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Les AESH dénoncent des conditions de travail de plus en plus difficiles

Sandrine Chesnel Publié le
Les AESH dénoncent des conditions de travail de plus en plus difficiles
Des AESH lors d'une manifestation du personnel de l'Éducation nationale pour un plan d'urgence pour les etablissements du departement de Seine Saint Denis. // ©  Fred MARVAUX/REA
Les accompagnants des élèves en situation de handicap sont un maillon indispensable à la scolarisation de tous les jeunes. Mais ces professionnels, pour la plupart des femmes, sont confrontés à des conditions de travail qui se dégradent et des salaires insuffisants.

Depuis 15 ans, Aurélie Chassaing est AESH (accompagnante d'élève en situation de handicap). "J'ai fait des études de droit et d'assistante sociale. J'ai découvert ce métier via un contrat aidé : j'ai aimé et j'y suis restée." Mais depuis quelques années, Aurélie pense à changer de métier, comme beaucoup des membres du Collectif AESH-AVS qu'elle a fondé.

Des difficultés qui s'aggravent

"L'accompagnement des élèves en milieu ordinaire, c'est devenu n'importe quoi. C'est pire à chaque rentrée. On manque de temps avec les élèves, on manque de temps dédié avec les enseignants pour échanger et les tensions avec eux sont en hausse", témoigne-t-elle.

"On n'a parfois aucune information sur la pathologie ou les aménagements prescrits aux élèves que nous sommes censés accompagner. Dans ces conditions, on ne peut pas les faire progresser", ajoute-t-elle.

Sa situation n'est pas un cas isolé et ce sombre tableau contraste avec les déclarations du ministère de l'Éducation nationale. Dans sa présentation du projet de loi de finances 2025, il insiste sur l'augmentation de 67% des effectifs d'AESH depuis 2017 et l'annonce du recrutement de 2.000 nouveaux professionnels en 2025.

Dans le même temps, le nombre d'enfants en situation de handicap scolarisés en milieu ordinaire passait de 321.000 en 2017 à 513.000 à la rentrée 2024.

Une minorité de postes à temps plein

Le ministère insiste également sur le fait que "les deux tiers des AESH sont en CDI, soit trois fois plus qu'il y a deux ans, et leur rémunération a été augmentée de 13% en moyenne à la rentrée 2023", pour atteindre 1.578 à 1.912 euros net par mois, toutes indemnités incluses - pour un temps plein.

"Mais seulement 2 à 3% des AESH sont à temps plein !" décrypte Anne Falciola, représentante des AESH à la CGT-Éducation. Il faudrait que le travail que nous effectuons hors de la présence des élèves, pour préparer les cours, soit reconnu pour que nous soyons à temps plein plutôt qu'en temps partiel forcé."

Selon la Cour des comptes, ces 130.000 postes d'AESH ne représentent en effet que 78.000 équivalents temps plein.

La déshumanisation de la gestion du personnel entraîne des situations difficiles avec des professionnelles payées sous le seuil de pauvreté (A. Falciola, représentante des AESH à la CGT-Éducation)

De son côté, le ministère souligne que les AESH qui souhaitent mieux gagner leur vie peuvent se porter volontaires pour assurer l'encadrement des élèves en situation de handicap pendant les pauses méridiennes.

"Sauf que les interventions sur le temps méridien sont souvent payées moins cher par les rectorats que par les municipalités qui en assuraient la charge entre 2020 et 2024, et le "volontariat" se transforme par endroit en obligation, quitte à ce que les AESH fassent moins d'heures en classe, et plus à la cantine", explique Anne Falciola.

Selon elle, "la déshumanisation de la gestion du personnel entraîne des situations difficiles avec des professionnelles payées sous le seuil de pauvreté", ajoute encore la représentante syndicale, AESH depuis 2006. Il ne faut pas s'étonner qu'il y ait tant de démissions chez les AESH". 

Les familles en soutien

Une situation que regrettent également les familles d'enfants en situation de handicap, comme l'explique Cécile Lobjois, de l'association de parents TouPI.

"J'ai 10 appels par jour de parents dont les enfants ont reçu une notification pour une AESH, mais qui n'ont personne à l'école pour leur enfant. D'autres familles nous expliquent avoir une notification pour une AESH individualisée, mais que celle-ci a été mutualisée pour plusieurs élèves. Nous avons aussi des exemples d'établissements où les enfants en situation de handicap vont à l'école à tour de rôle, faute d'AESH en nombre suffisant."

Des dysfonctionnements dans la formation

Les collectifs de professionnels et de parents critiquent aussi le manque de formation des accompagnants en situation de handicap.

"Nous sommes censées avoir 60 heures de formation avant la première prise de poste. Mais parfois, elles arrivent après", remarque Aurélie Chassaing. "De plus, 60 heures, c'est peu quand on sait la variété des pathologies que peuvent avoir les élèves dont nous nous occupons. Malgré mes demandes, je n'ai jamais pu bénéficier d'une formation complémentaire, en 15 ans."

Des dysfonctionnements nombreux qui ont incité la Cour des comptes à se pencher sur l'inclusion scolaire des enfants en situation de handicap. Le constat est sévère. Dans son rapport publié le 16 septembre, la Cour des comptes dénonce, avec un vocabulaire choisi, "un parcours des élèves et de leur famille qui n'est pas sans complexité".

Les AESH "pas suffisamment préparés", selon la Cour des comptes

La Cour des comptes note "le recours prépondérant à l'accompagnement humain [qui] engendre des dépenses massives et croissantes dont l'efficience et la pertinence sont à mettre en question". Et estime que ce choix se fait "au détriment des dispositifs d'accessibilité qui restent insuffisamment aboutis".

Selon les auteurs du rapport, "des points de repères manquent aux AESH pour clarifier leur rôle vis-à-vis des enseignants et, plus largement, pour renforcer leur reconnaissance au sein de la communauté éducative et leurs conditions de travail". Il serait "souhaitable d'établir un référentiel professionnel permettant de garantir la pertinence de leur accompagnement individuel ou mutualisé auprès des élèves".

Par ailleurs, selon les Sages de la rue Cambon, enseignants et AESH "estiment ne pas être suffisamment outillés et préparés, que ce soit en termes de formation initiale ou continue, pour faire face à des situations qui, selon eux, dépassent parfois leurs compétences et leurs moyens d'action".  

Et d'ajouter qu'ils "souhaitent bénéficier de conseils et d'appuis de spécialistes, issus notamment des secteurs médico-sociaux et médicaux, et aspirent au renforcement de formations 'croisées' destinées à dépasser les cloisonnements entre les différents métiers impliqués".

La Cour des comptes conclut ainsi que, faute de travaux de recherche sur le sujet, "il n'est guère possible de se prononcer sur les performances du modèle français d'inclusion scolaire des élèves en situation de handicap". Et encore moins de comparer celui-ci avec d'autres pays.

Vers la création d'un corps de fonctionnaire pour les AESH ?

Dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances 2025, un amendement proposant la création d'un corps de fonctionnaires pour les AESH a été adopté par la commission des finances de l'Assemblée nationale, le 29 octobre 2024.

Cet amendement, déposé par le groupe NFP, permettrait de titulariser les personnels en poste et d'instaurer un temps plein à 24 heures par semaine, répondant notamment à la question de la "faiblesse de la rémunération".

Cependant, l'application de cet amendement dépend de l'adoption du PLF. Il s'agirait alors d'une avancée pour les AESH.

Sandrine Chesnel | Publié le