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L'Éducation nationale, un désert médical qui s'amplifie

Malika Butzbach Publié le
L'Éducation nationale, un désert médical qui s'amplifie
Les établissements scolaires souffrent d'un manque de professionels de santé. // ©  David CESBRON/REA
Avec un médecin scolaire pour 13.000 élèves, un psychologue pour 1.500 et un infirmier pour 1.300, l'Éducation nationale apparaît comme un désert médical. Tandis que ces professions sont touchées par une crise d'attractivité, le manque d'effectifs a des conséquences sur le suivi des élèves, puisque une bonne santé, physique comme mentale, est un facteur de réussite à l'école.

Le premier désert médical n'est pas forcément géographique : il se trouve au sein de l'Éducation nationale. Depuis quelques années, les rapports se suivent et dressent le même constat : la pénurie de personnel médical dans les établissements scolaires s'amplifie.

Le premier rapport, publié en avril 2020 par la Cour des comptes, indiquait ainsi qu'il n'y avait qu'un seul médecin scolaire pour 13.000 élèves, un psychologue de l'éducation nationale (PsyEN) pour 1.500 élèves et un infirmier pour 1.300 élèves.

Mais, "depuis 2020, la situation s'est encore aggravée car il n'y a pas eu de sursaut dans le recrutement. Actuellement, je pense que les taux d'encadrement sont encore en deçà de ces chiffres", avance Natacha Delahaye, co-responsable de la commission nationale des PsyEN-EDA de la FSU-SNUipp.

Des bilans de santé des élèves difficiles à mettre en place

Dans ces conditions et avec un manque criant d'effectifs, les personnels peinent à remplir leurs missions initiales, notamment les bilans de santé qui jalonnent la scolarité.

"Les élèves doivent se voir proposer trois bilans de santé à l'école : un premier à 3-4 ans, un second lors de leur 6e année, et un dépistage à l'âge de 12 ans, explique Gwenaëlle Durand, secrétaire générale du Snies Unsa éducation. Au lycée, seuls les élèves de la voie professionnelle affectés à des travaux réglementés ont une visite obligatoire, quand elle peut avoir lieu."

Selon les chiffres de la Cour des comptes, en 2018, 80% des élèves du public bénéficiaient de cette visite. La Cour indique que si près de 76% des enfants de 3-4 ans ont bénéficié d'un bilan de santé, ce taux varie de 13,5% à 100% en fonction des départements. Enfin, la visite des 6 ans concerne moins d'un enfant sur cinq quand 62% des élèves ont bénéficié du dépistage infirmier de la 12e année.

"Les bilans sont une priorité dans mon travail. Mais je constate que j'ai de plus en plus de difficultés à les faire, explique Brigitte Streiff, infirmière scolaire en Moselle. C'est compliqué de me libérer toute une matinée pour me concentrer, je suis constamment interrompue par des urgences. Et de vraies urgences du quotidien, pas de la bobologie."

Pourtant, ces bilans sont importants : ils sont l'occasion de découvrir certains problèmes de santé, invisibles jusqu'ici. Lorsque Brigitte Streiff découvre que plusieurs élèves examinés sont en dessous de la courbe de poids, elles les interrogent. "Beaucoup avaient des problèmes de dents, ce qui avait des conséquences sur la manière dont ils se nourrissaient."

La perte de sens des métiers

Les professionnels évoquent aussi une augmentation de leur charge de travail, avec la multiplication de leurs missions. "On nous attend, et à raison, sur le harcèlement scolaire qui devient un véritable fléau, sur la santé mentale des jeunes qui se dégrade, sur la prévention… Mais on nous demande aussi de gérer les tests de détection et les diagnostics des troubles, quels qu'ils soient", souligne Fabienne Testa, psy-EN dans le 1er degré en Alsace. "On devient des serial testeurs, ce qui nous éloigne du sens initial de notre métier : celui d'aider les enfants."

Cette perte de sens de son métier, Louise, médecin scolaire qui souhaite témoigner sous un prénom d'emprunt, ne la connaît que trop bien. "En théorie, je peux passer une heure pour une consultation avec un élève. Mais dans les faits, je passe près de 30 minutes à faire de la paperasse ! Or, c'est difficile d'établir un contact avec un enfant que l'on ne connaît pas en une demi-heure, encore plus avec les plus jeunes." Elle qui a choisi ce métier "pour le contact humain" se trouve désormais "isolée dans un bureau, coupée de tout, à courir tout le temps".

Une grave crise d'attractivité

La médecine scolaire est la première victime de la crise d'attractivité qui touche toutes les professions médicales et paramédicales de l'Éducation nationale.

Les effectifs ont baissé de 20% en dix ans, pour tomber à 900 postes. "Aux concours, on compte un poste ouvert pour 0,6 candidat, sourit amèrement Louise. Cela s'explique en premier lieu par la rémunération qui va de 3.000 à 5.000 euros mensuels. Soit moitié moins que ce que gagne un médecin libéral." Elle souhaiterait partager son temps entre la médecine scolaire et son propre cabinet, "pour des raisons financières, mais aussi parce que cela me plaît professionnellement". Cependant, c'est impossible avec le statut de fonctionnaire, regrette la médecin.

La crise de l'attractivité se lit dans tous les concours. Pour les Psy-EN, "on a autant d'admissibles que de postes", souligne Natacha Delahaye. Si elle est déchargée à mi-temps pour son syndicat, la psychologue constate que personne ne vient compléter son poste.

Par ailleurs, les abandons deviennent de plus en plus courants, observe Gwenaëlle Durand. "Parmi les infirmières stagiaires, beaucoup partent après trois ou quatre mois, face aux conditions de travail dégradées. Elles se sentent seules, surchargées et avec beaucoup de responsabilités. "C'est pire qu'à l'hôpital" estiment-elles.

L'impact sur la scolarité des élèves

Ces difficultés des services de santé scolaire touchent de plein fouet les élèves, mais aussi les enseignants. "On se retrouve démunis face à un élève qui ne va pas bien, psychologiquement ou physiquement, témoigne Elisabeth Moreno, du SE-Unsa. D'autant que les problèmes de santé peuvent aussi être la cause d'un échec scolaire ou d'un climat scolaire dégradé, notamment lorsque des élèves ont des troubles du comportement."

Les difficultés scolaires dues à la santé, Louise a appris à les reconnaître. "Il y a les caries qui font mal et empêchent les enfants de se concentrer, les troubles du langage qui relèvent souvent de l'orthophonie, et aussi les problèmes de vue qui empêchent de lire."

La médecin se rappelle un collégien, vu en consultation cette année. "En 5e, il ne savait pas lire. On me l'a envoyé pour des diagnostics mais j'ai juste constaté que le pauvre avait d'énormes problèmes de vue ! Je l'ai orienté vers un ophtalmologiste mais, là encore, il a fallu attendre trois mois avant qu'il ait un rendez-vous. C'est autant de retard dans ses apprentissages."

Un désert dans des déserts : la double peine

Face à la pénurie, les professionnels ont mis en place des stratégies, notamment en comptant sur le relai de la médecine de ville. "Mais, comment fait-on lorsqu'il n'y a ni médecin, ni ophtalmo, ni orthodontiste dans la ville ?", s'interroge Gwenaëlle Durand. Elle qui vit dans l'Ain, doit attendre trois mois pour avoir un rendez-vous médical avec le généraliste pour ses enfants.

Brigitte Streiff, elle, a dû faire le relai avec la pharmacie de garde pour envoyer les élèves, alors qu'elle observait une recrudescence de cas de coqueluche dans son établissement.

Même inquiétude pour les psy-EN : "On doit orienter l'enfant mais les centres médico-psychologiques sont pleins et il n'y a pas de maison des adolescents partout", répond Fabienne Testa. Pour les élèves qui résident dans des zones de désert médical, c'est la double peine.

Malika Butzbach | Publié le