Le Covid-19, révélateur du décrochage scolaire à la française ?

Pierre Tourtois Publié le
Le Covid-19, révélateur du décrochage scolaire à la française ?
Deux professeurs des écoles dénoncent le décrochage scolaire accentué par le confinement. // ©  WavebreakmediaMicro/Adobe Stock
Dans un ouvrage au ton sans ambages, les professeurs des écoles Pascal Dumas et Thierry Thollot estiment que la pandémie de la Covid-19 a révélé, et renforcé, l’ampleur de l’échec scolaire en France. Une tendance aggravée selon eux, par la verticalité hiérarchique et le manque de culture numérique propres à l’Education nationale.

Un cri de colère, entre espoir et résignation. Auteurs de "Covid-19 : le décrochage scolaire français", Pascal Dumas et Thierry Thollot y dressent un bilan brutal mais argumenté de l’échec scolaire grandissant en France, en particulier durant la pandémie.

Mais au-delà de cette période si particulière, les deux hommes sont convaincus que l'Éducation nationale souffre de longue date d’une organisation trop verticale, trop cloisonnée, qui accentuerait les inégalités sociales. "Malgré un budget impressionnant, le premier poste de dépense de l’Etat, l’Education nationale n’est pas efficiente. Le classement Pisa confirme que notre système accentue les inégalités sociales et scolaires. Et on ne peut pas seulement incriminer les familles ou le manque de motivation des élèves", estime Pascal Dumas.

Une école analogique à l’ère numérique

Pour cet instituteur de 57 ans, la pandémie de Covid-19 a été un révélateur puissant de cette désorganisation, à tous les étages. Et ce dès le confinement, entre des adresses mails académiques de l’Education nationale peu ergonomiques et lentes, des serveurs informatiques insuffisants, une classe virtuelle du Cned inadaptée et souvent en panne...

"La formation des enseignants en matière de numérique est inexistante. Ignorance du CCi - copie cachée -, recours obligatoire au carnet de correspondance, méconnaissance des outils accessibles gratuitement en ligne…", regrette Pascal Dumas, qui pointe également du doigt les grandes disparités entre les familles en matière d’équipement informatique. Et si l’on y ajoute le coût "exorbitant" des aller-retour imprimés entre enseignants, parents/instituteurs et enfants, il faudrait parler de "familles décrochées", et non plus d’élèves "décrochés", estime-t-il.

L’insuffisante classe à la maison

Car les auteurs en sont persuadés : la "classe à la maison" voulue par les instances pédagogiques n’était pas possible, entre le manque de temps des parents en télétravail ou encore leur absence de formation pédagogique. "Ce bricolage n’a pas tenu longtemps et la majorité des enfants n’ont pu que réviser, sans apprentissage de notions. Des outils d’apprentissage en autonomie auraient été bien plus efficaces. Mais l'Éducation nationale ne l’avait pas envisagé et ne l’envisage toujours pas, malgré la deuxième vague épidémique", poursuit Thierry Thollot, convaincu de longue date que l’apprentissage "vertical" prodigué dans les classes françaises est dépassé.

Des outils d’apprentissage en autonomie auraient été bien plus efficaces (T. Thollot)

L’instituteur a expérimenté lui-même ce confinement particulier à la campagne, pris entre l’animation de ses classes virtuelles et le suivi scolaire impossible de ses enfants, faute de disponibilité. “Le ministère affirme que seuls 7% des élèves de primaire ont décroché. Mais d’après les estimations des instituteurs, la proportion s’élèverait plutôt à 30%. L’optimisme gouvernemental relève de l’imposture”, fulmine Thierry Thollot, en accord sur ce point avec son co-auteur.

Placer l'élève au centre d’un dispositif élargi

Plus largement, les deux hommes regrettent l’incapacité structurelle de l’Education nationale à profiter de "l’expérience terrain" des enseignants. Ils estiment par ailleurs que l’enseignement devrait être un maillon d’un système plus vaste, au sein duquel tous les acteurs, "parents, instituteurs, inspecteurs, psychologues cliniciens, orthophonistes, orthoptistes, AESH (accompagnants des élèves en situation de handicap)", devraient "participer équitablement aux réformes et au fonctionnement de l'institution".

Les enseignants n’ont plus le monopole du savoir (P. Dumas)

"Les enseignants n’ont plus le monopole du savoir, comme le prouve la consultation grandissante de YouTube dans le cercle familial. Sauf que nous, nous n’avons pas le droit de nous en servir, au nom du combat contre la publicité à l’école", poursuit Pascal Dumas, qui regrette aussi la "lenteur" du système quand les signes de décrochage scolaire d’un élève s’accumulent.

"Entre le constat des difficultés et la prise en charge de l’élève, il se passe des mois. Et pendant ce temps, l’échec scolaire s’installe, les retards s’accumulent", conclut l'instituteur. Exprimant un profond désarroi dans leur ouvrage, préfacé par l’ancienne ministre de l’Education nationale Najat Vallaud-Belkacem, les auteurs espèrent que les États généraux du numérique à l'école organisés les 4 et 5 novembre feront bouger les lignes. Sans totalement y croire.

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