres de la CGE se sont donc engagés à maintenir le taux de diversité de l'an passé, en jouant sur d'autres leviers. A l'Essec, un dispositif dans le cadre des "vacances apprenantes" voulues par l’Éducation nationale est aussi en train de voir le jour. Baptisé Aere (Apprendre et réussir ensemble), il devrait permettre à des étudiants de l'école d'avoir une expérience professionnelle tout "en proposant un accompagnement aux jeunes de collèges et lycées des Cités éducatives" des Yvelines, du Val-d'Oise ou de Seine-Saint-Denis, alliant pédagogie, sport et culture, détaille Chantal Dardelet.

Sciences po Paris a de son côté conservé l'oral des candidats des Conventions d'éducation prioritaire (CEP, voie d'accès spécifique à des lycées partenaires) pour maintenir le lien avec l'institution, alors qu'il est "supprimé pour les bac+0 de la voie normale d'admission", rappelle Bénédicte Durand, directrice des études et de la scolarité.

De plus, les 150 à 160 élèves admis par CEP accéderont dès juillet au "programme booster en ligne, afin de préparer durant l'été leur admission. Ce dispositif était normalement réservé à 50 élèves des CEP en situation de plus grande fragilité au regard de nos attentes académiques, à qui nous proposions une semaine d'immersion sur le campus de Reims", précise Bénédicte Durand. L'établissement travaille à de nouvelles modalités à distance, comme le suivi de petits groupes par des étudiants de Sciences po.

Lutter contre le décrochage

Les grandes écoles et universités luttent en amont depuis des années pour limiter ces inégalités à l'entrée dans le supérieur, exacerbées par la crise. C'est l'objet des Cordées de la réussite : depuis 2008, ces partenariats avec le secondaire ambitionnent de vaincre l'autocensure des jeunes de milieu modeste face aux études longues. Trois ans après le bac, entre 2014 et 2017, 73% des étudiants ayant quitté leurs études sans diplôme étaient d'origine modeste et parmi eux six étaient boursiers sur dix.

La période que l'on traverse va accroître les inégalités dans l'accès au supérieur. (C. Dardelet)

"C'est une vraie question de projet et d'orientation", juge Marion Petipré, directrice du DU PaRéO (passeport pour réussir et s'orienter) à Paris-Descartes, qui vise à prévenir ces décrochages. Le diplôme, labellisé Cordées de la réussite et ouvert à tous types de bacs, est "une perspective d'égalité des chances" pour les élèves car il permet de "tester" des matières pour affiner son projet avant une spécialisation, précise Marion Petipré. "On travaille sur la confiance en soi, les idées reçues..." Deux ans après leur sortie, 77% de la promotion 2017-2018 est en études supérieures, dont 40% en licence.

"Pour ouvrir le supérieur" et limiter les décrochages, abonde Chantal Dardelet, il faut "accompagner dès le collège et lycée les jeunes de milieux populaires dans la construction de leur projet". Les élèves du dispositif "Une grande école pourquoi pas moi" de l'Essec ont ainsi un taux de réussite aux examens des filières sélectives deux fois supérieur à celui des autres candidats du même milieu.

Différentes stratégies d'accompagnement

Certains établissements se concentrent enfin plutôt sur la préparation aux concours et les aides financières. En agissant sur tous ces leviers, l'Essec a aujourd'hui "22% d'étudiants répondant aux critères sociaux, contre 5% au début des années 2000" et en vise 27% dans trois ans, note Chantal Dardelet. Mais les approches varient : en général, les étudiants d'origine modeste accompagnés aux concours par des programmes d'ouverture sociale passent le même examen que les autres – c'est le cas après Cap Prépa et Cap Essec, par exemple.

A contrario, le dispositif des CEP de Sciences po, avec un accès dédié et une sélection spécifique, reste inédit. "Le mérite ne se reconnaît pas de la même manière pour un jeune qui a bénéficié d'un contexte socio-scolaire favorisé (bonnes écoles, aide familiale), que pour un jeune qui n'a pas eu cette chance, voire a subi une adversité pendant tout son parcours", justifie Bénédicte Durand.

27% de boursiers entrent ainsi tous les ans à Sciences po mais le dispositif veut se renforcer davantage : "Grâce à un travail sur un nouveau cahier des charges des admissions, une nouvelle carte des partenaires des CEP (+100 lycées) et à l'arrivée de Sciences po sur Parcoursup en 2021, nous allons pouvoir attirer des jeunes qui ne savent pas que nous existons." Sciences po devrait aussi "réserver 15% des places à la voie CEP au lieu de 10%, et y accroître la proportion de boursiers."

Séverine Mermilliod | Publié le