Les business schools s'engagent en ordre dispersé dans les Comue

Jean-Claude Lewandowski Publié le
Les business schools s'engagent en ordre dispersé dans les Comue
ESC Dijon © Arnaud Dauphin // © 
Les Communautés d'universités et établissements, qui devraient voir le jour en juillet 2014 (ou au plus tard à la rentrée) divisent les écoles de management. Pour l'heure, la plupart prévoient d'y participer, selon des modalités variées, mais quelques-unes se tiennent à l'écart.

Si les Comue (Communautés d'universités et établissements) font débat au sein des universités, elles suscitent aussi bien des hésitations du côté des grandes écoles de management. Celles-ci se montrent en effet partagées entre espoir et crainte au sujet de ces regroupements qui, aux termes de la loi Fioraso, devraient voir le jour au plus tard le 24 juillet 2014. Espoir de bénéficier de synergies accrues et d'une meilleure visibilité, mais aussi crainte d'être submergées par des universités de taille bien supérieure, et de n'avoir pas vraiment voix au... chapitre.

Résultat : les écoles négocient en ordre dispersé leur entrée dans ces nouvelles structures. En région parisienne, elles ont tissé des liens étroits avec les universités. HEC sera ainsi membre fondateur de l'université Paris-Saclay, qui rassemblera 22 institutions d’enseignement supérieur et centres de recherche, et dont les statuts sont en cours de finalisation. Même tendance à Lille, où l'Edhec devrait être membre "associé". À l'inverse, quelques Comue, notamment en Bretagne ou en Normandie, devraient se monter sans les business schools. Mais la situation est loin d'être figée.  

"Tous les acteurs de l'enseignement supérieur, aujourd'hui, se doivent de raisonner en termes de politique de site", estime Stéphan Bourcieu, directeur général de l'ESC Dijon, qui juge les Comue "désormais incontournables". "Si nous restons à l'écart du mouvement, nous serons invisibles. En Bourgogne, la coopération entre écoles est une réalité depuis plusieurs années. Ensemble, nous avons mené des projets sur l'entrepreneuriat, l'international, la mixité... Nous coopérons également avec l'université de Bourgogne sur la recherche." Aussi l'école souhaite-t-elle obtenir le statut de membre fondateur de la future Comue bourguignonne – sans pour autant revendiquer une place privilégiée.

Les Comue sont désormais incontournables. Si nous restons à l'écart du mouvement, nous serons invisibles (S. Bourcieu)

Directeur de Grenoble EM et nouveau président du Chapitre des écoles de management, Loïck Roche souligne lui aussi les avantages potentiels des Comue : "Nous entretenons d'excellentes relations avec les universités grenobloises et avec l'INP (Institut national polytechnique), indique-t-il. GEM est même la business school qui compte le plus grand nombre de doubles diplômes, en droit, en économie, en lettres, en design... Il est important de jouer la carte de la solidarité grenobloise, notamment dans la perspective des Investissements d'avenir. Et cela n'empêche pas chaque établissement de développer sa propre stratégie."

Même approche favorable pour Olivier Oger, directeur général du groupe Edhec : "Les Comue peuvent être un excellent moyen pour nos écoles de renforcer leurs liens avec les universités publiques. Encore faut-il que nous parvenions réellement à mettre sur pied des projets partagés. Car s'il s'agit seulement de trouver une forme de gouvernance commune, cela n'en vaudra pas la peine."

Sur quoi peuvent porter ces coopérations ? De façon générale, trois domaines émergent – même si les projets sont encore assez imprécis. Le premier concerne la recherche : nombre d'écoles envisagent de monter des laboratoires communs avec une université, de piloter des thèses en co-tutelle, de travailler ensemble autour de thématiques uniques... À Dijon, Stéphan Bourcieu envisage par exemple une signature commune de certaines publications de recherche.

"Aurons-nous un vrai siège, ou un simple strapontin ?"

L'international offre un deuxième axe de coopération possible dans le cadre des Comue. Jacques Igalens, directeur de Toulouse Business School, se verrait bien ouvrir des bureaux "mutualisés" dans des pays comme la Chine ou le Brésil. "Nous avons déjà mis certains moyens en commun", rappelle-t-il : les étudiants étrangers qui débarquent dans la "ville rose" reçoivent en effet un kit destiné à l'enseignement du français langue étrangère. "Sur l'international, nous avons tout intérêt à unir nos forces, confirme Loïck Roche. Ouvrir ensemble un campus identifié "site de Grenoble" à Singapour, par exemple, serait bien plus efficace que d'avoir quatre implantations différentes."

Troisième domaine de collaboration, les diplômes et la formation. Pas question pour les business schools de renoncer à leur parchemin. Mais nombre de programmes doctoraux sont déjà adossés à une université, qui délivre le diplôme de docteur. Ce dispositif pourrait être étendu. Les écoles pourraient également s'appuyer sur les Comue pour multiplier doubles diplômes et autres programmes conjoints.

Certaines Comue semblent 'confisquées' au seul profit des universités (L. Roche)

Reste un bémol de taille : le fonctionnement de ces Comue, et notamment la place qui sera réservée aux écoles. D'autant que, le plus souvent, elles n'y sont conviées que dans un deuxième temps. "Le risque existe que ces nouvelles entités viennent rajouter une couche supplémentaire de bureaucratie, prévient Jacques Igalens. L'avenir nous dira si le poids de la structure l'emporte sur les avantages. Mais l'expérience vaut d'être tentée. Nous devons aussi rester conscients du rapport de forces : la plus petite des universités toulousaines compte 20.000 étudiants, quand nous en avons à peine 4.000. Nous n'avons ni la même taille, ni les mêmes modes de fonctionnement."

Loïck Roche, de son côté, ne cache pas sa préoccupation. "Certaines Comue semblent 'confisquées' au seul profit des universités, les écoles n'étant conviées qu'après la définition des statuts et le partage des 'pouvoirs', pour se voir notifier un possible strapontin. Et dans certains cas, les écoles ne sont pas conviées du tout…" Pour l'heure, une seule règle semble prévaloir : l'extrême diversité d'organisation et de fonctionnement des Comue, en fonction des situations locales et de la personnalité des acteurs.

Jean-Claude Lewandowski | Publié le